Dieu : le Tout Puissant

image

"Je crois en Dieu, le Tout Puissant. " Comment est-il encore possible aujourd'hui de proclamer avec force et surtout avec crédibilité une telle affirmation ?
Pardonnez le caractère brutal de la question, pardonnez-moi si je prends certains d'entre vous ce matin un peu à rebours, mais la question se pose, et se pose avec cette intensité-là, pour beaucoup de nos contemporains. Car ils sont de plus en plus nombreux, celles et ceux qui remettent en cause l'affirmation selon laquelle Dieu est Tout puissant.
Et je suis certain que beaucoup d'entre vous, autour d'une table familiale ou celle d'un bistrot, dans un bureau ou dans un train, sur votre lieu de vacances ou dans un magasin, oui beaucoup d'entre vous ont entendu cette remise en cause radicale de la toute-puissance de Dieu : " Si vraiment Dieu était tout puissant alors… "
En tout cas, je sais que la question m'est régulièrement adressée. Elle l'est par le catéchumène qui du haut de ses 15 ans contemple le spectacle du monde et s'interroge : si Dieu est vraiment ce qu'on en dit, alors pourquoi toutes ces guerres et ces injustices dont souffrent les enfants ? Elle l'est par la mère ou le père qui s'interroge au sujet de l'avenir réservé à leur enfant et qui dise plus pudiquement : " Quand même, quand on voit l'évolution du monde, on se dit que Dieu pourrait quand même faire quelque chose… ". Elle l'est par le malade sur son lit d'hôpital qui, ne voyant pas d'amélioration à sa situation, se révolte bien logiquement : " Ne venez pas m'embêter avec votre bon Dieu M : le pasteur, regardez dans quel état il me laisse ! "
Mais cette remise en cause de la toute-puissance de Dieu n'est pas que le fait de gens extérieurs à la foi, elle se fait aussi par ce qu'on appelle les croyants : par vous, par moi. Car qui n'a jamais été choqué par le spectacle injuste du monde ? Qui n'a jamais souffert du sentiment de l'absence de Dieu dans des moments cruciaux de notre existence ? Qui ne lui a jamais adressé une prière fervente sans qu'un exaucement s'en suive ?

" Je crois en Dieu le Tout puissant ", il n'y a pas qu'aux indifférents ou aux non croyants que cette affirmation pose problème. Non, et je dirais presque : bien au contraire, elle pose tout autant problème aux croyants, tant il est vrai que les croyantes et les croyants sont, à l'image de tous les êtres humains, des hommes et des femmes dans lesquels le doute chemine de pair avec la foi.
Mais avant de poursuivre et de chercher que faire de l'affirmation classique de la toute-puissance de Dieu, je crois nécessaire d'ouvrir une parenthèse. Une parenthèse pour m'adresser à toutes celles et à tous ceux qui, dans cette chapelle ou sur les ondes, ont fait et font encore l'expérience de la puissance agissante de Dieu dans leur vie.
Oui j'aimerais m'adresser tout particulièrement à vous qui avez la conviction qu'à tel ou tel moment Dieu a agi, qu'il a manifesté sa puissance, qu'il est intervenu selon vos prières. Oui j'aimerais m'adresser à vous pour qui la confession de la toute-puissance de Dieu n'est pas un problème et ne soulève pas de questions. Et vous dire en toute simplicité, je ne suis pas venu pour casser vos convictions, je ne suis pas venu vous dire que vous avez tort, que votre foi est dépassée ou que sais-je encore de négatif.
Ce que j'aimerais c'est débattre et non pas abattre ! Ce matin, je ne cherche pas à détruire, mais plutôt à cheminer, voir à reconstruire avec celles et ceux pour qui la confession de la toute-puissance de Dieu n'est plus évidente.

