Juger selon de faux critères?

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Écouter le culte :

Imaginons que dans notre assemblée arrive en même temps un homme au vêtement rutilant et un pauvre au vêtement sale… Et bien cher-e-s ami-e-s, ne faisons pas dans l’angélisme: il est évident que nous accorderions plus de considération à celui qui « présente bien », comme on dit chez nous. J’accueille avec le sourire le monsieur bien cravaté; mon visage se ferme alors qu’arrive le punk clouté et tatoué. Impossible de faire autrement: je ne peux pas ne pas avoir de première impression. Je ne peux pas m’empêcher de préjuger.

Le problème, c’est que trop souvent je me fie à ces préjugés. Je les crois vrais. J’aime être impressionné. C’est ce qui me fait dire que si vous êtes très content d’entendre Nicolas ce matin, vous auriez été d’autant plus impressionnés si une personnalité avait pris ma place: le pape François, frère Aloys de Taizé, Donald Trump ou le président du Conseil synodal. Parce que ces personnes sont des célébrités, ont des réputations. Et que si elles entraient dans cette abbatiale maintenant, tous les souffles seraient coupés, tout le monde serait attentif. Leur prestige impressionne et donne du poids à leur parole. Nous avons d’ailleurs bien entendu la longue liste des salutations et des courbettes adressées aux notables lors du dernier culte de consécration.

Le problème n’est pas nouveau. Jacques l’évoque. Mais les deux autres lectures de ce matin aussi: Jésus qui s’éloigne de la foule pour pouvoir prendre soin du sourd-muet, comme s’il avait besoin de prendre ses distances avec ce que les gens pensent et disent; Ésaïe qui rappelle à ses lecteurs que le désert, la soif, la dureté de certains passages de vie ne sont pas le tout, et qu’il y a quelque chose à voir, à entendre au coeur de l’affolement, quelque chose qui peut amener un peu d’eau là où règne la soif, un peu de joie là où règne la tristesse et l’amertume, un peu d’espérance là où règne le découragement.

Changer de regard. C’est là le travail auquel je suis appelé. Changer de regard pour agir autrement… à moins que ce ne soit agir autrement pour changer de regard? En effet, Jacques dira un peu plus loin: « Prenez soin, des pauvres, de celles et ceux qui ont besoin d’aide. » Jésus prendra le temps d’une relation particulière, face à face, loin des foules, avec le sourd-muet. Ésaïe invite à parler à celles et ceux qui s’affolent: les consoler, les réconforter, les encourager – pour que de l’eau surgisse au coeur du désert. Y compris en osant des mots pas politiquement corrects comme « vengeance » ou « revanche », parce que c’est parfois cela dont on a soif quand on souffre.

Je peux changer mon regard. Et le meilleur moyen de le faire, c’est de prendre soin, concrètement. S’approcher de l’autre. Chercher à le comprendre. L’écouter. Même dans ses désirs de vengeance. Prendre le temps. Loin des foules et de leurs a priori. Oser la rencontre. Lutter contre tout ce qui nous fait préférer certain-e-s, non pas pour qui ils sont en vérité, mais à cause de l’impression qu’ils font.

Celles et ceux qui auront aimé Dieu, dit Jacques, sont celles et ceux qui héritent du Royaume de Dieu. Aimer. Dieu. Son prochain. Soi-même aussi. Aimer, cela permet de goûter ce qu’est le Royaume de Dieu. Cela permet de changer de regard. Et cela commence par des gestes concrets. Prendre soin. Porter attention.

Je ne peux pas faire autrement qu’avoir une première impression quand je rencontre quelqu’un. Et d’être impressionné si cette personne est riche, célèbre, qu’elle présente bien, parle bien, est intelligente, séduisante, et j’en passe. Je ne peux pas ne pas ressentir, ne pas me faire d’idées. La prise que j’ai, elle est sur ce que je vais faire de mes impressions.

C’est pourquoi Jacques dit: « Dépasse cela. » Ne crée pas de partialité entre les personnes. Ne fais pas dépendre la valeur d’une personne de la manière dont tu la perçois. Mais découvre en elle une assoiffée de vie dans le désert, comme dit Ésaïe; une soeur, un frère de pauvreté qui cherche l’amour, comme dit Jacques; un être humain – même en terre païenne – qui a besoin de soin à recevoir, ou qui est prêt-e à en donner, comme dit Marc.

Ainsi peut-être je cesserai de chercher un Dieu qui impressionne, par ses miracles, sa puissance, un Dieu de la richesse et du pouvoir, pour m’ouvrir au Dieu de la pauvreté qui s’approche de la misère, et prend soin avec de la salive, en osant le contact, mais surtout avec de la lumière et beaucoup de tendresse.

Il ne s’agit pas de créer une nouvelle hiérarchie qui dirait que les pauvres sont les bons et les riches les mauvais. La pauvreté n’est pas bonne en elle-même, et parfois elle induit des comportements épouvantables. Mais il y a dans le fait d’être pauvre une nécessaire confiance: je n’ai pas les moyens de vivre par mes propres richesses, je dois donc m’ouvrir à un autre que moi, et avoir cette confiance qu’un chemin de vie sera possible. « Pauvres aux yeux du monde, mais riches dans la foi » dit Jacques.

Cela ne signifie pas qu’il n’y aura pas des gens que nous préférons à d’autres. Cela ne signifie pas que tous les actes que posent des humains sont acceptables.

Cela signifie simplement que nos préférences ne sont pas figées, définitives, ni ne parlent de l’autre en vérité. Cela signifie simplement que ce qu’une personne a pu faire d’inacceptable ne verrouille pas définitivement le regard, mais qu’il y ait toujours de l’avenir possible. Et si toi tu n’as pas la force, d’autres pourront l’avoir, c’est la raison pour laquelle Jacques s’adresse à toute une communauté.

Regardons le temps que nous prenons à nous inquiéter du budget et des moyens financiers en Église, par rapport au temps que nous prenons pour le soin des personnes et la générosité. Et nous découvrirons la pertinence des mises en garde de Jacques, et ce qui a besoin d’être guéri par le Christ.

Il n’est pas possible de ne pas avoir d’opinions. Toute la question est la valeur que nous leur accordons, la place qu’elles ont dans la construction de notre regard. Nous avons l’habitude de nous laisser enseigner par ce qui nous impressionne. Et si l’enseignement venait en fait de celles et ceux que nous estimons inférieurs?

Détails

Avec la participation de
Martin Schwarz
Orgue
Michel Jordan
Musique
Choeur "Chapelle vocale de Romainmôtier", sous la direction de Michel Jordan