
Écouter le culte :
Roselyne : Il y a beaucoup de marches à pied et de déplacements dans la Bible… : des exodes, des exils ;
Des fuites, des retours en arrière ; des errances, et des pèlerinages ;
Du nomadisme, et des voyages ; des avancées, et des traversées ;
Des départs, et des cheminements…
Pierre : D’ailleurs… d’ailleurs, l’un des premiers noms qui a été utilisé pour nous désigner, nous chrétiens, ça a été : « Ceux du chemin… ». Ou… « Ceux de la voie » (Actes 9, 2). Il y a cette idée d’une → mise en mouvement.
On marche à la suite de Jésus et ainsi, on progresse dans la charité. On reçoit une lumière.
On découvre d’autres manières d’être. On avance vers un ailleurs, vers d’autres possibles, d’autres lieux personnels…
Roselyne : … On dit aussi qu’une des significations du mot « Ivri », qui a donné le mot, le nom « hébreux », c’est : « marcher… ».
« Marcher…, passer de l’autre côté… ».
Pierre : Marcher !? C’est vrai : les Hébreux se sont mis en marche :
De la Mésopotamie vers Canaan… Puis vers l’Egypte…
… Libérés, ils ont tourné en rond 40 ans dans le Désert, 40 ans : ce n’est pas rien !
Et pendant toutes ces années d’hésitations, de difficultés, de souffrances, d’après le livre biblique des Nombres (ch. 33) ils ont fait en tout… 42 étapes.
La plus courte a duré… une seule journée.
Mais la plus longue…18 ans !
Roselyne : Une étape d’un seul jour ! Et une autre de 18 ans !?
C’est comme dans nos vies : on traverse des périodes tellement différentes.
Parfois, on s’attarde, on fait du sur place, rien ne bouge et le temps nous pèse.
D’autres fois, on se sent bien, mais ça passe beaucoup trop vite !
… Et on ne sait pas toujours… où aller.
Où trouver la Terre Promise… la guérison, un répit, une résurrection ?
Est-ce qu’une rencontre, un amour, des jours tranquilles nous attendent quelque part ?
Pierre : Marcher !
Plus tard, les Hébreux ont encore dû avancer à marches forcées, vers Babylone, où ils étaient déportés…
Avant de retrouver Canaan et Jérusalem, ce pays généreux et cette ville de paix qui portaient tous leurs rêves…
Et puis, à travers leur histoire, ils ont fui si souvent.
Persécutés, chassés, contraints de tout abandonner, de migrer pour espérer sauver leur vie.
Roselyne : Cette marche des juifs et des chrétiens, et sans doute des croyants de toute confession, on la retrouve particulièrement dans la vie de Jésus…, et dans ce mouvement incessant… :
Dans le fait qu’il soit venu vers nous…, et qu’il vienne encore aujourd’hui…, qu’il s’approche de chacune et de chacun.
Pierre : Il y a 30 ans, le poète Christian Bobin a publié un tout petit livre magnifique, qui s’intitule : « L’homme qui marche ».
Et de Jésus, il disait : « … Il marche…, sans arrêt il marche.
On dirait que le repos lui est interdit… Il va tête nue.
La mort, le vent, l’injure, il reçoit tout de face…, sans jamais ralentir son pas.
À croire que ce qui le tourmente n’est rien en regard de ce qu’il espère.
À croire que la mort n’est guère plus qu’un vent de sable.
À croire que vivre est comme il marche – sans fin… » !
Roselyne : Oui, elle est forte et bien présente cette image d’un Jésus né en chemin et jamais installé… Toujours en route vers et avec les autres… Sillonnant la Galilée, traversant des villages, entrant dans des maisons, s’arrêtant dans une auberge, en marche vers son destin.
Christ voyageur, sans bagages…, allant en barque, sur le dos d’un ânon mais surtout à pied sur des chemins de poussière.
