Rencontrer Dieu dans la nature?

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Écouter le culte :

Certains auditeurs m'écoutent peut-être d'une oreille distraite face à un magnifique paysage. Il se peut aussi qu'ils trouvent que Dieu nous rencontre mieux dans la nature que dans une église poussiéreuse. En tous les cas, j'ai souvent à faire à des gens qui me disent que telle est leur raison d'être croyants sans être pratiquants.

Et vous qui vous êtes déplacés ce matin pour célébrer ce culte dans le temple de Gryon, ne vous feriez-vous pas plus de bien à vous balader sur les chemins qui mènent à Anzeindaz, à Pont-de-Nant ou au Col de la Croix? Et si vous ne pouvez plus faire de grandes randonnées, ne seriez-vous pas tout aussi bien chez vous à contempler les beautés de la création et à vous convaincre que le Créateur est bon, lui qui vous a offert le magnifique panorama du Grand Muveran, des Dents-du-Midi...?

Pourtant, parmi les auditeurs de la RTS ce matin, je suis persuadé qu'il en est quelques-uns qui ne peuvent pas ou plus reconnaitre Dieu dans les beautés de la nature. C'est que leur corps - réalité naturelle s'il en est - s'est détraqué. Ils sont peut-être handicapés. Ou bien ils savent leurs jours comptés. Leur corps les fait souffrir. Il en est certainement d'autres qui ont trop tôt perdu un être cher à cause de la maladie, d'une avalanche, d'un tremblement de terre, d'un tsunami, bref! d'un dysfonctionnement de cette belle création!

C'est que l'on ne peut pas remonter directement de la nature à Dieu, de la création au Créateur. Il y a pour le moins trois raisons à cela.

La première, c'est que la nature est ambigüe. Elle recèle certes des merveilles impossibles à comprendre et à imiter. Prenez un oeil: une petite merveille technique. Impossible de le remplacer par les produits les plus élaborés de notre technologie. On se dit alors: il fallait un fabuleux ingénieur pour concevoir cela. Il est impossible que le hasard et les lois de l'univers aient produit un instrument d'une telle perfection! Mais quand je deviens aveugle, je suis légitimement révolté par le fait que cet ingénieur, reconnu si fabuleux dix ou vingt ans auparavant, n'ait pas inventé un produit plus fiable. Si la nature se dérègle si facilement, c'est que Dieu n'est pas tout-puissant ou que, s'il est tout-puissant, il n'est pas tout bon. Oui! la nature est ambigüe. A ne connaitre Dieu qu'au travers de la nature, on est certain d'être déçu. On risque fort d'envoyer Dieu sur les roses.

La deuxième raison pour laquelle il n'est pas possible de remonter de la nature à Dieu réside en ce que Dieu n'est pas une réalité sensible. Il n'est pas accessible à nos sens. Il est ainsi impossible de prouver l'existence de Dieu à partir de ce que nous connaissons de la nature. Cela a été démontré, voilà un peu plus de deux siècles, par un philosophe allemand du nom d'Emmanuel Kant. Kant a prouvé que nous reconstruisons la réalité dont nous avons une certaine intuition à partir d'un certain nombre de schémas que nous avons dans notre tête. Or, nous n'avons aucune intuition de Dieu. L'évangile de Jean le dit fort bien à la fin de son prologue : « Personne n'a jamais vu Dieu » (Jean 1, 18). On ne peut donc reconstruire la réalité de Dieu sur la base de ce que Kant appelle « les formes de la perception et les catégories de l'entendement » parce que, tout au fond, nous n'en avons aucune intuition. Et dans la foulée, notre philosophe de montrer que toutes les preuves que l'on donnait classiquement de l'existence de Dieu ne valent rien.
Mais, me rétorquerez-vous, la Bible elle-même recèle des textes qui affirment clairement que tout humain peut connaître la réalité de Dieu à partir de la nature. C'est parfaitement vrai! Écoutons à ce propos comment Paul s'exprime à la fin du premier chapitre de sa lettre aux Romains (1.16-23):

« Je n'ai pas honte de la bonne nouvelle ; elle est, en effet, puissance de Dieu pour le salut de quiconque croit, du Juif d'abord, mais aussi du Grec. Car en elle la justice de Dieu se révèle, en vertu de la foi et pour la foi, ainsi qu'il est écrit : Celui qui est juste en vertu de la foi vivra. La colère de Dieu, en effet, se révèle depuis le ciel contre toute l'impiété et l'injustice des gens qui tiennent la vérité captive dans l'injustice ; car ce qu'on peut connaitre de Dieu est manifeste parmi eux : c'est Dieu qui, pour eux, l'a rendue manifeste. En effet, ce qui chez Lui est invisible – sa puissance éternelle et sa divinité – se voit fort bien depuis la création du monde, quand l'intelligence le discerne par ses ouvrages. Ils sont donc inexcusables, puisque, tout en ayant connu Dieu, ils ne l'ont pas glorifié comme Dieu et ne lui ont pas rendu grâce ; mais ils se sont égarés dans des raisonnements futiles, et leur cœur sans intelligence a été plongé dans les ténèbres. Se prétendant sages, ils sont devenus fous et ils ont changé la gloire du Dieu impérissable en des images représentant l'être humain périssable, des oiseaux, des quadrupèdes et des reptiles. »

