La nature: un paradis?

©Alexandra Urfer Jungen

Écouter le culte :

Ésaïe 32, 15-20

15 Un jour, le Seigneur répandra sur nous son Esprit. Alors les terres incultes deviendront un verger et le verger une forêt.
16 Le droit sera chez lui dans ces terres aujourd'hui incultes, et la justice régnera dans le verger.
17 La justice produira la paix, elle créera pour toujours tranquillité et sécurité.
18 Son peuple habitera une oasis de paix, il vivra en sécurité, au repos et sans souci.
19 La forêt s'écroulera sous la grêle, la ville s'effondrera.
20 Mais quel bonheur pour tous, de pouvoir semer partout près de l'eau, et de laisser le bœuf ou l'âne aller et venir librement !

Après plus de deux années sans culte dans cette chapelle, crise sanitaire oblige, il a fallu qu’une petite équipe monte ici, début juillet, pour dépoussiérer les lieux, enlever les toiles d’araignée, rouvrir les volets et veiller à ce que tout soit en ordre et utilisable. Et croyez-moi, dans une vieille chapelle comme celle-là, en deux années, il peut s’en accumuler de la poussière et des toiles d’araignée ! Mais cela vaut la peine, car sous la couche de poussière accumulée, il arrive que l’on puisse trouver de belles surprises, voire de petits trésors.

Il en va de même pour les textes de la Bible. On croit les connaître, mais en fait, est-ce qu’on les lit encore vraiment ? Est-ce qu’on les dépoussière des 1'000 préjugés qui se sont accumulés année après année, à force des les lire par habitude ou dans un train-train habituel ?

Car soyons honnêtes, que l’on soit un lecteur régulier ou une lectrice plus occasionnelle, voire même quelqu’un qui ne lit pas, ou presque pas, la Bible, nous avons toutes et tous un peu ou beaucoup de préjugés, de précompréhensions sur la Bible, sur ce qu’elle contient, sur la juste manière de la lire ou sur les enseignements que l’on peut en tirer. Je connais même des personnes qui, avant même d’avoir lu un texte biblique, savent déjà ce qu’elles vont en retirer. Et c’est profondément dommage de laisser ainsi les textes bibliques s’enliser dans la poussière des préjugés accumulés, parce que c’est comme laisser un bel objet sous une accumulation de poussière ou de toiles d’araignée.

En faisant cela avec les textes bibliques, on risque de passer à côté d’une chose qui peut embellir la vie, voire même lui donner du sens et même davantage, la sauver de l’absurde et du néant.

C’est dans cette perspective que je vous propose de vous lancer avec moi dans une opération de dépoussiérage et d’exploration, pour partir à la découverte de quelques brèves lignes regroupées dans un des livres de la Bible : celui du prophète Ésaïe.

Alors je sais, ce n’est pas le plus récent des livres et, à priori, pas le plus moderne. On a fait plus récent et plus moderne depuis la Bible. Mais qui peut encore croire que parce que c’est récent, c’est mieux ? Un nouveau variant du Covid par exemple, plus neuf et plus récent, c’est pas vraiment mieux, non ?

Mais je m’égare, pardon, et revenons-en aux lignes du livre du prophète Ésaïe. Cela fait à peu près 2'500 ans qu’elles ont été mises par écrit, mais croyez-moi, elles peuvent encore contenir des choses intéressantes et de belles surprises. Ça ne vous est peut-être pas apparu clairement à une première écoute, et c’est pourquoi que je vous invite à vous y replonger avec moi maintenant et au début, de vous souvenir que tout commence de manière, finalement, peu surprenante.

« Un jour, le Seigneur répandra sur nous son Esprit. Alors les terres incultes deviendront un verger et le verger une forêt. »

Tout commence donc par une annonce qui est aussi une promesse. Une promesse, cela semble à priori pas grand-chose, cela nous apparaît comme un truc un peu vague et pas vraiment solide. Pourtant toutes nos vies, les relations entre nous, reposent sur des promesses. Les choses les plus essentielles de la vie reposent sur des promesses.

Par exemple, si je dis à mon fils : « je te retrouve ce soir à 8h30 au cinéma », sans utiliser le mot, c’est une promesse que je lui fais et si je ne tiens pas ma promesse, si je ne me retrouve pas là à 8h30, ce sera cause de déception, de tristesse ou de colère.

Autre exemple. Si un ami me dit : « j’aimerais pouvoir venir souper chez vous, mardi 17, à 18h30 », et que je lui réponds, « oui, tu es le bienvenu », eh bien, ce sont deux promesses que nous échangeons. Lui me fait la promesse de sa venue, et moi, je fais la promesse de l’accueillir.

Ou lorsque Ruth dit à ses musiciens : « je compte sur vous pour le culte à 10h00, dimanche », et qu’ils lui répondent « oui », ils lui font une promesse ; pas forcément d’engagement écrit, de contrat signé ou de réclamation chez un notaire possible, mais un échange de parole donnée, une promesse.