S’invitant dans tous les cœurs…, faisant halte pour écouter…, n’ayant même pas une pierre où reposer la tête…
Pierre : … Ministère mobile, ouvert, itinérant, d’un homme qui ne nous demande pas d’aller jusqu’au bout du monde, mais parfois jusqu’au bout de nous-mêmes…
Paroles, appel et exemple de Celui qui nous propose de nous déplacer, de faire un pas de côté, pour voir plus loin que notre seul intérêt…, pour dépasser les frontières de notre charité, et ainsi découvrir de nouveaux espaces d’engagement et de partage…
Roselyne : Ce Jésus qu’on a voulu assigner à résidence, dont on a cloué les pieds et les mains sur une croix pour l’empêcher d’aller vers les autres, qu’on a cherché à enfermer pour toujours dans un tombeau, mais qui est resté libre… Qui a traversé la mort et passé les murs de toutes les peurs, et qui anime notre liberté.
Pierre : Mais au fait, on a entendu ce récit de la guérison d’un « infirme de naissance » … Et peut-être que nous ressemblons tous à cet homme lourdement handicapé ?
Roselyne : Oui, tu as raison. Le texte dit de cet homme qu’il n’avait jamais pu marcher… Or à nous aussi, il arrive de « perdre pied ».
Souvent, en nous, « ça ne marche pas », il y a quelque chose qui « ne marche plus ». Pardon pour l’expression, mais on est « paumés », on ne sait plus où aller ! …
… En tous cas, la station debout, c’est fondamental.
Et ce n’est pas qu’une question de dignité, même si, en 1973, Bob Marley a composé une célèbre chanson qui est aussi un cri de ralliement et qui s’intitulait : « Stand up ! Stand up for your rights » : « Levez-vous ! Relevez-vous, et battez-vous pour vos droits » !
Pierre : D’ailleurs aujourd’hui, les scientifiques expliquent que le fait d’aller sur nos deux pieds a été décisif dans le développement de l’humanité.
Ça a libéré nos mains pour d’autres tâches…, ça a permis la complexification du cerveau, le développement du langage.
… Et il paraît que les premières empreintes de pas d’un hominidé dateraient de 3 millions et demi d’années…
Roselyne : Regarde aussi les petits enfants : au bout de quelques mois, ils se trainent par terre, ils avancent « à 4 pattes ».
Ils essayent de se lever, même si leurs tentatives restent infructueuses.
Car tenir en équilibre sur ses deux pieds, ça n’a rien d’évident :
Il faut compter avec les chutes, les échecs, les bobos…
Mais les enfants ne se découragent pas !
Ils réessayent, jusqu’au moment tellement émouvant pour leurs proches où ils s’élancent dans la vie en faisant leurs tous premiers pas…
Pierre : A l’autre bout de la vie, viennent des jours, pour les plus âgés, ou pour certaines personnes en situation de handicap, en fauteuil, où il faut se résoudre à marcher avec peine…
Progressivement, on perd sa mobilité. On peut devenir dépendant, grabataire… On a besoin du soutien d’un bras ami…, d’une canne, de bâtons de marche, d’un rollator… d’un déambulateur qui ne permet pas tant de déambulation que ça !
Ainsi, les enfants apprennent à marcher et les plus vieux doivent consentir à désapprendre. C’est dur ! Même si c’est aussi le mouvement naturel de la vie.
Mais quand même, je me demande comment il faut interpréter le fait que Pierre et Jean guérissent cet infirme de naissance ?
Le texte précise que : « ses pieds et ses chevilles s’affermirent... D’un bond il fut debout et marchait » !
Roselyne : Tout à l’heure, tu as rappelé que Jésus est présenté comme « L’homme qui marche » … Mais quand je lis les évangiles, je découvre que Jésus est non seulement celui qui prend le contre-pied d’un monde trop tourné vers lui-même, mais d’abord il est l’homme qui relève…
L’homme qui remet debout, sur pied…
L’homme qui restaure la dignité de chacun.
Et se relever, ce n’est pas forcément être capable de marcher de longues distances, de courir en montagne, ou d’avaler des kilomètres à pied.
C’est, nous dit le texte… : « ne plus mendier ».
Pierre : « Ne plus mendier », qu’est-ce que cela signifie ?
Roselyne : C’est se savoir considéré… Se savoir aimé.
