Nourritures célestes

©Saint-Gervais Genève (©Patrick Nouhailler, CC BY-SA 3.0 Wikimedia Commons)

Écouter le culte :

Première partie : Pasteure Rose-May Privet Tshitenge : Deutéronome 8, 11-18

La première lecture biblique de ce matin, un passage au chapitre 8 du Deutéronome, nous renvoie quelques millénaires en arrière, avant l’entrée en terre promise et juste après la mort de Moïse le libérateur qui a fait sortir le peuple de l’esclavage d’Égypte et donné la Loi. En hébreu, langue de rédaction de ce texte, le titre du livre est « Hadebarim », les paroles, sous-entendu le discours d’adieu de Moïse légué à ses héritiers. En grec, langue de la première traduction de l’Ancien Testament, ce même livre porte le titre de Deutéronome, seconde loi, car il est vu comme une récapitulation de ce qui a déjà été donné au Sinaï.

Avec au cœur le passage bien connu qui commence par « Shema Israël » : « Écoute Israël, le Seigneur notre Dieu est un, tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de tout ton être, de toute ta force » (6, 4-5). Là, au chapitre 8 de ce Deutéronome, comme un déploiement de ce thème, une vision somme toute assez simpliste et assez étonnante : obéissez et vous serez bénis ! Mais écoutez attentivement ce qui est dit de ce que Dieu donne, et à quelles conditions.

Croyez-vous que l’argent pousse sur des arbres ou tombe du ciel ? Évidement que non, et c’est même ce que l’on peut dire, parfois, à celles et ceux qui font appel à notre générosité de manière trop insistante : « M’enfin, l’argent ne tombe pas du ciel ! ». Sous-entendu : j’ai travaillé dur pour gagner ce que j’ai gagné et je ne peux pas donner à tout le monde. Notre générosité a des limites, et c’est bien légitime.

Mais est-ce vraiment ainsi que ça marche ? Celles et ceux qui travaillent gagnent de quoi vivre, grâce à leurs compétences, grâce à la sueur de leur front et les autres… les autres n’ont qu’à aussi travailler, peut-on entendre dire de manière péremptoire, comme s’il n’y avait qu’à… ! Je ne vais pas prétendre ici trouver une solution au chômage et à la répartition du travail en ce monde, ni résoudre les inégalités sociales, et c’est bien dommage, je vous l’accorde. Mais je connais mes limites…

Mais en fait, pour en arriver à la réflexion du jour : de quoi ai-je besoin pour vivre ? De combien ? Pas seulement d’argent, n’est-ce pas ? Il y a tant de choses nécessaires à la vie qui ne peuvent s’acheter.

Premièrement : l’amour, bien sûr, mais aussi plus simplement, les amis… et puis, la paix, pas juste celle qui fait que notre pays n’est pas en guerre, mais la paix profonde du cœur qui permet de dormir sereinement la nuit tout entière. Aussi un sourire, un bonjour ! Un geste, une parole qui peut changer votre journée et vous donner du peps pour continuer.

Évidemment, ce n’est pas facile de se retrouver en manque, de n’avoir pas assez pour vivre, et même s’il y a des distributions de paniers solidaires, des aides sociales, il y a encore des pauvres avec nous au 21ème siècle. Et les manques ne sont pas que pour la nourriture de nos corps.

Quelle tristesse de n’avoir personne à qui parler, non ? De ne pas trouver du sens à la vie ? De ne savoir quoi faire de sa vie ? De se sentir mis-à-part, laissé pour compte ? Et c’est vrai, il peut arriver que l’on se sente seul·e en ce monde. Abandonné·e de tous, ou ayant perdu tous ses proches…

Savoir que Dieu est fidèle à son alliance et qu’il a promis d’être avec nous tous les jours est une chose, mais comment vivre de la certitude de sa présence ? Croire que l’on peut lui faire confiance pour nos besoins quotidien est une chose, mais comment vivre sans se faire du souci pour le lendemain ?

Et comment développer la reconnaissance pour ce qu’il accomplit pour nous ? Mais qu’accomplit-il au juste ? Il n’envoie plus de manne qui tombe du ciel chaque matin, ce serait pratique d’avoir juste à sortir dans la rue, se baisser pour ramasser ses petits grains blancs qui ont fait la manne. Si on se baisse dans nos rues, on ramasse surtout des mégots, mais c’est un autre sujet…

Donc, qu’est-ce que Dieu fait pour nous ?

