De l’autre côté de chez soi

La Blanche Église, La Neuveville (©AUJ)

Écouter le culte :

Laissez-moi vous poser une question toute simple : Que mettez-vous dans une trousse de secours ? Oui, vous savez, ce nécessaire médical qu’il faudrait avoir sous la main en cas de besoin.

Je ne sais pas ce que contiennent vos armoires à pharmacie, vos sacs à main, ce que vous emportez avec vous dans vos déplacements, mais en se renseignant, une trousse de secours devrait comporter au moins quelques pansements stériles, des compresses, les indispensables sparadraps, des ciseaux, bandages et pinces pour couper et nouer, mais aussi du désinfectant, des antidouleurs, et tout ce qui fait baisser la fièvre, apaise les maux de tête, comme peut-être aussi quelques gouttes ou granules, quelques crèmes ou onguents parmi bien d’autres médicaments spécifiques à chacun, et qui font pour beaucoup un semainier qu’il ne faut pas oublier !

Je me souviens dans ma jeunesse de ce mercurochrome qui rendait les genoux écorchés encore plus rouges qu’ils ne l’étaient. Sans parler de ces remèdes de grand-mère capables de soulager une grippe, un rhume ou une toux. De la médecine douce somme toute !

Que mettre dans sa trousse de secours pour tous les accidents et les imprévus de la vie ?

Que prendre avec soi lorsqu’on franchit une frontière, lorsque l’on part en voyage, lorsque l’on est en chemin ? Même sans aller très loin…

Comment se préparer face à l’inconnu et tout ce qui peut nous tomber dessus ?

Je ne parle pas ici du masque qu’il faudrait toujours à sa portée – un geste devenu réflexe – mais de bien d’autres choses… vous l’aurez deviné !

Voici un homme qui est en voyage, se déplaçant de Jérusalem la capitale vers Jéricho, la ville la plus basse et la plus vieille au monde. Et c’est comme une descente aux enfers, car en chemin, le voilà attaqué, dépouillé, battu et laissé sur place à demi-mort. On dirait aujourd’hui que c’est un homme en état d’urgence absolue, que son pronostic vital est engagé. Y a-t-il une hémorragie, une commotion ? On ne le sait.

Il faut dire que la violence a été inouïe, aveugle et gratuite. On a dépassé les limites. Et ce n’est pas seulement un homme blessé qui se trouve à terre. C’est un homme dégradé, souillé, violé dans son intimité, défiguré comme si on avait voulu lui voler sa part d’humanité. On le détrousse. Oui, car Jésus avait commencé par raconter son histoire en disant : « Un humain (anthropos) descendait de Jérusalem ». Ça pourrait être aussi une femme, allez savoir !

Mais ce qui frappe, c’est la soudaineté de l’attaque, et vous qui m’écoutez, peut-être avez-vous aussi vécu de ces événements où tout bascule, d’une minute à l’autre, parfois avec brutalité, sans ménagement, sans pouvoir s’y préparer souvent. La vie qui ne sera plus jamais la même.

Les deux premières personnes qui croisent notre voyageur, ce sont deux religieux qui n’ont rien à offrir de leur trousse de secours. Peut-être pensent-ils qu’il n’y a plus rien à faire. Vit-il encore, lui, le demi-mort ? Un sparadrap ni suffirait pas ! Et cela demanderait du temps, puisqu’ils ne s’arrêtent même pas. Alors ils restent dans leurs frontières du connu en passant de l’autre côté de la route, en changeant de trottoir.

Frontières de l’indifférence, celles de la « non assistance à personne en danger ». Ce qu’ils sauvent, c’est surtout leur santé, leur pureté, par peur, par risque d’être contaminé. Eux, les croyants, ne croient pas que leur aide pourrait encore changer quelque chose à ce destin qui semble tout tracé. Voici un homme dont le sort est scellé. Il n’y a plus rien à faire. C’est trop tard. Tout est décidé.

Et c’est ainsi qu’il peut y avoir tant d’occasions manquées où l’on est passé à côté, sans se rendre compte, sans mesurer l’urgence ou la gravité, sans prendre conscience de ce qui aurait pu changer. Des frontières que l’on se donne où l’on est bien à l’abri, à passer son chemin, l’air de rien.

L’histoire aurait pu s’arrêter là. Elle aurait même dû le faire. C’était logique.

Mais voilà que, contre tout attente, un troisième homme arrive, voit le blessé et en est profondément ému. Cela touche en lui une ligne qui fait bouger ses frontières intérieures. Vous savez, cette carapace qu’on se donne le plus souvent, cette distanciation sociale, cette politesse, cette bienveillance, que l’on a dans nos trousses pour toute occasion. Un sourire, une amabilité qui peuvent être sincères bien entendu.

Mais lui, lui, le Samaritain, est bouleversé par ce qu’il voit. Ça le mobilise tout entier. Ça fait peut-être résonner sa propre histoire d’homme dénigré. Alors il s’approche encore plus. Il franchit une distance. Il quitte sa zone de confort.

