Créationnisme ou évolution?

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Vous connaissez probablement des chrétiens qui affirment que le premier chapitre et le début du deuxième chapitre de la Genèse rapportent ce qui s'est réellement passé. Peut-être défendez-vous vous même cette idée. Peut-être connaissez-vous aussi des croyants qui militent pour que, dans nos écoles, on enseigne à la fois ce que dit la Bible à propos de la création du monde en 6 jours et ce qu'enseigne la science, en particulier sa théorie de l'évolution. Ils mettent ces deux types de vérité sur un pied d'égalité. L'homme a été créé, à leurs yeux et selon les calculs de l'archevêque Ussher de Armagh, le 26 octobre 4004 avant Jésus-Christ à 9h10 du matin. Il faudrait simultanément enseigner que l'homme est le résultat d'une très lente évolution entamée il y a plus de trois milliards d'années avec l'apparition de la vie sur la terre. Pauvres enfants à qui on enseignerait ces deux vérités comme d'égale valeur! Ils ne sauraient vraiment pas à quel sein(?) se vouer.

Mais, simultanément, les enfants ne sont pas si naïfs qu'on le croit. Je passai en juin dernier dans une classe de 6e année d'école, et un garçon de dix ans me demanda comment il se faisait que, d'après le récit de Genèse 1, le jour et la nuit avaient été séparés sur terre le premier jour alors que le soleil n'existait pas encore puisqu'il allait être créé seulement le quatrième jour! Perspicace le petit gars! Comment lui répondre? Probablement parce qu'il me parlait du soleil, j'ai pensé à ce poème dans lequel Baudelaire clame:

Que le soleil est beau quand tout frais il se lève,
Comme une explosion nous lançant son bonjour!
-Bienheureux celui-là qui peut avec amour
Saluer son coucher plus glorieux qu'un rêve!
(Le coucher du Soleil Romantique, Les Epaves, 1866)

Je vous passe la suite. J'expliquai alors à cette classe que ce poème gardait toute sa beauté, même si tout le monde sait que le soleil ne se lève, ni ne se couche. On assiste, en effet, le matin à un coucher de terre et le soir à un lever de terre devant le soleil! On n'irait pas dire: Baudelaire est un mauvais poète parce qu'il est contredit par la science. Un enfant de dix ans sait automatiquement faire la différence entre son livre de poésie et son manuel de sciences. Eh bien! le premier chapitre de la Genèse est un poème et non une page d'un livre de science!
Ce ne peut d'abord pas être une page d'un livre de science parce qu'au VIe siècle avant Jésus-Christ, quand ce texte a été mis par écrit, la science, au sens où nous l'entendons aujourd'hui, n'existait pas. Elle n'existait nulle part sur terre. Elle apparaitra quelques siècles plus tard dans le monde grec et autour d'Alexandrie. Et du reste, ce que nous entendons par science au sens moderne du terme nait seulement à la fin du XVIe siècle – début du XVIIe siècle après J.-C. avec la révolution de Galilée.

Tout en disant que Genèse 1.1 à 2.4a n'est pas tiré d'un livre de sciences, je disais aussi qu'il s'agissait d'un poème. Les rabbins l'ont toujours su. Au moyen-âge, ils représentaient la création telle que rapportée par la Genèse comme un cercle divisé en six parties. Le cercle est le symbole de la totalité et de la perfection. Les six parties sont les six jours de la création. Le septième jour, Dieu a considéré cette création et a pu constater qu'elle était très bonne, d'où le cercle. Les rabbins remarquaient ensuite que chaque jour de la création est divisé en deux actions de Dieu. Le premier jour, Dieu sépare le jour de la nuit, le deuxième, le ciel et la mer, etc. Si on regarde le cercle, on voit alors qu'à la création du jour, le premier jour, c'est le cas de le dire! correspond juste en face, le quatrième jour, la création du soleil. En face de la nuit du premier jour, Dieu suscite la lune et les étoiles. Et voilà que mon petit gars du mois de juin avait reçu sa réponse! Continuons! En face du ciel du deuxième jour, on a les oiseaux créés dans la première partie du cinquième jour et en face de la mer, créée dans la seconde partie de ce même deuxième jour, on a les poissons et les monstres marins, créés eux dans la seconde partie du cinquième. Enfin, les troisième et sixième jours, en face de la création de la terre, on a les animaux terrestres et en face des plantes, on a les humains. Juste en passant, un premier enseignement à en tirer, c'est que l'homme est, selon ce texte, un herbivore, un végétarien!

