"Je ne suis pas venu apporter la paix, mais l'épée."

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Ce texte est difficile; il dérange. Nous attendons de Jésus la paix. Nous voulons qu'il nous parle de la paix, c'est-à-dire de réconciliation, de prospérité, de bonheur, de salut. Nous n'avons aucune envie qu'il nous parle de violence et de guerre. Les médias s'en chargent, quotidiennement, abondamment. Faut-il encore en entendre parler le dimanche, et à l'Église de surcroît ?

Ce texte nous dérange. Aussi allons-nous tenter de comprendre ce qu'il veut dire. Et d'abord ce qu'il ne veut pas dire : Jésus n'est pas venu nous mettre une épée dans les mains et faire de nous des combattants de la foi. L'idée de guerre sainte n'existe absolument pas dans la religion chrétienne. Ceux qui, dans le passé, ont tué au nom du Christ, ont commis une véritable abomination. Et à ceux qui aujourd'hui, en Croatie, en Serbie, ailleurs, se réclament du Christ pour s'entre-déchirer, il faut sans équivoque dire non, mille fois non. Quant aux ecclésiastiques qui bénissent leurs armes en se réclamant de notre texte ils font une action odieuse et avilissent Jésus.

Pourtant Jésus a bien dit qu'il n'était pas venu apporter la paix, mais l'épée. Alors ? Faut-il comprendre qu'il parle ici de lui comme du Messie annoncé par le prophète Joël qui, après avoir rameuté les fidèles, va livrer contre les incrédules une guerre, triomphale et sainte, afin d'établir un règne de paix éternel ? De ces images un peu naïves et tonitruantes, retenons que la venue de Jésus, l'envoyé de Dieu, déclenche non pas des batailles rangées, mais des divisions profondes. Le pacificateur provoque la violence. Pour souligner la gravité de ces divisions, Jésus prend l'image de la famille que l'on associe couramment à l'harmonie et au bien-être, même si l'image ne correspond pas toujours à la réalité. Or la venue de Jésus sème la zizanie dans ce nid douillet. Quand Jésus vient, les familles se divisent : c'est dire combien la crise qu'il suscite est grave et douloureuse.

Symbole de cette crise : l'épée : Je ne suis pas venu apporter la paix, mais l'épée. Le terme que Jésus emploie signifie poignard, l'arme dont on se sert pour régler son compte sournoisement, par derrière, à quelqu'un qui vous dérange et que l'on hait.
Division, crise, poignard. Pourquoi tant de tumulte autour de la venue de ce soi-disant messager de paix ? Pourquoi ? Un ancien commentateur dit : l'impiété qui s'était assoupie soudain s'aiguise. Quand Jésus s'approche, nous dégainons, car au plus profond de notre être nous ne voulons pas de son amour; son aspect humble, doux, pacifique, nous n'en voulons pas. Incompréhensible révolte contre celui qui ne veut que notre bien. Comme si nous ne pouvions pas comprendre, ne pas supporter que Dieu ne veuille qu'une seule chose, nous respecter, nous aimer tels que nous sommes. Comme si nous ne pouvions pas supporter que notre culpabilité l'intéresse moins que notre bonheur. Que Dieu ne vienne pas nous châtier, qu'il ne soit pas un père Fouettard, mais qu'il nous pardonne : voilà qui est insupportable. Et nous dégainons.

Frères et soeurs, la première victime de cette épée que Jésus est venu apporter, savez-vous qui c'est ? C'est Jésus lui-même, cloué sur une croix lui qui venait de Dieu, qui était Dieu, par nous tous qui sournoisement ne voulons pas de Dieu. Dans les clous de Golgotha, il y a les lames de nos propres poignards. Jésus le sait. Il nous connaît mieux que nous ne nous connaissons nous-mêmes : et quand il nous dit qu'il est venu apporter l'épée, il pense : l'épée avec laquelle vous allez me tuer puisque vous êtes tous à me dire non et que vous voulez tuer à la fois la loi et l'amour de Dieu.

