Un peu d'amour, que diable!

©Alexandra Urfer Jungen

Écouter le culte :

Est-ce que vous aimez ?

Je ne vous demande pas si vous aimez la tarte au citron ou le chocolat. Non. Je ne vous demande pas ce que vous aimez. Je ne vous demande même pas qui vous aimez – votre conjoint ou vos petits-enfants… Non. Ce que je vous demande, c’est : est-ce que vous aimez ? Dans la vie en général. Est-ce que l’amour a une place prépondérante dans votre existence ?

Si je vous pose la question, c’est que j’ai moi-même fait l’exercice. Je me suis demandé, « Diane, est-ce que tu aimes ? » Et c’est – je le confesse – avec un certain effroi que je me suis retrouvée devant un grand silence. Mon silence ! Je n’ai pu me répondre en toute honnêteté, « oui, j’aime ! ». Je ne sais pas comment vous êtes avec vous-mêmes. Mais moi j’essaie d’être honnête. Il y a suffisamment de situations dans lesquelles on essaie de coller à l’image que les autres se font de soi, alors au moins avec moi-même, j’essaie d’être authentique. Et en vérité, je dois vous avouer que ce silence a été pour moi révélateur d’une vérité : aimer m’est parfois difficile.

Je lis et je relis ces textes fabuleux sur l’amour, trésors que notre Bible renferme, et je rêve à cet amour idéal, puissant. J’aimerais aimer de l’amour dont parle le Christ. J’aimerais aimer comme Paul m’y exhorte. J’aimerais aimer de cet amour-là.

 

L’amour ? Quel amour ?

On parle d’amour depuis le début de ce culte. Mais est-on certain que vous et moi, nous entendons la même chose par ce terme ? L’Église a toujours parlé d’amour. De tout temps. Et peut-être même trop. À force d’asséner que Dieu est amour, n’a-t-elle pas participé à vider ce terme de son sens ? D’en faire un cuivre qui résonne, une cymbale qui retentit ? L’histoire ne garde pas de l’Église uniquement la mémoire de grands témoignages d’amour, elle se souvient aussi de ses violences et d’une certaine intolérance. Des fanatiques continuent aujourd’hui à associer la religion au sang et à la haine. Face à cette réalité, comment proclamer encore que Dieu est amour ?

La langue française ne nous rend pas service. Elle est pourtant la langue des grands poètes romantiques, me direz-vous. Quand bien même, nous n’avons pour parler d’amour que le terme : amour. Alors que la langue grecque, par exemple, permet plus de nuances. Ce que nous traduisions par amour s’exprime de manière différentiée par les trois termes suivants : philia, eros et agape.

Philia exprime l’attachement à quelque chose qui plaît. Il aime aller se promener dans la forêt. Elle aime la tarte aux fraises. Philia permet aussi d’exprimer une relation d’amitié. En français, pour désigner cet amour-là, et le distinguer du sentiment amoureux, nous ajoutons volontiers un qualificatif. J’aime beaucoup : j’aime beaucoup ma voisine, c’est une amie qui m’est chère.

Pour désigner la relation amoureuse, le grec utilise eros. Terme naturellement issu du dieu Éros, dieu de l’amour et de la puissance créatrice. Il a donné en français l’érotisme. Mais eros n’est pas seulement l’amour charnel, il est plus largement celui de l’élan vers celui ou celle qui m’attire. L’eros est guidé par les sentiments.

Agapè, le troisième terme, désigne encore un autre amour. Et c’est celui-ci qui nous intéresse tout particulièrement car c’est le terme que nous retrouvons sous la plume de l’apôtre Paul et dans les évangiles. C’est un amour différent de la philia et de l’eros. Un amour qui n’est pas seulement guidé par les émotions ou l’attirance naturelle envers celles et ceux qui m’inspirent de l’affection.

L’amour, l’agapè, écrit Paul, est éternel. Il ne disparaît jamais. Alors que bien d’autres choses sont éphémères, cet amour-là traverse le temps. Il survit aux épreuves, sera encore là quand tout le reste aura disparu. Si Paul dit vrai, il convient donc de s’y intéresser !

 

L’amour en action(s)

Ce chapitre 13 de son épître à la communauté chrétienne de Corinthe a fait date. Mais avant de faire partie de tous les florilèges des plus beaux textes sur l’amour, en librairie et sur internet, avant d’être le numéro un incontesté des cérémonies de mariage, il est bon de se rappeler que par ces mots, Paul remet les points sur les i aux Corinthiens. On est bien loin du rose bonbon et des bons sentiments. Car ce que Paul dit aux Corinthiens, c’est en substance : c’est bien beau tous vos talents, vos exploits religieux, vos démonstrations spirituelles et vos grands discours, mais vous avez oublié l’essentiel. Certes la prophétie, l’extase et la connaissance religieuse sont importantes. Certes l’aumône, le martyr et la foi ne sont pas négligeables. Mais elles ne sont rien sans l’amour.

Aujourd’hui, nous le dirions autrement : la pratique régulière de la prière ou de la méditation, l’étude des textes bibliques, l’engagement bénévole dans l’Église, la générosité envers les plus pauvres, ici ou au loin – tout cela est important. Mais si vous le faites pour une autre raison que par amour, alors cela ne vaut rien. C’est fort ! Paul ne dit pas que nos actions seraient moins belles ou auraient moins de sens, il dit : cela ne vaut RIEN ! Un acte de générosité sans amour n’est que de l’orgueil spirituel. Une pratique religieuse sans amour est pire encore qu’être mécréant.