Mais ce poème veut nous dire encore bien d'autres choses sur notre place dans le monde. Car un poème, comme du reste un roman, un récit de voyage et même les livres scientifiques n'ont d'intérêt pour nous que parce qu'ils nous permettent de comprendre notre vie. Ils nous aident à comprendre ce que nous faisons sur la terre, comment il nous faut y vivre ou au contraire ce qui y est contre-indiqué, ce qui est important, même décisif, et ce qui l'est moins...
Il existe donc des vérités d'ordres différents: des vérités scientifiques du genre: ce n'est pas le soleil qui tourne autour de la terre, mais la terre qui tourne autour du soleil. Mais il existe aussi des vérités de vie: "Bienheureux celui-là qui peut avec amour saluer le coucher du soleil plus glorieux qu'un rêve!"
Et parmi ces vérités de vie, il y a les vérités que nous dispense le premier chapitre de la Genèse. Il nous faut un peu l'examiner maintenant, parce que c'est pour entendre ce type de vérités que nous nous sommes réunis ce matin! Et cela est du reste valable pour tous les textes de la Bible: en les lisant, demandons-nous non pas: est-ce que ça s'est vraiment passé ainsi, mais qu'est-ce que ce texte me dit sur moi-même, sur mes errances, sur ma vie devant Dieu...

Dans le poème de Genèse 1, arrêtons-nous d'abord à cette sorte de leitmotiv: "Dieu dit:... et cela fut". Cela signifie que, comme tout ce qui existe, j'ai été créé. Je suis invité à me reconnaitre créature voulue par Dieu parce qu'importante à Ses yeux. Et, de fil en aiguille, tout mon monde est aussi une création que Dieu a voulue pour que je puisse survivre dans un environnement qui ne soit pas chaotique. Reconnaissant tout cela, je confesse que je suis complètement dépendant de Dieu. Toutes mes idées de radicale indépendance ne sont que des chimères!

Notre poème est alors conduit à lancer une pointe polémique. Nous ne la percevons plus guère aujourd'hui. Quand le quatrième jour, Dieu crée le soleil, la lune et les étoiles, le texte précise qu'ils sont mis là non seulement pour illuminer la terre, mais aussi pour "servir de signes tant pour les fêtes que pour les jours et les années". Ils ne sont pas là pour déterminer le cours de notre vie. Ils n'ont aucun pouvoir sur notre destinée. Dieu seul en est le maitre. Toute ma vie est entre ses mains. Genèse 1 me dit donc que toute confiance en l'astrologie est illusoire et même contraire à la confiance qui doit être mise en Dieu et en Lui seul!
Ensuite, je puis déduire de ce qu'il y a eu création, que l'homme, mais aussi les animaux, les plantes, les étoiles, bref tout ce qui existe n'a pas toujours existé. On ne s'en rend plus du tout compte tant ces idées nous marquent. C'est pourtant quelque chose de radicalement original par rapport à toutes les manières de se comprendre soi-même alors présentes. Les Grecs, les hindouistes, les bouddhistes pensaient tous que tout existe de toute éternité et que nous avons affaire à des cycles avec un éternel retour du même. Soudain, des hommes et des femmes qui mettent leur confiance en un Dieu unique découvrent que, si Dieu est vraiment Dieu, si nous dépendons vraiment de Lui, alors il y a un commencement à toutes choses. Et, s'il y a un commencement, cela signifie qu'il y aura aussi une fin. Et entre deux, il n'y a pas un éternel retour, mais des avancées, des régressions, parfois des cycles, en tout cas la possibilité d'un progrès. Cela signifie aussi que je suis un être relatif : je n'existe qu'à une époque donnée, dans un environnement particulier. Je ne puis dès lors tout connaitre, tout maitriser dans ma vie et dans mon monde...

Une autre chose que me fait découvrir ce grand poème: on ne m'y explique pas comment, dans le détail, Dieu s'y est pris pour créer mon monde, mais ce poème me dit que tout dépend dans mon monde de la parole de Dieu: "Et Dieu dit...". Cela signifie que, si je L'écoute aujourd'hui encore me parler et fais confiance à ce qu'il me dit, il peut créer des choses belles dans ma vie et au travers de ma vie.