Paul veut montrer que personne ne peut s'excuser de ne pas connaitre Dieu. On peut Le connaître, même si on n'est pas juif et qu'on ne l'a pas connu par Moïse et par la Bible.
Certes, Paul dit cela, mais il affirme aussi que personne n'a jamais vraiment connu Dieu à partir de la nature. On pourrait théoriquement le connaitre ainsi, mais, de fait, personne ne l'y reconnait authentiquement. Pourquoi cette différence entre la théorie et la pratique? Parce que nous sommes de fait incapables de connaitre naturellement Dieu. Notre esprit est ainsi formaté que nous prenons dans la nature ce qui nous convient pour nous fabriquer un Dieu qui réponde à nos attentes: une idole. Nous ne laissons pas Dieu être Dieu parce que nous sommes radicalement séparés de Lui. Dans le vocabulaire de Paul: nous sommes pécheurs. Nous nous mettons nous-mêmes au centre plutôt que d'y mettre Dieu. Résultat: Nous ne pouvons connaitre Dieu à partir de la nature parce que 1. la nature est ambigüe, parce que 2. nous n'avons aucune intuition de Dieu (personne ne l'a jamais vu) et parce que 3. nous sommes pécheurs, radicalement coupés de Lui et donc incapables de le reconnaître pour ce qu'Il est.

Alors, comment connaitre Dieu si ce n'est pas possible naturellement? Un texte de l'Ancien Testament offre une réponse claire à pareille question. Il s'agit de la révélation de Dieu au prophète Élie sur le mont Horeb. Cette montagne est la même que le mont Sinaï. Situons brièvement ce texte: le prophète Élie a été l'instrument de Dieu pour vaincre les prophètes de Baal au mont Carmel. Cela provoqua l'ire du pouvoir royal. Élie dut fuir au désert. Il y connut une profonde déprime. Il était certain que tout le peuple d'Israël avait abandonné son Dieu. Or, Dieu le remet sur pieds et le fait aller jusqu'à la montagne de la rencontre. Écoutons ce texte (I Rois 19.9-16):

« Élie entra dans une grotte et y passa la nuit. Soudain, la parole du Seigneur lui parvint qui lui disait : Que fais-tu ici Élie ? Il répondit : J'ai montré une passion jalouse pour le Seigneur, le Dieu tout puissant ; car les Israëlites ont abandonné ton alliance, ils ont rasé tes autels, ils ont tué tes prophètes par l'épée ; moi, je suis resté seul et ils cherchent à me prendre la vie ! Dieu reprit : Sors et tiens-toi dans la montagne, devant le Seigneur. Or le Seigneur passait. Un grand vent violent arrachait les montagnes et brisait les rochers devant le Seigneur : le Seigneur n'était pas dans le vent. Après le vent, ce fut un tremblement de terre : le Seigneur n'était pas dans le tremblement de terre. Après le tremblement de terre, un feu. Le Seigneur n'était pas dans le feu. Enfin, après le feu, un calme, une voix de silence. Quand Elie l'entendit, il s'enveloppa le visage de son manteau, sortit et se tint à l'entrée de la grotte. Soudain une voix lui dit : Que fais-tu ici, Elie ? Il répondit : J'ai montré une passion jalouse pour le Seigneur, le Dieu tout puissant ; car les Israëlites ont abandonné ton alliance, ils ont rasé tes autels, ils ont tué tes prophètes par l'épée ; moi, je suis resté seul et ils cherchent à me prendre la vie ! Le Seigneur lui dit : Va, reprends ton chemin par le désert jusqu'à Damas ; quand tu y seras arrivé, tu confèreras l'onction à Hazaël pour qu'il soit roi sur Aram. Tu conféreras l'onction à Jéhu, fils de Nimshi, pour qu'il soit roi sur Israël ; et tu confèreras l'onction à Elisée, fils de Shaphath, d'Abel-Mehola, pour qu'il soit prophète à ta place. »

Dieu n'était donc dans aucun des éléments plus impressionnants les uns que les autres de la nature. La nature a beau se déchainer, impressionner le prophète, il fait cette expérience que Dieu n'y est pas présent. Il n'y est en tous les cas pas immédiatement présent. On ne peut pas le connaitre par ce biais-là. Nous ne pouvons que l'y reconnaitre. Il y a dans cette absence de Dieu une confirmation pour Élie qu'il avait raison de rester fidèle au Dieu de ses pères. En effet, le dieux cananéens auxquels son peuple s'était rallié, étaient des dieux immédiatement liés à la nature et à ses effets les plus spectaculaires.