Alors vous pouvez réfléchir aussi à tous ces moments dans vos vies qui sont basés sur une promesse, qu’elle soit petite ou qu’elle soit grande. Réfléchissez juste dans les 24 dernières heures ; je suis sur que vous trouverez un exemple et vous réaliserez vite quelle place essentielle la promesse tient dans nos vies. 

Dans Ésaïe donc, au commencement était une promesse. On ne sait pas quand elle se réalisera, ce sera pour un jour, pour un futur indéterminé un peu vague. Et ce qui est promis est d’abord exprimé par quelque chose d’assez général :

« Un jour, le Seigneur répandra sur nous son Esprit. »

Cela veut dire quoi ? Plus largement, que des choses extraordinaires, cette onction, cette promesse du don de l’Esprit, c’est d’abord la promesse d’une proximité, d’une intimité : le Seigneur promet sa présence à côté de nous. Une promesse de proximité mais aussi de plénitude. Une promesse de communion, pour utiliser un vocabulaire plus traditionnel, mais une promesse de communion qui ne reste pas vague. Non, cette promesse se concrétise dans des effets concrets, car la communion produit toujours des effets.

Alors, dit le prophète Ésaïe :

« Les terres incultes deviendront un verger et le verger une forêt. »

Évidement dans le contexte verdoyant du Valais et avec les jours pluvieux, que dis-je, les jours de déluge que nous avons traversé depuis des semaines, l’image du verger verdoyant perd un peu de sa force. Mais faites jouer votre imagination et projetez-vous dans la campagne du pays d’Israël : un pays où l’eau est rare, les terres désertiques, le sol poussiéreux et aride. Un pays où les terres déssechées sont légion, les vergers rares et précieux, les forêts quasi inexistantes.

Par contraste avec cette réalité desséchée, la promesse du prophète évoque une nature généreuse où il fait bon vivre, où chaque instant n’est pas consacré à lutter pour la survie, où il n’y a qu’à tendre la main pour cueillir un fruit mûr et savoureux. Bref, le prophète nous promet une vision idyllique de la nature, un vrai jardin d’Éden. Un petit coin de paradis, comme lorsque nous quittons la ville pour une balade dans la nature. On prend ses chaussures, sa voiture, son vélo ou sa moto et on s’élève dans les montagnes, dans la nature verdoyante où tout nous semble pur, généreux. Comme je l’ai dit : un vrai petit paradis.

Mais au final, du moins à ce point du texte, rien de bien extraordinaire : la promesse d’un paradis de nature, généreux, harmonieux. Beaucoup de personnes en rêvent et beaucoup de personnes en font la promesse.

Mais c’est après que cela devient plus intéressant et un peu plus surprenant. Parce qu’après nous avoir promis un verger luxuriant plein de fruits, le prophète poursuit en ces termes :

« Le droit sera chez lui dans ces terres aujourd'hui incultes, et la justice règnera dans le verger. »

Droit, justice… avec ces mots, nous entrons dans un autre univers, nous ne sommes plus dans la nature spontanée et généreuse, nous ne sommes plus dans le jardin d’Éden, mais dans un univers de valeurs éthiques et morales qui construisent une société humaine. Ici il est question de droit, de justice et de leur fruit, qui est la paix. On est passé d’une nature généreuse et spontanée à un univers organisé selon des règles éthiques.

En fait, le prophète nous promet quelque chose qui mélange les deux : d’une part, de la nature généreuse, et de l’autre part, du droit et de la justice. Ce n’est plus une nature virginale qui est décrite, mais une nature ordonnée selon des valeurs éthiques fortes. Et c’est ça qui a retenu mon attention : le mélange des deux.

Le paradis – pardonnez-moi de choquer peut-être certaines et certains d’entre-vous – ce n’est pas que la nature généreuse et spontanée. Le paradis, ce n’est pas qu’une société organisée où chacun a sa place et où chacun a de quoi vivre. Le paradis, c’est un joyeux mélange entre la spontanéité et la générosité d’une nature qui se déploie et des règles éthiques et morales qui structurent notre vie.

J’ai dit tout à l’heure que le paradis, c’était pas simplement la nature généreuse, parce que la nature, ce n’est pas que de la générosité – vous le savez, la nature ne respecte pas des règles éthiques et morales. La seule règle de la nature est la survie et la perpétuation des espèces.

Est-il juste que les dinosaures aient disparu il y a quelques millions d’années ?
Est-il juste que les termites dévorent le bois ?
Est-il juste que les lions attaquent les antilopes en commençant par les plus faibles ? 

On peut bien sûr expliquer ces phénomènes, montrer qu’ils obéissent à des règles biologiques ou à des cycles d’adaptation, ou plutôt de non-adaptation pour ce qui concerne les dinosaures. Mais peut-on dire que cela soit juste ; que cela soit conforme au droit ? La question en elle-même est même absurde, car la nature en tant que telle n’a pas comme objectif la justice, elle n’obéit pas à des valeurs éthiques pour se perpétuer. Dans sa lutte pour la perpétuation de l’espèce, toutes les tactiques sont bonnes et semblent permises.