Un autre enseignement encore de notre poème découle de ce que j'ai dit tout à l'heure à propos de l'enseignement des rabbins. Le monde que j'habite est une totalité harmonieuse où tout se complète. Cet équilibre, je n'ai pas le droit de le perturber. Si au VIe siècle avant Jésus-Christ on ne pouvait pas encore être scientifique, on pouvait par contre être écologiste! Gare donc à qui déséquilibrera les complémentarités si admirables de notre monde: il y réintroduirait un peu de ce chaos primitif contre lequel Dieu a lutté et continue de lutter en créant continuellement un certain équilibre entre l'ordre et le désordre, entre le jour et la ténèbre...
Dans le même sens, ce poème nous répète avec une certaine régularité qu'après tel jour, "Dieu vit que cela était bon". Le monde dans lequel nous vivons est bon. A l'époque, cela était aussi dit de manière fort polémique. La religion des Perses, qui venaient de renverser les assyro-babyloniens et dont les Israëlites étaient les vassaux, était une religion dualiste. Ils avaient deux dieux. Leur prophète, Zoroastre ou Zarathoustra, avait enseigné que le monde était le champ de bataille entre le Dieu du bien et celui du mal, le Dieu de la lumière et celui des ténèbres. Plus encore: dans le monde, ce qui est matériel émanait du Dieu du mal et le spirituel du Dieu du bien. Il fallait donc vaincre la matière et devenir pur esprit. Cette manière de voir les choses est encore présente dans toutes les religions orientales, mais aussi dans bien des courants religieux d'Occident. Or, contre tout dualisme, notre poème affirme que le monde matériel est fondamentalement bon. Il n'y a donc rien de mauvais en soi dans le fait de bien manger, de se réjouir des beautés de la création, de vivre sa sexualité, de mordre à pleines dents dans la vie... C'est l'usage que nous faisons du monde naturel qui peut être mauvais, pas la nature en elle-même.

Notre poème réserve encore une place bien particulière à l'homme dans cette création. L'homme n'est d'une part qu'une créature parmi tant d'autres, de l'autre il est le couronnement de la création. Cette dernière idée est exprimée par l'idée que nous seuls avons été créés "à l'image de Dieu". Qu'est-ce à dire? que nous sommes tout comme Dieu des "personnes". Autrement dit: tout comme Dieu, nous possédons une part de liberté. Nous pouvons ainsi nous situer par rapport à ce qui nous arrive. Nous pouvons estimer que dans le monde tout va de soi, voire même que tout nous est dû, ou bien nous pouvons décider que tout nous est un don de Dieu et que nous avons à lui en être infiniment reconnaissants, etc.

Ajoutons encore que, créés à l'image de Dieu, nous recevons une part de responsabilité de la part de Dieu dans la gestion de sa belle création. Je dois "dominer" ce monde harmonieux. Aujourd'hui, on préfèrerait dire "gérer". Toujours est-il qu'il n'est pas question, pour que je ne perde pas ma liberté, de me laisser dominer par les animaux, les virus, les forces naturelles... Mais en quoi consiste ma responsabilité de gestionnaire de cette bonne création? Elle consiste à participer à la grande lutte créationnelle de Dieu qui n'a pas pris fin le sixième jour, mais se poursuit maintenant encore. Et en quoi consiste cette lutte de Dieu? Il lutte et nous incite à lutter contre cette ténèbre chaotique qui existe dès lors que la lumière et les ténèbres ne sont pas ou plus distinguées, dès lors que l'ordre et l'harmonie sont rompus, dès lors que le Mal triomphe. La lutte que nous sommes appelés à mener par Dieu et avec Lui est donc celle de nous battre contre le Mal et contre tous les maux qui ne cessent d'assaillir notre monde. C'est là du reste le sens de notre vie!

Le Dieu des chrétiens et des juifs est enfin un dieu qui se repose! Le septième jour, Dieu a regardé et réfléchi. Il nous invite aussi à nous arrêter un jour complet par semaine pour réfléchir et contempler. Je dois, en particulier, réfléchir au fait que, si je suis collaborateur de Dieu dans sa lutte contre le mal, je ne me définis pas par cette lutte, par mon travail, par mes oeuvres. Je vis au contraire de tout ce que je reçois de Dieu et en particulier de sa parole qui fait vivre et qui me permet tout spécialement de vivre en liberté.

Il y aurait encore bien d'autres enseignements à tirer de ce poème qui veut me proposer une manière particulière de comprendre ma vie. Ce que nous en avons déjà dégagé ce matin à propos de la vraie manière de vivre entre Dieu et sa création me semble en tous les cas beaucoup plus intéressant que de savoir que l'homme aurait été créé le 26 octobre 4004 avant Jésus-Christ à 9h10 du matin.

Amen.

Certains militent en Suisse pour la reconnaissance de l'égale valeur de l'évolutionnisme et du créationnisme dans l'enseignement. Le premier scientifique venu sait pourtant qu'un poème, même scientifiquement faux, peut être vrai. Il existe donc plusieurs sortes de vérités. Genèse 1 est vecteur d'une vérité existentielle et non d'une vérité scientifique.
De quelle vérité de vie ?

Détails

Avec la participation de
Hervé Ayer
Orgue
Elie Jolliet
Musique