Eh bien, de même qu’il avait envoyé un Sauveur pour libérer son peuple de l’esclavage, de même, aujourd’hui encore, il nous veut libres, profondément libres. Libres de nos choix et non conditionnés par les pubs ou les modes du moments, libres d’oser malgré les regards des autres, libres de toute culpabilité enfermante et avilissante. Et cette liberté nous est offerte en Christ, lui le Libérateur par excellence. Lui qui nous a promis : « Vous connaîtrez la vérité et la vérité vous rendra libre. » Tout un programme…

De même que Dieu avait donné la manne au désert, de même il nous donne les forces nécessaires pour réaliser ce qu’il faut pour vivre, et par son Esprit, il inspire aussi nos actions en vue d’un monde plus juste et pour plus de paix. Car il ne s’agit pas seulement de ne pas avoir faim et de recevoir ce pain quotidien pour soi, nourriture pour nos vies dans tous ses aspects, il s’agit aussi de nourrir le monde entier. Dieu ne nous donne pas seulement à manger, il se donne aussi lui-même pour nous, et c’est dans quelques instants ce que ma collègue Loraine d’Andiran va développer à partir de Jean chapitre 6.

Pour pouvoir profiter d’une vie pleine et digne, quelques conditions de base sont nécessaires : répondre aux besoins physiologiques, être en sécurité, trouver son lieu d’appartenance, construire une bonne estime de soi, et se sentir utile. Dans ces conditions de base, il y a bien sûr pouvoir manger à sa faim une nourriture de qualité.

Étonnamment, il y a assez à manger pour les 8 milliards et quelque d’êtres humains qu’il y a sur terre, mais c’est très mal réparti, je ne vous apprends rien : certains ont trop, d’autres manquent de tout… On produit ici et on jette là-bas, le gaspillage alimentaire est un scandale choquant, n’est-ce-pas ? A quand un monde plus juste ?

Mais si Dieu promet sa présence à nos côtés, s’il promet de pourvoir à nos besoins en renouvelant nos forces, il ne nous épargne pas de toutes épreuves : et c’est ce qui est le plus difficile à comprendre.

Quand tout va bien, on oublie souvent de remercier Dieu, mais quand survient une difficulté, un malheur, voire un immense malheur comme la perte d’un enfant, d’un conjoint, d’un travail, une injustice qui nous cause du tort : alors on s’écrie : « Mais qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu pour mériter ceci ? » Pourtant, on ne mérite ni nos bonheurs, ni nos malheurs. Ils sont à vivre en restant fidèles comme Dieu nous reste fidèle, toujours.

Il y a des déserts à traverser – c’est vrai, mais un pas après l’autre, il nous guide sur ce chemin trop aride et peut faire jaillir de l’eau même d’un rocher dur ! Alors, qu’aujourd’hui encore, vous qui êtes accueilli dans son alliance, puissiez-vous être rejoint exactement là où vous en avez besoin.

Amen.

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Deuxième partie : Pasteure Loraine d’Andiran : Jean 6, 29-40 et la liturgie de la Cène

Recevoir une nourriture terrestre et croire en ce qu’elle a de céleste.

Dans ce passage de l’Évangile selon Jean, Jésus nous demande de croire en celui que Dieu a envoyé, et de recevoir en lui le pain du Ciel qui donne la vie, et même la vie éternelle.

Le chapitre 6 insiste sur la décision de la foi : Jésus nourrit d’abord plus de 5’000 personnes, en demandant aux disciples de croire qu’un peu de pain et deux poissons suffiront ; puis il marche sur l’eau pour les retrouver, alors qu’ils sont terrifiés, et leur demande de croire que c’est bien lui qui est là ; et enfin, il annonce que la seule chose à accomplir, c’est de croire, sans attendre d’autre miracle que le pain que Dieu envoie du Ciel – pas comme la manne d’autrefois, mais comme ce pain de Vie qu’il est, lui, jusque dans la vie ressuscitée : « Celui ou celle qui mange ma chair et qui boit mon sang a la vie éternelle (…) et vivra par moi » (Jean 6, 54 et 57). Les personnes qui l’entendent alors murmurent, s’indignent même, et à la fin du chapitre, plusieurs disciples se retirent et le quittent.

Je n’aimerais pas tant méditer avec vous ce qui est ou n’est pas dans le pain et le vin. Car ce qui sied le mieux à ce mystère, c’est le silence et l’intimité d’une expérience, unique et personnelle, que nous allons vivre ensemble tout à l’heure pendant le partage de la Cène.