La promesse que nous délivre le prophète n’est donc pas celle d’une nature idéale dans une espèce de pureté originelle ; mais il déploie à nos oreilles la promesse d’un monde où, d’une part, les valeurs éthiques donnent sens à ce monde et d’autre part, la générosité de la nature fournit de quoi vivre

Le prophète vient nous redire que pour nous, les humains, il n’y a pas de paradis sans valeurs éthiques fortes qui structurent la vie de chacune et de chacun et de tous ensemble.

Le monde que nous connaissons est toujours la combinaison de deux dimensions. La combinaison d’une nature qui obéit à ses propres lois, où les choses s’enroulent les unes après les autres dans un mécanisme bien connu, ou de mieux en mieux connu. Et de l’autre côté, des valeurs éthiques qui nous disent que le biologique n’est pas tout ; qu’il y a plus que la cellule, qu’il y a plus que la biologie, qu’il y a plus que les mécanismes de reproduction et de perpétuation de l’espèce.

Le paradis, c’est la générosité de la nature combinée à la justice, au droit et à la paix.

Pourtant, dans cette vision idyllique, voilà que surgit un couac :

« La forêt s'écroulera sous la grêle, la ville s'effondrera. »

Surprenante cette mention négative de destruction ! Jusqu’à présent, le prophète nous dit : paradis de justice, paradis de générosité, paradis de nature… Et tout d’un coup : « mais le verger, la grêle, terminé, la ville s’effondre, fini… » Pour tout dire, dans cette vision idyllique, ça fait un peu tache.

Cette mention de destruction nous redit combien la Bible est un livre réaliste, même quand elle annonce un futur meilleur. Par cette mention, elle nous redit qu’il n’y a pas de construction d’un monde meilleur sans une part de destruction de l’existant. Il n’y a pas d’avancer sans renoncement et sans renoncement douloureux parfois. Il n’y a pas de futur sans qu’une part de ce qui vient du passé ne soit détruit.

Le message est peut-être dur à entendre tant il nous arrive de rêver de manière complètement angélique. Car comme le dit le proverbe populaire, on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre et le sourire de la laitière en plus ! Lorsqu’on veut construire un monde meilleur, il faut aussi accepter de renoncer à des choses et de voir des choses anciennes détruites.

Je vous ai parlé d’avenir, je vous ai parlé de nature, je vous ai parlé de renoncement, et peut-être que vous êtes en train de vous dire : oui, mais la foi dans tout cela ? Même si je n’en ai pas parlé explicitement jusqu’à présent, la foi est présente partout dans ce texte. Car la foi, c’est avant tout une démarche de confiance. Or la confiance est à la base de la promesse. Pour que je reçoive une promesse comme une vraie promesse, crédible et aidante, il est nécessaire que je fasse confiance à la personne qui me fait une promesse. Si mon ami me dit : « je viens le 17 août à 18h30 », pour que je me prépare à l’accueillir, il faut que je lui fasse confiance et que je sache qu’il va tenir sa promesse.

Ainsi, en annonçant une promesse, le prophète nous invite à la foi. Il nous invite à faire confiance, et je le répète encore une fois, la foi dont je parle ici, n’est pas une construction dogmatique ou un système de formules qu’il faudrait savoir réciter par cœur. Elle n’est pas un ensemble de rites ordonnés qu’il faudrait que je pratique scrupuleusement.

La foi dont je parle est d’abord un sentiment intérieur qui surgit en moi, qui me saisit en même temps que je la saisis.

La foi, c’est ce mouvement de confiance. Que dis-je ? D’espérance.

La foi, c’est la confiance que le monde n’est pas livré au chaos ou au hasard, mais qu’il a un avenir, un devenir.

La foi, c’est la confiance en un monde autre qui donne son sens à ce monde.

Et au sommet de la foi, il y a Celui qui cumule cette espérance et cette confiance. Il y a Celui qui s’en porte garant et dont la Parole m’invite à m’y engager. Et ce « Celui », je l’appelle Dieu et je découvre son visage dans la personne de Jésus de Nazareth, mon maître et mon frère.

Ésaïe, porte-parole de cette Parole divine, vient me le redire ce matin : j’ai, tu as, nous avons un avenir ; à cause de Dieu, à cause de sa promesse, il y a de la place dans ma vie pour du renouvellement, de la guérison, de la paix, de la sécurité, du repos et de la justice.

Et à cause de cela, je suis, tu es, nous sommes convoqués par Dieu pour prendre une part dans la construction de ce monde promis.

Je suis, tu es, nous sommes invités à quitter des choses anciennes, à renoncer à certaines sécurités, et à nous avancer avec celles et ceux qui sont convoqués avec nous pour être des témoins crédibles du monde qui vient.

Amen.

Les promesses de Dieu dans la Bible sont souvent liées à une nature généreuse et harmonieuse: un vrai paradis. Mais la nature est-elle juste? Peut-on imaginer un paradis sans justice? Et peut-on imaginer un monde meilleur sans changement, c’est-à-dire sans renoncement? Et dans tout ce processus, qu’apportent les promesses de Dieu? Les paroles du prophète Ésaïe tracent un chemin d’espérance et de courage. 

Détails

Avec la participation de
Orgue
Musique
Vérène Zay et Yannick Schmidli au violon, Ruth Bonuccelli-Bovier au violoncelle