Mais sommes-nous des sanguinaires, avons-nous un poignard à la main ? Bien sûr que non, mais nous avons mieux. Notre refus n'a pas besoin de s'exprimer de manière violente pour être réel et faire des ravages. Avec l'indifférence, avec l'inertie, on poignarde les plus belles causes encore mieux qu'avec une violence affichée.

Frères et soeurs, vous connaissez l'Évangile de Jésus. Peut-être en vivez-vous ? Aussi comme tous les disciples de Jésus êtes-vous à la fois assassin de votre maître et victime potentielle à cause de son nom. Je m'explique. Si chacun d'entre nous, par ses infidélités, son manque de foi, est constamment en train de poignarder Jésus, de le refuser, chacun d'entre nous aussi, voulant témoigner de son amour, peut devenir victime du poignard qui frappe le maître. Car, comme le dit l'ancien commentateur, la voix des disciples - nos propres voix - est une trompette pour mettre en armes un nombre infini d'ennemis. Autrement dit, le poignard qui tue Jésus atteint également ses disciples. Vous savez qu'il y a à l'heure où je vous parle des frères et des soeurs sur notre globe, qui meurent pour leur foi au Christ, victimes de régimes cruels qui veulent exterminer avec les chrétiens l'équité et la miséricorde que Jésus apporte aux humains.
Certes dans nos sociétés libérales qui ont inscrit, Dieu merci, la tolérance religieuse et la laïcité de l'État dans leurs constitutions et leurs moeurs, personne ne risque d'être persécuté physiquement pour le Christ pourtant si nous n'avons pas à craindre la terrible épreuve de confesser ou renier Jésus-Christ sous la torture ou devant le peloton d'exécution, nous sommes victimes en notre siècle finissant, dans notre Occident de vieille tradition chrétienne, d'une persécution douce, mais affreusement insidieuse : la stupéfiante indifférence à laquelle se heurte le témoignage de nos communautés. Que ceux et celles auxquels on ôte la vie pour Jésus Christ me pardonnent, mais il y a chez nous une mort lente par découragement, par désespoir qui tue à petit feu tant de communautés chrétiennes. Pour nos latitudes il conviendrait de modifier la parole de Jésus en disant, au lieu de: «Je suis venu apporter le glaive », « Je suis venu apporter une mort lente par asphyxie». L'Évangile reste fondamentalement source de divisions profondes et de refus.

Pessimisme ? Non, réalisme, et surtout écoute fidèle de la parole de Jésus. Vous qui m'écoutez, qui cherchez à témoigner par un geste, par une prière, par une parole de cet amour qui vous a saisi, sachez, et c'est le Seigneur lui-même qui nous le dit, que cet amour n'est pas reçu sans heurt, paisiblement, automatiquement. Pourquoi ? C’est un mystère qui a sa clé profondément enfouie dans le coeur humain, ce coeur qui pour des raisons incompréhensibles reste chez tant de nos contemporains fermés comme une huître à l'amour qui nous a touchés.

Je ne suis pas venu apporter la paix, mais l'épée. Jésus nous rend lucides. Il nous rappelle que l'on n’est pas chrétien naturellement; il jette une lumière crue sur notre méchanceté; il dénonce les fausses paix; il nous rappelle que le recevoir et le faire partager aux autres est souvent difficile, non pas à cause de lui, mais à cause de nous.

Mais, comme la Bible nous l'apprend, l'épée n'a pas eu le dernier mot. Les lames de nos poignards ont fini par s'émousser sur le bois de la croix de Golgotha. Nous ne sommes pas condamnés à dire toujours non à Dieu. Notre témoignage n'est pas condamné à toujours sombrer dans l'indifférence. Pourquoi ? Parce que le Seigneur s'est relevé lui-même des coups que nous lui avons portés. Il n'a pas succombé à l'épée qu'il a apportée, mais il s'est relevé le premier d'entre les morts, et il a pris la tête d'une longue cohorte de persécutés, de martyrs, d'hommes, de femmes et d'enfants qu'il conduit vers la paix, vers cette couronne de vie qui sera la récompense de ceux qui auront souffert pour lui. Chacune et chacun d'entre nous a sa place dans ce voyage vers la paix, où les épées non seulement ne sortiront plus de leurs fourreaux, mais auront disparu.

Amen.

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