«La vie de l’homme est une corvée!»: un enseignement ancien

Abbatiale de Romainmôtier (©AUJ)

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On dit « la vie est belle ». Mais parfois, la vie est une horreur, parfois je peux avoir l’impression qu’ouvrir vraiment les yeux sur la réalité du monde et des humains est tellement insupportable que c’est invivable – quand la vie est une corvée misérable, comme le dit Job.

Cela peut être le mal que l’on nous a fait, lorsque l’on a été maltraité ou abusé, lorsque l’on a subi des violences par d’autres personnes ou par des événements traumatisants. Toutes ces cicatrices qui finissent par rendre laid même ce qui est beau. Il y a tellement de douleurs dans une vie humaine…

Cela peut aussi être le mal qui se passe dans le monde, par la faute de la cupidité des humains, de leur soif de pouvoir, de leur égoïsme, de leurs peurs. Tout ce qui fait que nous sommes incapables d’apprendre à mieux vivre ensemble, que nous ne cessons d’entrer en guerre contre d’autres peuples, contre nos voisins, contre notre famille, contre la planète, contre nous-mêmes.

Cela peut enfin être ce mal plus sournois, moins identifiable, qui prend la forme d’un grand vide, un néant, un « à quoi bon », un « rien n’a de sens », un découragement, un désespoir.

Alors, comme Job, nous nous disons parfois, quand nous sommes au comble de la souffrance : « je n’ai en partage que le néant », les nuits sans sommeil, la conscience du temps qui passe comme la navette du tisserand, la vie qui n’est qu’un souffle, la mort…

Oui, la vie humaine, la vie de chacune et chacun de nous, c’est aussi cela. Et que l’on soit croyant comme Job ou non ne change rien. Ces temps de noirceur, ces temps de cauchemars, ces soirs qui n’en finissent pas, nous en connaissons toutes et tous le goût de cendres.

Et comme lorsque nous sommes frappés par la maladie et la fièvre, cela envahit tout au point de nous faire oublier ce que c’est que d’être bien. Et que le bien peut revenir. Que la vie peut redevenir belle. Quand je suis malade, je ne suis plus que ma maladie parce que la douleur prend toute la place. Mais quand tombe la fièvre, je réalise que ma manière de voir ce qui m’entoure peut redevenir plus claire.

Pour la belle-mère de Pierre qui est malade, Jésus va poser un geste de guérison. Non pas pour guérir toutes les maladies du monde : Jésus laissera d’ailleurs là ceux qui le cherchent et ont encore besoin de lui pour aller plus loin proclamer l’Évangile. Mais il pose geste comme un signe pour dire où est Dieu et où est l’humain. Ce geste est très simple, il se raconte en deux temps : il prend la main de cette femme, et il la fait se lever.

Pour le dire autrement : il vient la rejoindre dans ce qu’elle vit, il vient la toucher, il se rend proche, il dit le lien, la tendresse, une main qui prend une autre main, ce geste tellement simplement humain.

Et il lui redonne une station debout, il restaure en elle la confiance de ne pas être définie par sa maladie en restant couchée, mais être relevée, ressuscitée, pour signifier son intégrité, sa valeur, sa capacité d’avancer, de marcher, de vivre.

Voilà où se trouve Dieu lorsque nous sommes frappés par la souffrance : il n’est pas celui qui l’aurait envoyée, mais celui qui nous aide à retrouver la force par des gestes de soutien, de tendresse, des gestes qui restaurent notre intégrité et nous remettent debout. Une main qui prend une autre main.

Voilà où sont appelés les humains que nous sommes lorsque nous rencontrons la souffrance chez l’autre : oser s’approcher, oser prendre la main, oser être humain avec l’autre humain, même complètement impuissants. Oser le regard qui continue de voir en l’autre souffrant une personne complète, intègre, d’une valeur infinie.

« La gloire de Dieu, c’est l’homme debout », disait Irénée de Lyon. Face à la souffrance, demeurer avec le Christ dans la présence, et soigner son propre regard pour qu’il soit de l’ordre de ce qui relève et non de ce qui réduit.

Alors la vie, même accompagnée de son cortège de souffrances que nous ne connaissons que trop bien, peut retrouver sa beauté, sa profondeur, sa largeur, sa hauteur, sa lumière.

C’est cette Bonne Nouvelle que le Christ n’a cessé d’annoncer. Et il l’a fait de telle manière que même la mort injuste et terrible qu’il a subie n’a pu mettre un terme à sa présence et à son amour. Comme il a relevé cette femme, Jésus lui-même a été relevé. Et à sa suite, les femmes et les hommes ne cessent de s’accrocher à cette foi : la réponse à la souffrance n’est pas une explication, elle est un geste d’amour. Toujours recommencé.

Où l’auditeur est invité à reconnaître que la vie des humains peut être absolument misérable mais qu’il reste un semblant d’espoir lorsque même la guérison d’une belle-mère peut devenir un sujet de réjouissance.

 

Détails

Avec la participation de
Patric Bonnevaux pour les lectures
Orgue
Anne-Claude Burnand-Mauri
Musique
Le choeur de l'Abbatiale, sous la direction de Michel Cavin