Pas tendre, Paul ! Il nous secoue. Il nous bouscule. C’est peut-être ce dont nous avions besoin. Sans amour, nos actes et nos paroles sont vides de sens.

Est-ce que vous aimez ? Je vous pose à nouveau la question. Et cette fois, c’est avec fébrilité que je sonde ma réponse. Si je ne peux répondre sincèrement « oui », qu’est-ce que cela dit du sens de ma vie ?

Accrochons-nous à ce que Paul nous dit de cet amour indispensable, cet agapè qu’il annonce éternel. Pour l’évoquer, l’apôtre liste ses attributs. C’est à ses fruits que l’on reconnaît un arbre ! Dites-moi ce que produit l’agapè et je vous dirai ce qu’il est.

Et pour lister ces fruits, Paul utilise des verbes. Nous sortons du domaine de l’émotion pour investir celui de l’action. L’amour s’incarne, il prend sens dans le monde et dans les relations.

Le premier attribut évoqué est celui de la patience. La durée. L’amour n’exige pas tout, tout de suite. Il est prêt à attendre. Il exige la fidélité, la persévérance. Il n’est pas un feu de paille mais s’inscrit dans un désir de durer et de résister.

L’amour est bon. Cela semble une évidence… et pourtant. Pourtant l’enfer est pavé de bonnes intentions ! Des intentions qui ne se font pas toujours les messagères d’une véritable bonté. Nos lèvres prononcent-elles plus souvent de bonnes paroles ou de véritables paroles bonnes ?

L’amour ne jalouse pas. Il est capable de voir le succès de l’autre et de s’en réjouir sincèrement. Sans envie. Il se nourrit de la gratitude pour soi et pour l’autre.

Il ne se vante pas, il s’accompagne de discrétion. Ça c’est très protestant ! C’est quelque chose qui est ancré dans notre culture. On donne, mais on ne veut pas que cela se sache. Ce qui m’interpelle ici, c’est : est-ce que je donne par devoir ou véritablement par amour ? Ma générosité est-elle autre chose que de l’orgueil spirituel ?

L’amour ne fait rien de malhonnête. Il ne cherche pas son propre intérêt. Il ne s’irrite pas. L’amour appelle au respect et à l’attention portée avec sincérité.

Il ne soupçonne pas le mal. Il ne se réjouit pas de l’injustice. Évidemment, personne ne se réjouit de l’injustice ! Sauf peut-être lorsque nous en sommes les bénéficiaires et qu’il est plus simple de fermer les yeux pour ne pas voir les injustices. Les ignorer, n’est-ce pas un peu les faire disparaître ? Disparaître de nos consciences en tout cas. Mais en réalité, nous savons que notre manière de vivre et de consommer entretient jour après jour des injustices, n’est-ce pas ?

 

Réponse authentique

Alors ? Maintenant qu’on en sait un peu plus sur l’amour, je vous repose la question : est-ce que vous aimez ? Est-ce que vous pratiquez cet amour-là ?

Je ne connais pas votre réponse. Elle vous appartient. Je ne peux vous livrer ici que la mienne. Elle est celle-ci : j’essaie ! Je m’y efforce mais je n’y parviens pas toujours. Vous aussi, vous vous y efforcez ? Eh bien je crois que nous sommes sur la bonne voie.

L’amour, écrit Paul, trouve sa joie dans la vérité. Un Corinthiens 13, 6. L’amour trouve sa joie dans la vérité. C’est un de mes versets préférés de toute la Bible. La vérité. L’authenticité. C’est dans ce terreau là que l’amour grandit. Qu’il s’ancre dans la joie véritable, qu’il s’épanouit et qu’il porte du fruit.

Si nous répondons : « j’essaie d’aimer mais je n’y parviens pas toujours », nous sommes déjà vrais avec nous-mêmes. C’est dans cette authenticité que nous pouvons développer l’amour. L’amour agapè est plus fort que les sentiments. Il dépasse les émotions et les élans du cœur. L’amour est une discipline de vie. C’est un exercice quotidien. Et comme le jogging, il se révèle de plus en plus facile à pratiquer si nous nous y astreignons très régulièrement.

Cet amour-là, cette discipline de vie est un commandement. Pas un conseil, une recommandation ou une bonne intention. Non, un commandement que l’évangéliste Jean met dans la bouche de Jésus alors qu’il s’adresse à ses disciples peu de temps avant sa mort.

Vous et moi, nous sommes exhortés à cet amour. Nous sommes exhortés :

À nous souvenir chaque jour que nous ne pouvons aimer que parce que nous nous savons d’abord aimés de Dieu, sans condition.
À sonder en nous pourquoi nous avons tant de mal à aimer certaines personnes.
À puiser notre force dans la facilité et la joie que nous avons à en aimer d’autres.

Nous sommes exhortés :

À développer notre générosité pour des raisons justes.
À chercher l’authenticité en nous-mêmes et à l’exercer dans nos relations.
À aimer et à apprendre à être aimés.

L’amour est éternel, écrit Paul. Il survit à tout. Il dépasse tout. Et nous n’avons certainement pas assez de toute une vie pour en faire le tour. Ne tardons pas, commençons immédiatement : aimons !

Amen.

Est-il encore possible de parler d’amour en Eglise? Ou l’amour est-il usé à force d’avoir été tant de fois brandi sans mesure, affirmé sans que l’action colle au mot? Plus qu’un sentiment, l’amour évangélique est une exigence de vérité. On peut – on doit! – encore en parler, même en Eglise.

Détails

Avec la participation de
Orgue
Musique
Evan Métral au piano, avec Solange Platz, Julia Platz et Sarah Platz au chant