Prendre soin des ouvriers du blé et du pain

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Écouter le culte :

Comme je sais par mon copain Jésus que l'amour gagne toujours, je suis habité par une espérance farouche et un indécrottable optimisme. L'optimiste pour Coluche c'est quelqu'un qui entre dans un restaurant sans porte-monnaie et qui commande 12 huîtres en espérant que dans l'une d'elle il y aura une perle avec laquelle il pourra payer son repas ! Mais ça, ce n'est pas pour moi un optimiste mais un rêveur !

Non, l'optimiste n'est pas un être béat qui estime que tout ira bien. Au contraire, l'optimiste perçoit les défauts de la réalité, mais face à ce constat négatif, il ne conclut pas « ce sera pire demain », il entreprend pour que cela s'améliore; il combat le monde, les autres et lui-même pour corriger les insuffisances de la réalité. C'est le sens du texte d'Esaïe 21, 11 qui parle de la sentinelle et qui dit : « Sentinelle, que dis-tu de la nuit ? Et la sentinelle répond : le matin vient ! » Au cœur de la nuit nous pouvons œuvrer pour que le matin se lève !

Un jour ou l'autre dans notre vie nous sommes confrontés à l'adversité et au mal. La félicité ne consiste pas à se tenir à l'abri du mal – ça c'est être épargné – la félicité débute après les coups. Subir des violences, des déceptions, des insultes, des félonies, des deuils, et néanmoins sourire, faire face et savourer la vie. Apprendre à insérer la douleur dans la trame de nos jours. Peut-être avons-nous peur au moment du combat, mais avoir peur ce n'est pas manquer de courage, c'est prendre le chemin qui conduit au courage.

Venons-en à nos deux textes :

1. Les pèlerins d'Emmaüs
C'est un texte que j'aime particulièrement car il est très vaudois-compatible. C'est un texte important dans mon accompagnement de ce peuple taiseux. Ce paysan qui ne parle pas volontiers de ses problèmes et qui a depuis longtemps pris l'habitude par pudeur, gêne et discrétion – on ne veut pas déranger les autres avec nos histoires – mais parfois aussi par orgueil en croyant qu’oser partager ses problèmes est une faiblesse alors que c’est justement un regard lucide sur soi-même.

Humblement mais sans fausse modestie, je me sens parfois comme le Christ sur le chemin d'Emmaüs. Ceux que l’on appelle à tort les pèlerins d’Emmaüs ne sont d’abord que des fuyards. C’est plein d’amertume, désabusés et tristes qu’ils ont quitté Jérusalem. Ils fuient la réalité parce qu’ils sont déçus. Ils tournent le dos à leur malheur. La mort du Seigneur est pour eux la fin d’un grand rêve et la mort d’une grande espérance : « Nous espérions que ce serait lui qui délivrerait Israël… » C'est une phrase terrible ! Et ils font 12 km pour aller à Emmaüs. Vous savez pourquoi ? Parce qu'à Emmaüs il y a une bonne auberge ! Ils vont se remonter le moral en allant manger ensemble ! Et sur le chemin, c’est la rencontre avec un vrai pèlerin : celui-là qui vient de la mort pour rejoindre la vie va les faire renaître à l’espérance et à la joie. Cet étranger, rencontré au gré de la marche, va peu à peu les ramener de la nuit de leur tristesse à la lumière de la joie.

Ils ne le reconnaissent pas parce qu'Il est LE VIVANT ! Eux sont encore enfermés dans leur douleur, leur colère et leur frustration. Et en rompant le pain Jésus va faire d’eux des pèlerins qui vont courir à Jérusalem et devenir les témoins de l’incroyable nouvelle : « Il est vivant ! La mort est vaincue ! » Le silence est habité. Dieu devient invisible mais fabuleusement présent !

Mais au fond que fait Jésus sur ce chemin ? Avec ce « quoi donc ? », Jésus ne fait rien d'autre que ce que nous faisons souvent quand nous accompagnons des personnes qui ont un mal être ou qui ont vécu un drame, et c'est, je crois, fondamental pour permettre à la personne de se sentir rejointe, nous disons – vous savez comment on dit « quoi donc ? » en vaudois ? « Dis-voir Louis, raconte voir, raconte-moi ce qui t'es arrivé, raconte-moi ce qui te fait mal… »

C'est une porte d'entrée magnifique pour un premier contact de donner la parole à celui que l'on veut rejoindre, de lui permettre de « raconter », et d’être pour lui compagnon de voyage, compagnon sur la route de sa vie.