Notre texte en dit toutefois davantage. Élie, une fois la nature apaisée, découvre que Dieu, s'il n'est pas présent dans la nature, l'est dans une voix. Le texte dit littéralement: "une voix de silence". Il s'agit, en contraste aux déferlements de la nature, d'une réalité d'abord caractérisée par sa faiblesse. Cette voix, il faut faire totalement silence en soi et autour de soi pour pouvoir l'entendre. Mais il s'agit surtout d'une réalité d'un tout autre ordre que celui de la relation au monde naturel. Une parole caractérise habituellement les relations interpersonnelles. La nature ne parle que métaphoriquement. C'est un autre humain qui habituellement use de la parole articulée pour me communiquer quelque chose. Le Dieu de la Bible est ainsi fondamentalement - en analogie aux relations interhumaines - un dieu personnel qui me rencontre non au travers de la nature, mais au travers d'une parole. Il s'agit d'un Dieu qui veut me communiquer quelque chose, pas un Dieu face auquel je devrais être terrorisé tant ses effets spéciaux sont spectaculaires.

Comment cette parole fut-elle adressée à Élie? Comment fit-il pour la percevoir? le texte ne nous dit rien à ce propos. Reste que le Dieu d’Élie, comme déjà celui d'Abraham,de Moïse, plus tard celui de tous les prophètes, est un Dieu qui parle. Le prologue de l'évangile de Jean nous le rappelle très clairement: "Au commencement était la parole (…) ; la parole était Dieu" (1.1). Et Jésus y est présenté comme la parole faite homme (1.14). Déjà les auteurs du premier chapitre de la Genèse qui nous décrit - nous y reviendrons dans trois semaines - la création du monde savaient fort bien que c'est par sa parole que Dieu crée. « Et Dieu dit: qu'il y ait de la lumière et il y eut de la lumière... »

Résumons-nous! Dieu n'est pas connaissable par notre rapport à la nature. Il nous rencontre par contre par sa parole. Nous ne pouvons le connaitre que dans sa parole.

Si nous nous sommes rassemblés dans ce temple de Gryon, si vous m'écoutez sur les ondes de la radio, c'est donc parce que le Dieu des chrétiens est un Dieu qui parle et qu'il nous a chargés de transmettre sa parole autour de nous. Mais que nous dit-il d'essentiel dans cette parole? En Jésus, il est venu centralement nous affirmer qu'il nous aime, que nous avons une immense importance pour Lui, que notre vie a donc une valeur absolue à Ses yeux. Paul l'exprime en terme de justification de notre vie. Ce qui rend notre vie juste, ce qui lui donne sa valeur, son sens, c'est que chacun de nous est important pour Dieu. Nous avons même une valeur si grande à Ses yeux qu'il nous a donné son fils unique afin que nous puissions mettre notre totale confiance en Lui et participer à la vraie vie. Et si nous avons une telle importance pour Dieu, c'est qu'il veut nous utiliser dans le plan qui est le sien.

Est-ce que cette incommensurable importance aux yeux de Dieu nous permet alors de recomprendre notre rapport à la nature, nous permet de reconnaitre Dieu à l'oeuvre dans la nature? Il vaut la peine de se poser la question, car nous étions restés à ce propos sur une note un peu mitigée. La nature est ambigüe, affirmions-nous. Nous ne la comprenons donc pas très bien. Autrement dit encore: elle nous inquiète. Nous aimerions bien pouvoir nous situer correctement tant face à ses aspects positifs que face à ce qui en elle nous fait mal.

Repartons donc de cette valeur infinie qui est la mienne aux yeux de Dieu. Si j'ai une telle valeur, c'est donc que Dieu a voulu que j'existe. En ce sens, je le confesse comme mon créateur. Le besoin de mes parents de s'assurer une descendance, leur instinct de conservation, leur recherche de plaisir ne sont jamais que des moyens que Dieu a utilisés pour que cet ovule et ce spermatozoïde se rencontrent... Si Dieu a voulu mon existence, il pourvoit aussi à sa conservation. Je puis ainsi recevoir la nature qui m'entoure comme le don que Dieu me fait des éléments nécessaires à ma survie. Dieu n'est donc pas seulement mon créateur, mais le créateur de tout ce qui existe. Remarquez le cheminement. On ne part plus de la nature pour aller à Dieu. On part de la parole que Dieu nous a dite en Jésus pour recomprendre la nature, ce que nous y faisons et ce que nous sommes appelés à y faire.

