Sous le feuillage: les oiseaux du ciel

Temple protestant de Sion (©Paroisse protestante de Sion)

Écouter le culte :

Ce matin, je vais laisser Jonas à son sort et me consacrer à la parabole de la graine de moutarde. Pour celles et ceux qui seraient frustrés de ne rien entendre sur Jonas, je leur donne rendez-vous dimanche prochain ici même et sur Espace 2 pour entendre la prédication de ma collègue Sara Schulthess.

La parabole de la graine de moutarde donc… Deux petits versets de rien du tout, une histoire simple : un homme qui sort dans son champ, qui sème une graine, puis qui contemple le résultat. Rien de plus banal dans la Palestine agricole du temps de Jésus. Et pourtant, cette petite histoire, cette parabole, pose bien des problèmes de compréhension quand on y entre dans le détail.

Le principal problème vient du sens du mot qui est traduit en français par « moutarde ». Vous allez me dire que tout le monde sait ce que c’est de la moutarde ! C’est le condiment le plus utilisé en Suisse. Oui certes….

Mais la question, c’est : quelle est exactement la plante qui est désignée par le mot grec « sinapi » (celui qui est traduit par « moutarde ») dans cette parabole ? Alors autant le dire, j’ai parcouru pas mal de livres, d’encyclopédies, de recherches et j’ai finalement réalisé qu’on ne sait pas grand-chose sur l’agriculture en Galilée au temps de Jésus, on connaît les grandes lignes bien sûr, mais les détails, comme de savoir quelle est la plante appelée sinapi en grec…

Il y a bien sûr des hypothèses, mais aucune de fait l’unanimité. Grosso modo, il semble que deux plantes différentes sont nommées « sinapi», « moutarde » donc, en ce temps.

Soit le mot désigne le moutardier que nous connaissons. C’est une plante qui est semée en plein champ et dont la graine est effectivement minuscule comme le raconte la parabole, mais le problème c’est que ce n’est pas un arbre, loin de là, tout au plus un buisson d’environ 40 cm de haut. Donc, pas de branches véritables pour ce buisson et donc pas d’abri pour les oiseaux du ciel possible. Le moutardier ne correspond pas tout à fait à ce qui en est dit dans la parabole.

Soit, ce même mot désigne un grand arbre qui peut offrir un abri aux oiseaux du ciel, mais sa graine n’est pas si petite que cela, elle a la taille d’un gland, mais surtout ce n’est pas une plante que l’on sème en plein champ. Dans ce cas de figure, dire que l’on sème cette plante dans un champ serait aussi bizarre que de dire que l’on sème des abricotiers dans un champ ! Là non plus, cet arbre ne correspond pas à ce qui en est dit dans la parabole.

Bref dans les deux cas, ça ne joue pas : la parabole n’est pas cohérente, pas plus que réaliste. D’un point de vue botanique, scientifique, l’histoire que Jésus raconte ne tient pas debout. Soit il devrait parler d’un buisson, né d’une petite graine qui est semée dans un champ, soit il devrait parler d’un arbre, né d’un gland et qui n’est pas planté dans un champ.

Mais qu’est-ce que j’entends ? un murmure d’interrogations voire de contestations venant de la régie ? J’entends la voix de Michel Kocher, notre commentateur du jour, qui murmure intérieurement : « Mais que viennent faire ses considérations d’histoire botanique dans une prédication lors d’un culte chrétien ? Je ne suis pas venu commenter un cours d’histoire, de botanique, de linguistique – je suis venu commenter un culte protestant. Pensez-donc, je suis le commentateur de la plus ancienne émission radio de Suisse romande diffusée sur Espace 2 et voilà que j’ai l’impression d’écouter ‘Côté jardin’ sur La Première ! C’est vrai quoi, je ne viens pas au culte pour écouter un cours sur les variétés de moutarde à travers les âges. Je ne viens pas au culte pour me cultiver, même si cela peut arriver ; je viens au culte pour des motifs spirituels, existentiels. Je viens au culte pour vivre une expérience spirituelle qui me fait me développer ou qui me permet de me nourrir spirituellement. »

Rassure-toi, cher Michel, je t’entends et je pourrais même partager tes murmures. Mais je te demande un peu de patience…

Car, il en va de la spiritualité comme de la cuisine. On peut trouver de la nourriture prête à l’emploi, genre surgelé qu’il suffit de mettre aux micro-ondes et ça y est, j’ai de quoi manger. J’en utilise de temps en temps et cela rend bien service. Mais on peut aussi préparer l’intégralité de son repas soi-même, en choisissant ses ingrédients au marché de Sion le vendredi, en épluchant ses légumes, découpant sa viande, apprêtant les mets, les cuisant longuement et les dressant dans une assiette dont l’esthétique stimule l’appétit et enrichit le plaisir du repas.

Il en va de même dans le domaine spirituel, on y trouve souvent du prêt à consommer et parfois du « fait-maison ». Et ce fait-maison, dont j’ai la faiblesse de croire qu’il est plus nourrissant, meilleur et plus saint (avec un t bien sûr) que le prêt-à-croire, ce fait-maison c’est ce que j’ai l’ambition de vous proposer ce matin. Alors patience, ne décrochez pas, ne zappez pas et revenons à notre texte.

