S’ils se taisent, les pierres crieront !

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Écouter le culte :

Etes-vous doué pour la musique ? Peut-être un peu, beaucoup ou pas du tout. Et pourtant tous, tous vous connaissez la chanson ! Vous la connaissez, la mélodie de cette musique qui tout à coup peut chanter en nous. Vous pourriez les fredonner ou les siffloter ces quelques notes légères qui s’envolent parfois, comme ça. Pas besoin d’être grand musicien ou virtuose ! Pas besoin d’avoir le nez collé à une partition ! Elle s’insinue de partout, vient dire sa douceur et sa force, mélodie, ritournelle qui spontanément parfois s’échappe de nos lèvres.
Oh je vous la chanterai bien si j’en avais le courage ! Mais je préfère la laisser à chacun, tant elle peut prendre des accents et des tonalités différentes, tant le répertoire est vaste et qu’on a pas fini de la jouer, de l’expérimenter, de laisser ce chant s’exprimer à tout âge, d’un bout à l’autre de la vie.
Pour ma part, j’aime l’entendre et la regarder cette joie soudaine qui chante. Je ne m’en lasse pas ! C’est celle qui illumine le visage d’un enfant lorsque tout fier il nous partage une réussite, à l’âge où chaque dessin devient un chef d’œuvre, chaque découverte un étonnement, une surprise. Joie expressive, pleine et insouciante qui brille au fond des yeux.
Joie qui nous saisit lorsque le printemps en éveil nous ravit, nous transporte de sa beauté nouvelle, éphémère de tant d’arbres en fleurs ces jours-ci ou encore la vue dégagée depuis le plateau de Diesse ce matin. Joie qui résonne en nous lorsque l’on est pris dans une musique comme aujourd’hui en ouverture de culte, et tout à l’heure encore. Oui, joie communicative de vrais musiciens !
Joie d’une rencontre, d’un appel, de retrouvailles, d’une parole bienveillante qui est comme un baume sur le cœur. Joie d’une attention, d’une reconnaissance, d’une fête, d’un heureux événement. Joie d’un effort porté jusqu’au bout. Réussite que l’on partage à d’autres, quand ce qui a nécessité sacrifice et don de soi est enfin récompensé.
Joie du dimanche, ce temps si précieux qui nous dit que notre vie est aussi faite pour le repos, la détente, le sourire, le silence intérieur.

Alors quand je disais que vous la connaissez cette mélodie, ces quelques notes à la portée de chacun, j’espère bien que vous avez pu les jouer quelques fois ces derniers temps, une joie qui s’exprime en chacun de manière unique. Et puis voilà qu’aujourd’hui il y a la joie des Rameaux.
On ne sait pas trop de quelle manière elle commence, ce qui la fait naître soudainement au détour d’un chemin qui descend depuis le mont des Oliviers. Est-ce tout à coup pour la foule rassemblée de se trouver face à cette vision grandiose du Temple dominant la ville et ses murailles avec cet homme qui s’avance sur le dos d’un âne prêt à entrer triomphalement par la grande porte, celle où le Messie devait revenir ? Vient-elle de cette attente enfin réalisée née de tant de frustrations, d’humiliations, de tant d’espoirs portés au cœur d’un peuple meurtri ? Est-ce la soudaine reconnaissance d’une multitude de miracles chez Jésus qui sont venus s’ajouter les uns aux autres, comme on nous le dit, qui fait éclater cette joie sonore ?
Elle semble en tout cas si spontanée, si imprévisible qu’elle n’en est que plus belle, plus vraie, la clameur de toutes ces personnes : exclamations de foi, louange lancée au ciel, Hosanna : « Que Dieu bénisse le roi qui vient au nom du Seigneur ! entend-on de toute part Paix dans le ciel et gloire à Dieu ! » Dans d’autres évangiles, on s’empresse d’aller chercher des rameaux, d’agiter quelques branches en signe d’accueil, palmes réservées à celui qui est reconnu comme roi ! Ici on étale des manteaux sur le chemin, comme un itinéraire que l’on veut tracer jusqu’à la ville toute proche. Un tapis rouge que l’on déroule pour un invité de marque !
Voilà qu’on se bouscule, se congratule, s’empresse, que l’on est touché par une même vibration qui se propage de part en part. Joie qui n’a pas peur de s’exprimer au grand jour et qui voudrait toucher du bout des doigts le Ciel !
Et pourtant, qu’est-ce qu’on ne l’a pas ternie cette joie, qu’est-ce qu’on n’a pas essayé, comme les pharisiens de la faire taire, en disant qu’elle était trop futile et passagère ? Que cette même foule entonnera quelques jours plus tard un autre refrain, bien plus sombre celui-là : crucifie-le !
Oui, les grincheux, les sceptiques, les frileux on eu de la peine à la reconnaître à part entière, en disant : toute cette foule se trompe de roi, elle fait fausse route, elle croit accueillir celui qui va délivrer Israël de l’oppresseur, mais elle tournera sa veste ou mieux son manteau dans peu de temps. Celui qui s’avance ne monte pas un cheval, Il vient sur un « petit âne ». Il choisit l’impuissance pour se manifester. Alors la joie des Rameaux, il ne faut pas y accorder trop d’importance : c’est un feu de paille.