Dans sa trousse, il y a non pas du Bepanthen et du Merfen, mais de l’huile et du vin qu’il verse sur les blessures. Des premiers soins peut-être douteux, mais l’huile n’est-elle pas comme un baume qui protège, essentielle pour cicatriser, douce pour apaiser la brûlure des coups ?

Et puis le vin, n’est-il pas antiseptique comme nos gels hydroalcooliques ? Il faut nettoyer et purifier les plaies, mais aussi fortifier comme un remontant, relever, remettre en selle ou en tout cas sur sa monture celui qui est couché.

Le Samaritain a des gestes de premier secours justes et précis pour soigner cet homme qui souffre de « traumata », dit le texte grec, et vous avez bien entendu... traumatismes. Pas seulement une égratignure, mais à l’intérieur de lui un chaos, un dérèglement, une épreuve qui touche son corps et son esprit, son intégrité, sa dignité, son estime, sa confiance en l’autre, en la vie, en Dieu peut-être, lui qui pourrait se dire :  « Pourquoi ?  Pourquoi moi ? »

Que dire de ces frontières que l’on franchit à l’intérieur de soi, quand c’est trop : trop fort, trop longtemps, trop intense, trop... matisé ?

« Il y a des douleurs qui ne pleurent qu’à l’intérieur » chantait Goldmann. Pas besoin de brigands ou de voleurs pour se sentir floué, dépossédé, chamboulé.

La peine de cœur, le bleu à l’âme, les regrets, la trahison, l’abus, la peur, le corps qui a ses raisons. Ce qui s’effondre, ce qui vole en éclats. Qui n’a jamais été une fois ou l’autre blessé ? À la recherche d’une trousse de secours pour tenir en vie ?

Tous, nous avons besoin d’une guérison pour soigner cette part sensible de nous-mêmes qui a été touchée. Tous, nous avons besoin d’avancer, d’apaiser, de mieux respirer. Tous, nous avons besoin d’un peu d’huile et de vin.

Car le Samaritain fait bien plus que soigner cet inconnu comme le ferait un médecin avec une ordonnance et un traitement. Il le sauve. Il le sauve de l’oubli. Il le sauve de tout perdre, de ne plus compter pour personne. Il le sauve de la mort en s’aventurant au-delà de sa propre vie, mais en sachant aussi remettre et confier, prévoir et soutenir avant de s’en aller. Il croit que la demi-mort peut encore se transformer en pleine vie.

Combien en avons-nous rencontré de bons Samaritains ? Je vous souhaite de pouvoir vous en souvenir toujours, les garder en pensées, les remercier encore. Ils ont été nos prochains.

Car pour être proche il faut franchir bien des frontières.

Mais celui qui dépasse les bornes dans toute cette histoire, c’est le Christ qui verse sur nos blessures une huile qui apaise. Il dépose par son Esprit sa paix et sa douceur là où cela fait encore mal. Il ne laisse pas ouvertes les plaies du passé. Il nous montre par ses mains, ses pieds et son côté qu’une guérison est possible.

Oui, le Christ, c’est celui qui s’approche de tout humain pour croire encore en lui. Envers et contre tout.

Il apporte le vin qui rappelle le sang versé, l’amour offert. Pour dire ce qui est plus fort que la mort. Dans sa proximité, c’en est presque une transfusion pour que goutte à goutte, sa vie nous pénètre. Pour que quelque chose de la joie, de la coupe relevée puisse redonner le goût de vivre.

Le Christ qui franchit les frontières, qui se fait notre prochain.

Et vous, qu’est-ce que vous mettez déjà dans votre trousse de secours ?

Amen

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L’homme et l’enfant

Un homme tomba dans un trou et se fit très mal.

Un cartésien se pencha et lui dit :
Vous n’êtes pas rationnel, vous auriez dû voir ce trou.

Un fondamentaliste le vit et dit :
Vous avez dû commettre quelque péché.

Un scientifique calcula la profondeur du trou.

Un journaliste l’interviewa sur ses douleurs.

Un yogi lui dit :
Ce trou est seulement dans ta tête, comme ta douleur.

Un médecin lui lança deux comprimés d’aspirine.

Un thérapeute l’incita à trouver les raisons pour lesquelles ses parents le préparèrent à tomber dans le trou.

Une pratiquante de la pensée positive l’exhorta :
Quand on veut, on peut !

Un optimiste lui dit :
Vous auriez pu vous casser une jambe.

Un pessimiste ajouta :
Et ça risque d’empirer.

Puis un enfant passa, et lui tendit la main...

À marcher d’un côté ou de l’autre de la route, nous risquons fort de juste nous croiser. À garder chacun son itinéraire, sans jamais dévier, il y a tout pour nous tenir éloignés. La parabole du Samaritain fait bouger les frontières - celles des lois qu’on s’est données. Elle déplace nos vies quand les regards s’ouvrent sur une même humanité. Tour à tour: être rejoint, rejoindre ou garder à distance... Autant de manières d’être sur le chemin.

Détails

Avec la participation de
Annemarie Maillat et Magdalena Prêtre pour les lectures
Orgue
Sara Gerber
Musique