C’est comprendre qu’on compte vraiment pour Jésus et qu’il nous porte dans nos vies, même si certaines réalités restent dures à porter.
Il nous soutient, il nous aide.
On retrouve une base solide.
Comme l’infirme, on n’a plus besoin de quémander de l’attention, de l’argent ou de l’amour, on découvre que tout cela nous est donné.
Alors, on retrouve sa joie et sa liberté intérieure.
Pierre : Mais Roselyne, (pour conclure ce message), j’aimerais bien que tu nous parle de la Pastorale œcuménique de la rue que tu as créée à Martigny.
Oui : comment ça marche ? Et en quoi as-tu besoin d’utiliser tes pieds ?
Roselyne : Vois-tu Pierre, quand on est « gens de la rue » comme on dit, on a à peu près tout perdu et surtout on n’a presque personne à ses côtés. Et on marche ! On n’a que ses pieds du reste comme véhicule !
Où aller ? Où entrer ? On n’a juste pas envie de pousser une porte pour se faire jeter dehors une fois de plus.
Alors, pour chercher des contacts, une oreille sympathique, quelqu’un qui reste un peu avec vous, on va à pied à la place, sur la place de la ville, la place de Martigny !
Et là se trouve une porte : c’est « La Belle Porte » du Temple, celle de notre texte biblique dans le livre des Actes !
C’est la « Belle Porte » des compagnons de la Pastorale de la Rue !
Ou dit plus vilainement : c’est la « Belle Porte » de la Zone !
Devant la « Belle Porte » de la Migros du Manoir, ils se tiennent ensemble, ils se dépannent parfois, ils quémandent quelques p’tits sous, ils se querellent, ils nous embrassent et nous crient des « mercis », parce qu’on a passé un peu de temps avec eux et qu’on leur a redonné l’impression d’exister.
Miracle à La Belle Porte, miracle de la rencontre, miracle de ceux qui osent « marcher vers », la tête haute, sans regarder le bout de leurs pieds.
Miracle de ceux qui portent à bout de cœur leur amitié, leur regard qui envisage l’autre et qui lui rend sa part de lumière, là, dehors, à côté des portes moches du commerce !
Miracle de la présence possible, et même de la joie qui éclate entre les portes infernales de l’indifférence.
Voilà les portes de la Pasto !
Pierre : Donc, il faut presque toujours aller à pied ?
Roselyne : Oui ! Et mon collègue catholique Pascal et moi, on y va œcuméniquement, c’est-à dire que nos pieds ne trient pas, ils y vont sans condition, à la rencontre de l’œkoumène, la terre habitée !
C’est pratique les pieds ! On prend son temps, on fait la démarche, on accompagne, et on accueille en ouvrant nos portes, les portes de nos paroisses qui, pour nos hôtes, baissent leur seuil !
Elles se mettent au seuil bas, très bas pour qu’on ne se prenne pas les pieds dedans !
C’est vrai qu’on marche et qu’on use ses pieds et ses souliers à la Pasto !
Pierre : Pasto, c’est l’abréviation de : « Pastorale de la Rue », mais c’est aussi un sigle : « Présence, Accompagnement, Solidarité pour Tous les Oubliés » ! ...
Roselyne : Un ministère au service de personnes en bord de route... en bord de vie... à qui du reste on offre des souliers et des chaussettes tricotées main par une paroissienne ! Ils ont les pieds si malmenés, si mal protégés !
Et on s’arrête souvent de marcher, on s’assied avec eux !
Moment d’accueil, de collation, de souper, de prière, de cadeau... Et moment où on peut arrêter de mendier !
En tant que pasteure de rue, je me sens toujours en pèlerinage !
Aller d’un lieu saint ... d’une personne sacrée ... à l’autre... à pied ! Rencontrer d’une étape de vie à l’autre, s’arrêter pour trouver la force de repartir, même chacun de son côté, mais avec la promesse de non-abandon, savoir qu’on va se retrouver ...
Se dire : « à demain ! » parce que demain c’est pas loin, c’est un bout de vie qu’on peut faire à pied !
Amen.