«Tais-toi!»: un enseignement nouveau

Abbatiale de Romainmôtier ©Trisente, CC BY-SA 4.0 Wikimedia Commons

Écouter le culte :

« Tais-toi ! ». Ce n’est pas la première parole explicite de Jésus dans l’Évangile de Marc, mais presque. « Tais-toi » : une injonction qui suscite le malaise à l’heure où les Églises sont coupables d’avoir alimenté une culture du secret mortifère. « Tais-toi » : un ordre violent, clair, une parole d’autorité. Mais pourquoi une telle parole face à un homme visiblement en détresse, un homme qui peut-être aurait besoin d’être écouté ?

Jésus invite cet homme tourmenté au silence. Parce qu’il est face à une personne qui est profondément divisée en elle-même, passant du « nous » au « je », marquant dans ses propres mots qu’elle n’est plus en cohérence, qu’elle n’est plus unifiée.

Il invite cet homme au silence parce que Jésus est face à une personne qui sait : « Je sais qui tu es », dit l’homme, et ce qu’il dit est juste. Mais le savoir, en particulier quand il est appliqué à l’identité de quelqu’un, est toujours quête de pouvoir et est toujours enfermant.

Jésus invite cet homme au silence, car il a une conscience aigüe que l’humanité est toujours dans un rapport de dépendance avec ce qui l’entoure, et qu’il y a un combat à mener pour que cette dépendance n’amène pas l’aliénation, mais au contraire qu’elle contribue à l’accomplissement de soi.

À nous qui entretenons une relation fragmentée avec le monde autour de nous, à nous qui sommes morcelés par tant d’idées différentes qui tournent dans nos têtes, de sollicitations diverses avec tout ce que l’on devrait faire, tout ce à quoi l’on devrait penser, comme être un meilleur parent, un meilleur travailleur, un meilleur amant, un meilleur sportif, un meilleur consommateur, un meilleur soignant de la planète, un meilleur…

À nous qui sommes morcelés parce que notre être intérieur part dans tous les sens, et que nous percevons nos incohérences, et que nous en déduisons que nous ne valons rien, que nous ne pouvons pas être aimés…

À nous qui vivons cela, Jésus dit : « Tais-toi. » Fais silence. Fais silence… accueille une parole qui te désencombre et qui va t’aider à faire sortir de toi tout ce qui te fragmente. Pour que ce « nous » qui est en toi redevienne un « je ».

Et quand notre manière de croire en Dieu – ou en quoi que ce soit d’autre d’ailleurs – devient une manière de dire « je sais » ; quand nos pensées et nos paroles deviennent enfermantes : « Je sais qui tu es, je sais ce que tu penses, je sais ce qu’il faut croire, je sais qui est le vrai Dieu, je sais ce qu’il faut faire, je sais, je sais, je sais… »

À nous qui savons et qui enfermons dans notre prétention les autres, nous-mêmes, le monde, Jésus dit : « Tais-toi ».

Fais silence, accueille ce mystère du monde, de l’autre, de toi-même, de Dieu qui toujours t’échappe, et qui toujours est appelé à être cherché et découvert dans l’étonnement émerveillé.

Jésus nous libère des prétentions du savoir lorsque celui-ci enferme la vie et qu’il alimente toutes formes d’abus de pouvoir. Parce qu’avec lui, la rencontre de Dieu se passe dans la rencontre d’un humain, et que rencontrer un humain, c’est toujours neuf.

Enfin, à nous qui clamons si fort notre indépendance et notre individualisme et notre isolement, à nous qui oublions qu’il n’est pas d’être humain sans un rapport de dépendance, et qu’il est essentiel de clarifier de quoi nous sommes dépendants en vérité, Jésus apporte une parole qui ne peut être entendue que si l’on fait silence.

« Que tout en toi se taise, que tout en toi s’apaise, et que parle ton Dieu. » Prends le temps de clarifier ce qui est la source de tes choix, de tes paroles, de tes actions. C’est le combat que mène le Christ avec nous et en nous : ce qui peut nous permettre de trouver une vie unifiée, réconciliée, une vie dans laquelle la dépendance offre paradoxalement davantage de liberté : c’est ce que fait l’amour.

Si cet enseignement de Jésus est un enseignement nouveau, ce n’est pas parce que nous n’aurions jamais entendu ce qu’il dit. Non, la nouveauté réside dans la proximité.

Chaque fois que je me rends proche de quelqu’un, chaque fois j’accueille la nouveauté de ce qu’il vit. Je sors de mes « je sais », je fais silence, et je me mets à l’écoute.

Chaque fois que je suis rejoint par quelqu’un qui m’aide à faire advenir mon identité profonde, mon « je », qui m’aide à discerner et trier parmi tout ce qui me divise et me fragmente, chaque fois, j’accueille cette nouveauté. 

Alors le Royaume de Dieu devient cette réalité qui elle aussi se déploie dans la proximité. Tout simplement parce qu’il est une autre manière de dire l’amour qui s’accomplit.

Où l’auditeur découvre qu’il faut parfois se méfier d’avoir trop Dieu à la bouche ou sous les yeux, et qu’il peut être bon de retourner à la rencontre d’humain à humain, avec ce que cela comporte de risques et de chances.

Détails

Avec la participation de
Emmanuelle Charrière pour les lectures
Orgue
Michel Jordan
Musique
Chorale l'Echo du Vallon de Vaulion, sous la direction d'Etienne Roulet