Fermons là, la parenthèse et continuons à cheminer avec cette question. Le chemin qui s'ouvre devant nous, nous invite à nous tourner vers les textes bibliques dans cette démarche qui caractérise le protestantisme : cheminer avec les Ecritures pour compagnon et Dieu pour horizon. Voilà donc que résonne le psaume 104 dont les premiers versets chantent et célèbrent la puissance créatrice de Dieu. Rappelez-vous ces images qui évoquent le retrait des eaux et l'émergence des terres sèches, c'est-à-dire en langage biblique le retrait des forces du chaos, pour laisser la place à la vie. Une vie qui ne doit rien au hasard ou à la nécessité, mais qui relève du désir et du projet.
Et voilà qu'en écho, nous reviennent d'autres récits plus connus où l'activité créatrice de Dieu se déploie en jour et en nuit : 6 jours et 6 nuits exactement pour culminer dans la dépose de l'être humain au cœur de la vie voulue et bénie. Le décor est en place mais la scène laisse un goût d'inachevé. Le monde n'est pas terminé, c'est le sabbat et Dieu se repose.
Avec ce 7ème jour, s'ouvre notre temps avec Dieu dans un monde qui n'est pas fini, que Dieu n'a pas fini et qu'il ne veut finir qu'avec nous. Eh oui, avec nous. Ce que nous laissent les nombreux poèmes de la Création, c'est la conviction qu'en plaçant l'être humain au cœur de son projet ; Dieu en fait ainsi son partenaire dans l'aventure de la vie. Dieu fait de nous des partenaires de l'achèvement du monde.

Et qui dit partenaire, dit lien, c'est-à-dire écoute et parole et voilà que Dieu écoute ses partenaires et leur parle. Qui dit partenaires dit aussi processus, c'est-à-dire évolution, recul, impulsions et voilà que Dieu accompagne, chemine et relance sans cesse. Enfin qui dit partenaire, dit aussi liberté. Car il n'y a pas de partenaire véritable, sans capacité à refuser. Il n'y a pas pour l'être humain de oui possible à l'offre de partenariat de Dieu, sans en même temps la possibilité de dire non.
Bref qui dit partenaire, dit relation responsable et libre où l'on renonce à la contrainte, où l'on renonce à vouloir faire le bonheur de l'autre contre son gré, où l'on renonce à manipuler pour entrer en dialogue, en dialogue toujours et encore pour traiter le partenaire non en objet, mais bel et bien comme une personne unique, importante et aimée.
" Je crois en Dieu tout puissant. " La toute-puissance de Dieu ne consiste-t-elle pas justement à refuser de manière constante, permanente et absolue à nous traiter en objet, en marionnette ? Et par opposition, sa toute-puissance ne consiste-t-elle pas justement dans sa constance à nous traiter en sujet, en partenaire ?

Franchissons un pas de plus avec les Écritures. Regardez le Christ devant Ponce Pilate : bafoué, humilié, torturé, déshumanisé, réduit à l'état d'objet destiné à être broyé par l'implacable machine judiciaire, religieuse et politique. Regardez-le ce mort en sursis, n'est-il pas aux antipodes de ce qu'on l'on comprend habituellement par la toute-puissance divine ?
Qui en voyant ce spectacle désolant songerait à confesser la toute-puissance de Dieu ? Et pourtant… Et pourtant, et ce n'est pas là le moindre des paradoxes de ce Dieu dont les Écritures portent l'écho, c'est bien en Christ, et dans ce Christ devant Ponce Pilate aussi, que se manifeste la toute-puissance de Dieu ! La chose paraît si incroyable, à proprement parler, qu'elle nécessite de la part de chacune et chacun d'entre nous un retournement intérieur - la Bible parle de conversion - un retournement intérieur permanent.
Et pourtant, en Christ, c'est la toute-puissance de Dieu qui se dévoile. Mais la toute-puissance d'un Dieu qui se donne, d'un Dieu qui refuse de contraindre, de forcer, de faire violence, de manipuler, d'un Dieu qui ne cherche pas notre soumission mais notre adhésion, d'un Dieu qui reste fidèle à son projet de faire de nous des partenaires, d'un Dieu qui prend sa situation de partenaire au sérieux et qui en tire les conséquences jusqu'à la croix, d'un Dieu dont la puissance s'exprime dans la fidélité de son offre et la constance de sa main tendue vers nous en dépit de nos refus, d'un Dieu enfin qui nous place devant notre responsabilité essentielle : accepter de devenir son partenaire.
Alors bien sûr, nous préférerions parfois un Dieu qui intervienne directement dans nos vies et rien ne nous interdit de le demander. Mais ce que Dieu ne cesse de nous proposer, c'est d'entrer avec lui dans un partenariat (la Bible parle d'alliance à ce propos) et d'agir ensemble, Lui et nous, dans ce partenariat. Il nous propose une vie où avec lui, avec nos frères et nos sœurs, nous puissions témoigner d'un monde autre, où le loup et l'agneau vivent ensemble, un monde travaillé par l'espérance, un monde qui témoigne du Royaume à venir.
Alors oui, je crois en Dieu le Tout puissant. Je crois à la toute-puissance de l'espérance, de la foi et de l'amour véritable et vainqueur.

Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Catherine Brambilla, piano
Musique