Voyons ce qui fait le cœur de la Communion : le don de la Vie. La vie de Dieu qui vient nourrir et ressusciter nos vies, au nom de la foi en son Fils, et dans l’Esprit qui nous relie, nous rend contemporains de Jésus et ses disciples.

Le pain et le vin disent à la fois l’aliment quotidien et la fête. Ils nous rappellent aussi que la foi n’est pas une idée, mais une relation, avec un Dieu qui a fait le choix de l’Incarnation. Lui aussi, il a eu un corps, lui aussi il a eu faim et soif, lui aussi il a vécu et il est mort. L’Institution nous le rappelle, actualisant pour nous ce repas partagé la veille de la Passion.

Participer à la Cène requiert toute notre présence et tous nos sens : nous nous levons pour répondre à un appel ; nous ouvrons nos mains pour recevoir quelque chose de simple et de précieux par sa symbolique ; nous élargissons nos cœurs pour laisser une place à Dieu, et aux autres tout autour de nous. C’est un engagement, un acte de foi. Être là, tels que nous sommes.

Ce qui me touche dans la Cène, c’est à la fois ce mémorial qui nous inscrit dans la continuité d’une pratique vieille de 2'000 ans, et c’est aussi l’intensité du moment, notamment dans l’échange des regards et des paroles.

Les repas sont des lieux de communion, d’amitié, de familiarité. Ils permettent de renforcer les liens, de célébrer des évènements, de faire se rencontrer chaleureusement les gens, voire de pacifier des relations.

Adam et Ève, à qui Dieu avait interdit de manger d’un certain fruit, ont désobéi. Dans le repas de la Cène, Jésus vient lui-même à nous, il nous nourrit en se donnant librement, et il nous demande de nous donner nous aussi, de porter du fruit, d’incarner quelque chose de son ministère de service.

Célébrer la Cène, c’est dire que la logique du Royaume prime sur celle des empires et des tyrans. Autour d’une table de communion où tout le monde est accueilli, attendu, reconnu, sans compétitivité, ni jugement. La mixité, la diversité de nos assemblées est un reflet du monde, de tout le monde.

Célébrer la Cène, c’est manifester par un signe visible la présence de Dieu dans notre vie et notre ville. Au cœur des tragédies qui secouent le monde, Jésus nous demande de faire halte, de nous souvenir, d’être nourris, rencontrés. De nous rappeler que Dieu a pour le monde des projets de bonheur, de paix, et non de malheur (cf. Jérémie 29, 11), et qu’il nous laisse libres, comme le rappelait Rose-May.

Célébrer la Cène, c’est créer un espace où nos besoins humains primordiaux, comme boire et manger, sont reconnus ; mais aussi où la violence et l’injustice, celles qui ont conduit à la mort de Jésus crucifié, comme celles de notre actualité, sont regardées, assumées et traversées par la grâce de l’amour divin, offert à toutes et tous.

Célébrer la Cène, c’est rencontrer dans chacun des visages un prochain, un frère ou une sœur, et reconnaître aussi en lui ou en elle une part d’infini, de divin, promise à l’éternité. Car toutes et tous, « nous avons part à ce pain unique » (1 Corinthiens 10, 17), ce pain du Ciel qui donne la Vie.

Amen.

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Bénédiction

Nous avons des besoins terrestres, mais nous avons aussi faim et soif de nourritures célestes. A toutes choses, Dieu pourvoit.

« L’âme, à la différence du corps, se nourrit de la flamme », disent les sœurs de Mazille.

Cette flamme, c’est la part d’infini, d’invisible, de mystère en nous. Elle anime notre être, fait briller nos regards et nous rassemble.

Que le Seigneur vous donne chaque jour les forces nécessaires, qu’il vous bénisse et vous conduise, ainsi que vos proches, qu’il vous fasse vivre de sa vie et de sa flamme pour l’éternité.

Amen.

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Qu’est-ce qui nourrit nos vies et nos envies? De la manne au pain de vie: comment Dieu pourvoit-il à nos besoins existentiels?

Nous vous proposons d’aborder ces questions à deux voix et en deux temps, en suivant un itinéraire biblique et liturgique, à partir de Deutéronome 8 et Jean 6, 29-40.

Détails

Célébration
Avec la participation de
Gaudenz Perrot pour les lectures et Isabelle Savoy pour la liturgie.
Orgue
Musique
Olivier Kessi à la clarinette et Bastien Blanchard à la guitare