Et puis, un homme va mourir. Il faudrait pleurer, la situation va basculer, de l’accueil au rejet, de la reconnaissance à l’abandon. Et c’est vrai : quelques jours suffiront pour que Jésus perde tout : son honneur, sa dignité, ses frères et ses amis. Et c’est ainsi que nous l’avons éteinte cette joie, nous lui avons donné des conditions, mis des règles, fixé un cadre. Nous l’avons rendue prudente, pas trop exubérante en tout cas, réservée.
Mais la foule est en liesse ce jour là et ce qui est extraordinaire, c’est que Jésus ne refuse pas cette joie. Mieux il la reconnaît pleinement en disant aux trouble-fête : « S’ils se taisent les pierres crieront ! » Jésus sait ce qu’il l’attend et pourtant il vit l’instant présent. Il ne juge pas, mais s’associe tout entier à cet élan de vie, le seul, l’unique dans tout l’Evangile qui prend cette dimension, qui a cette ampleur. Et j’aime voir à ce moment là, assis sur sa monture, regardant de tout part, riant aux éclats peut-être, saluant, levant les bras, reconnaissant des proches parmi tous ces visages, un Christ heureux, un Jésus joyeux.
Bien sûr il pleurera l’instant d’après, proche de la ville, mais comme si cette tristesse était née de la joie possible, de cette ferveur qu’il aurait aimé voir se partager entre tous. « Si tu comprenais, toi aussi Jérusalem ce qui peut te donner la paix ! » Si nous pouvions comprendre qu’il suffit d’un rien pour que tout change dans nos vies, pour qu’une joie s’éveille.

Bien sûr, il y aura Vendredi-Saint, bien sûr il y a le monde et ses malheurs, bien sûr il y a tous les mais, parfois bien légitimes de ne pas faire de cette joie un sentiment superficiel, obligatoire, volontaire. Jésus ne refuse pas les pleurs non plus. De vraies larmes de tristesse suivront peu après.
Mais ne nous apprend-t-il pas aujourd’hui, en ce jour, en cette fête des Rameaux, quelque chose d’essentiel ? A ne pas faire taire en nous le chant de la Vie, celui de l’espoir, de l’attente, celui de la communion, de la beauté, celui de la foi qui se donne et se trompe parfois, celui qui a besoin de s’exprimer, de se dire, de jouer encore et encore, de se pratiquer comme des musiciens.
« S’ils se taisent, les pierre crieront.» Mais voilà parfois nous nous taisons, nous restons muets, nous oublions de jouer notre propre mélodie. La joie des Rameaux est peut-être une joie enfantine, naïve, mais c’est justement elle que le Christ vient reconnaître et faire grandir. C’est elle qu’il laisse résonner dans sa vérité, sa plénitude, son authenticité.
Joie qui se dépose devant lui comme ces manteaux que l’on jette. Et c’est magnifique ce geste et riche de signification, puisque le manteau dans la tradition biblique, c’est aussi l’identité de celui qui le porte. C’est la personne dans ce qu’elle est. Voilà des vies déposées, offertes pour qu’il puisse s’y avancer ! Le manteau jeté c’est aussi lorsqu’on enlève ce qui nous recouvre pour se montrer tel que l’on est, sans carapace, mais en pleine lumière.

Oui, Jésus est celui qui vient épouser nos joies, nos attentes même les plus folles, nos désirs, nos soifs, nos manques, nos besoins, tout ce qu’il peut y avoir au cœur de cette foule ce jour-là. Tout ce qu’il peut y avoir de bien humain, mais pourtant de si vrai aussi. « S’ils se taisent les pierres crieront ! » En ce jour, il ne refuse rien. Il accueille, sans juger, sans dénigrer la joie des hommes que certains trouvaient trop enthousiaste, pas assez religieuse, trop simple, excessive, au contraire, il en fait une fête !
La mélodie de nos vies, la foi qui est la nôtre qui s’enflamme parfois comme un feu de paille avant de retomber, la foi qui aimerait croire encore, mais qui est si vite troublée par l’adversité, il en fait un chant en venant l’habiter, la saisir, mais aussi le mener plus loin, plus loin que la souffrance, l’échec, l’absurdité, la mort.
« S’ils se taisent, les pierre crieront ! » Evidemment, certains ce jour là dans leurs rêves de grandeur n’auront pas vu l’âne, signe d’humilité, de proximité, mais pour nous n’est-ce pas l’invitation à ne pas chercher trop haut ou trop loin notre joie ? Elle est à vivre en toutes choses et en tout temps par ce roi qui se met à notre portée, dans cet homme que déjà l’on peut approcher et toucher, qui se laisse rencontrer ? Parfois nous avons besoin d’un âne pour que change notre regard !

La joie d’aujourd’hui est déjà appelée à être le reflet de celle à venir. Celle de toujours, comme cette image de cette foule rassemblée au livre de l’apocalypse, palmes à la main, paroles de louange à la bouche devant l’Agneau. La joie profonde nous relie déjà à ce qui ne passera pas. Elle prend sa source en Dieu. Elle n’est pas quelque chose que l’on crée de force. Elle est une habitation où l’on reste, un lieu où l’on demeure, même dans les larmes.
Joie des Rameaux : je veux croire qu’elle a porté le Christ tout au long des jours à venir. Qu’il ne l’a pas oubliée, même quand il entendra une autre tonalité, en mineur quelques jours plus tard.
Mélodie douce ou forte qui fait de nous des musiciens ! Qui nous dit ou plutôt qui nous chante l’amour d’un Dieu qui aimerait traverser le temps pour qu’au plus profond jamais elle ne nous quitte. Mélodie de la foi que j’aimerai encore fredonner avec vous parce qu’elle est pour le croyant le signe le plus beau de la vie tournée vers l’aujourd’hui de Dieu.
Attendez, comment va-t-elle déjà cette mélodie ? Est-ce que quelqu’un peut me donner le ton ? Ah oui, c’est ça, je l’ai retrouvée :
Que Dieu bénisse le roi qui vient au nom du Seigneur !
Paix dans le ciel et gloire à Dieu !
Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Viviane Bourquin
Musique
René Röthlisberger, trompette