Ce faisant, je ne saurais esquiver le problème posé dans la première partie de cette méditation: celui du mal naturel. Comment le recomprendre à partir de la parole que Dieu m'a dite en Jésus? Je tombe malade, je suis atteint par un handicap physique plus ou moins grave, j'ai perdu un être cher dans un tsunami, une avalanche, une éruption volcanique. Comment tout cela est-il compatible avec ce Dieu pour qui j'ai une importance absolue, pour qui chaque être humain a une importance décisive?

Rapidement dit: il s'agit de se demander ce que, là aussi, Dieu, créateur du ciel et de la terre, de tout ce qui existe, veut me communiquer par ce qui m'arrive naturellement parlant. La Bible nous aide à le saisir. Les hommes de la Bible l'ont de fait compris de deux manières différentes. Elles dépendent de leur relation personnelle à Dieu. Le livre de Job, de ce croyant pur sucre, comprend le mal naturel qui tombe sur son héros comme une mise à l'épreuve de sa foi. Dieu teste, par l'intermédiaire de son ministre de la tentation, la confiance que Job a mise en Lui. Il veut empêcher la foi de Job de devenir habitude et de s'étioler.

Mais tout le monde n'est pas un juste, intègre et droit, mettant sa confiance en Dieu seul comme l'était Job. Nous l'avons dit, nous sommes pécheurs, coupés de Dieu. Comment alors recomprendre les malheurs naturels ou non qui nous touchent? Écoutons à ce propos comment Ezéchiel interprète la déportation du peuple d'Israël à Babylone (Ez 39,23-29) : « Les nations sauront que c'est à cause de ses fautes que la maison d'Israël a été exilée, à cause des sacrilèges qu'elle a commis envers moi ; c'est pour cela que je me suis détourné d'eux et que je les ai livrés à leurs adversaires, afin qu'ils tombent tous par l'épée. Je les ai traités selon leurs impuretés et leurs transgressions, et je me suis détourné d'eux.
À cause de cela, ainsi parle le Seigneur Dieu : Maintenant je vais rétablir la maison de Jacob et je montrerai une passion jalouse pour mon nom sacré. Ils resteront chargés de leur confusion et de tous les sacrilèges qu'ils ont commis envers moi, alors même qu'ils habiteront en sécurité sur leur terre et qu'il n'y aura personne pour les troubler. Quand je les ramènerai d'entre les peuples, quand je les rassemblerai des pays de leurs ennemis, je montrerai ma sainteté parmi eux sous les yeux d'une multitude de nations. Ainsi on saura que je suis le Seigneur, leur Dieu, quand, après les avoir exilés parmi les nations, je les aurai réunis sur leur terre ; je ne laisserai là-bas aucun d'entre eux et je ne me détournerai plus d'eux, car j'aurai répandu mon souffle sur la maison d'Israël – déclaration du Seigneur Dieu. »

Attention cependant! quand le peuple d'Israël qui s'est éloigné de Dieu subit ce malheur terrible de la déportation, il relit ces événements - mais ce pourrait aussi être un tsunami, un tremblement de terre - non comme une punition de Dieu, mais comme un rappel à l'ordre. Le peuple est mis à l'épreuve afin qu'il cesse de s'éloigner toujours plus de Dieu. Le malheur est là pour pédagogiquement l'obliger à réfléchir et à revenir à cette confiance si essentielle en son Dieu aux yeux duquel il possède une importance si grande.

Résultat de cette troisième partie de notre réflexion: relisant à la lumière de la parole d'amour que Dieu nous a dite en Jésus notre rapport à la nature, nous nous découvrons les créatures de Dieu, nous recevons le monde naturel comme la bonne création de Dieu et nous percevons les maux naturels comme autant de mises à l'épreuve que Dieu nous adresse pour pédagogiquement renforcer notre confiance en Lui ou pour nous faire revenir à Lui.

Amen.

Nombre de personnes disent préférer rencontrer Dieu le dimanche matin en faisant une belle balade dans la nature plutôt qu'en s'enfermant dans une église poussiéreuse. Mais comment rencontrer Dieu dans la nature quand celle-ci se déchaîne? Pour rencontrer Dieu, il faut d'abord qu'Il nous rencontre dans une « voix de silence », en laquelle mettre toute sa confiance. Après quoi on peut relire la nature comme bonne création de Dieu.

Détails

Avec la participation de
Hervé Ayer
Orgue
Samuel Cosandey
Musique
"Duo la Chapelle "avec Samuel Cosandey à l'orgue et Jean-François Simon au serpent (instrument de la renaissance, ancêtre du tuba)