Comme je vous le disais, quelle que soit la variété de moutarde dont il est question dans cette parabole, la parabole ne fonctionne pas d’un point de vue logique. Le discours de Jésus n’est pas très cohérent et sa description d’un phénomène naturel n’est pas réaliste. Et cette réalité, à priori dérangeante, il faut la reconnaître et l’admettre, plutôt que de chercher à tordre le texte pour qu’il corresponde à tout prix aux données biologiques, ou pire encore, tordre les données biologiques ou scientifiques pour qu’elles correspondent aux textes bibliques. Dans les deux cas, la Bible n’est pas respectée. Et quand la Bible n’est pas respectée, le message chrétien s’affadit.

Il y a des passages bibliques dont il faut savoir admettre l’incohérence logique ou scientifique et s’interroger : quelle conclusion tirer de cette incohérence ? C’est ce que j’aimerais faire avec vous maintenant.

Pour le dire un peu caricaturalement : soit on considère que le texte biblique, et avec lui, l’enseignement de Jésus, n’est pas crédible, car il n’est pas réaliste, il contient trop d’erreurs concrètes. L’enseignement biblique, et du coup aussi la vie chrétienne qui s’y appuie, devient un discours sans consistance réelle. Et il ne vaut pas la peine de s’y attarder. Circulez, y a rien à voir !

Pourtant on peut aussi voir les choses autrement et considérer que le texte biblique nous dit quelque chose à travers ce qui nous semble être des illogismes. Ce qu’il nous dit, c’est que le monde authentique ne se limite pas au biologique, au réel visible et sensible. Que le monde, celui dans lequel je vis, ce monde n’est pas qu’un enchainement parfaitement logique de réalités concrètes mesurables et toujours solidement articulées entre elles.

Dans l’enseignement de la Bible, dans celui de Jésus, le monde a plus que quatre dimensions (hauteur, largeur, profondeur et temporalité) et c’est cette découverte que provoque la parabole. Elle commence dans un monde connu, logique, rationnel, puis tout à coup, un petit détail linguistique vient rompre cet ordonnancement :  ici c’est la description d’un buisson qui a des branches d’arbre. Et cette rupture vient nous ouvrir à une autre dimension : celle de Dieu. Du coup le monde ne s’arrête pas à ce que j’en perçois logiquement, mais s’ouvre sur cette autre dimension que Jésus appelle parfois, comme c’est le cas ici :  le Royaume des cieux.

Si cette manière de voir les textes bibliques est correcte, si elle reçoit votre adhésion, alors bien des choses s’éclairent et s’expliquent. Alors, le texte biblique, c’est le moyen de nous faire entrer et naviguer dans cette autre dimension de l’existence. Le texte biblique est à la fois la clef et la carte de cette autre dimension de l’existence. Une dimension tout aussi réelle que les quatre autres. Une dimension spirituelle qui nous présente, non pas un Dieu rationnel et logique ; mais simplement plausible et proche. Un Dieu qui ne se réduit pas à un système clos de doctrines, mais qui entre en interaction avec nous par sa Parole.

Si cette manière de voir les textes bibliques est correcte, si elle reçoit votre adhésion, alors le texte biblique ne nous décrit pas seulement le présent, mais ouvre pour nous une perspective d’avenir qui se propose et qui nécessite un engagement.

Car c’est de cela dont il est question dans cette parabole : du Royaume des cieux, du monde voulu par Dieu. Ce monde qui est comparé non pas à une graine, mais à une graine semée – c’est-à-dire rendue féconde par l’engagement humain.

Le Royaume des cieux, ce n’est pas une petite graine, mais une petite graine que quelqu’un a pris la peine de saisir et de semer, d’en faire quelque chose. La graine, c’est la Parole de Dieu. La graine semée, c’est la Parole saisie par l’humain décidé à en faire quelque chose dans sa vie.

Celui ou celle qui se saisit de cette parole pour s’y engager, nous dit la parabole, celle-là, celui-là verra des choses improbables devenir possible : la plus petite des graines ne donnera pas un simple buisson mais un véritable arbre aux proportions qui dépassent l’imagination

Celui ou celle qui se saisit de cette Parole pour s’y engager, celle-là, celui-là verra l’inimaginable devenir envisageable : les oiseaux du ciel insaisissables et fascinants viendront habiter à l’abri de ses branches : offrant les prémices d’une création réconciliée.

Et toi, toi qui m’écoutes ce matin, toi qui sais que la vie n’a pas que quatre dimensions, toi qui t’es engagé avec la Parole qui vient d’ailleurs, toi qui l’as semée dans ta vie et qui essaies de la faire fructifier : toi, tu pourras te reposer, te laisser bercer par le chant des oiseaux, tu pourras jouir de l’ombre durant les chaudes journées d’été.

Car là où il n’y avait rien d’autre qu’une petite graine, il y a maintenant une oasis de paix pour toi.

Amen.

Branches qui s’étendent jusqu’au ciel ou arbrisseaux, les arbres dans la Bible nous disent quelque chose de la présence de Dieu dans nos vies. Au cœur de l’été, installons-nous à l’ombre de ceux-ci pour méditer deux textes à feuillage, la parabole de la graine de moutarde et le chapitre 4 du livre de Jonas.

Détails

Avec la participation de
Emilie Brat, pour les lectures
Orgue
Jean Cyril Herren
Musique
Camille Ducroux, au violoncelle