La solitude est un des fléaux du monde paysan. Et le constat est sans appel : plus les problèmes pèsent sur une exploitation, plus le paysan s’isole, se referme sur lui-même, parfois jusqu’au suicide. On ne va presque plus à la laiterie, le camion vient tous les deux jours sur la ferme et le chauffeur est pressé. Il n'y a bientôt plus de bistrot pour un partage et un moment convivial à la table des menteurs; on n'a plus les moyens de se payer un ouvrier et on fait le travail tout seul. De plus, souvent le conjoint travaille car on a besoin d'un revenu annexe pour tourner.

Mon expérience de l’accompagnement pastoral, mon empathie et mes compétences de paysan aident alors à gagner la confiance de ces êtres souvent trop fiers pour « se répandre », et vont parfois jusqu’à se pendre. C’est ici qu’une écoute active et un dialogue peuvent avoir lieu afin qu’une parole puisse commencer d’être et d’agir afin que revienne la Vie.

2. Le paralysé de Bethesda ou Bethsaïda.

Ici, Jésus voit un homme, comme dans l'épisode de l'aveugle-né : « Jésus, passant, vit un homme aveugle de naissance » (Jean 9). Vous savez, dans tous les épisodes, qu'il s'agisse d'épisodes de guérison ou autres, Jean raconte autre chose que ce qu'on croit entendre à première lecture. Ce qui est en question dans l'un et l'autre épisode, c'est la guérison de l'humanité. « Un homme » c'est l'humanité. Donc nous sommes invités à lire grand. Mais chez Jean, le grand est souvent dans le petit.

Regardons les trois caractéristiques de l'homme paralysé puis guéri. L'homme qu'il voit ici est caractérisé premièrement par son horizontalité : il est gisant avec beaucoup d'autres gisants, les autres étant affectés de différentes carences, maladies.

Vous savez, nous sommes comme les arbres: un arbre debout est un arbre vivant, un arbre couché est un arbre mort. Il est là, couché, dépendant depuis 38 ans et il semble qu'il est entré dans une identité de malade et n'a plus assez de volonté propre pour demander de l'aide pour le mettre dans l'eau qui sauve. C'est pourquoi Jésus lui pose cette question provocante et pas très tendre : « Est-ce que tu veux vraiment guérir ? » La question est vraiment étrange parce qu'à première vue on serait tenté de dire : tout le monde désire guérir. Mais ce n'est pas si simple car l'homme lui répond : « Je n'ai personne qui me jette dans l'eau quand elle se met à bouillonner. » Il est gisant, il faut qu'un homme le porte, il est gisant et il est passif; et enfin il est attardé dans son parcours parce qu'il ne marche pas et peut-être ne demande-t-il même plus qu'on le porte. Sa maladie est devenue un système de vie. Et là, visiblement, Jésus, par sa question, cherche à mettre l'homme en marche intérieurement avant de le de mettre debout physiquement.

Personne ne peut être soigné ou accompagné contre son gré. Jésus aimerait entendre de la bouche du malade ou du blessé lui-même sa volonté de s'en sortir. Jésus nous enseigne ici le respect du thérapeute qui place celui qu'il accompagne au cœur de son être, de son désir propre et de sa liberté. Une de mes souffrances c'est de ne pas pouvoir aider celui qui refuse le soutien qu'on lui propose. C'est difficile de cheminer dans l'impuissance. C'est peut-être la démarche la plus difficile car devant la question que le Christ adresse au paralysé : « Veux-tu guérir ? » doit émerger ce que la personne veut vraiment afin de discerner avec elle les « possibles ».

La solution est entre les mains de celui qui veut s’en sortir. Comment l’aider, lui redonner confiance, même en le bousculant parfois et en remettant en perspective nouvelle ses certitudes trop souvent héritées de pratiques que des loyautés multiples empêchent d’enfreindre ? Trop souvent ils n'arrivent plus à dire « je » et ils disent : « Eux, les banquiers ; ils, les édiles ; elle, la politique agricole », mais ils ne disent plus JE. « Je suis qui je suis » et il subissent leur sort un peu comme des pauvres caliméros qui tombent dans le victimisme.

Quand Moïse demande son nom à Dieu au pied du buisson ardent, Dieu lui répond : « Je suis qui je suis ! » Et avec la grammaire hébraïque on peut aussi traduire : « Je suis qui je serai ! »

Oui mes très chers, qui que nous soyons, quel que soit notre âge, nous sommes des êtres en devenir car dans l'amour du Père nous avons bien plus d'avenir que de passé. Pour rejoindre mes chers paysans dans ce désarroi, c'est alors un subtil mélange de psychologie, de connaissances techniques, de coaching et de charisme qui sont ici en jeu. C’est là aussi la capacité d’adresser un message qui dise la Vie, envers et contre tout. Chaque être humain n’est fait que de chair et de sang. Il a une dimension spirituelle. La reconnaître et lui donner un tant soit peu corps, c’est le chemin de la Vie. Et ce n’est hélas la plupart du temps qu’au travers de la souffrance que l’homme le plus hermétique peut chercher à voir s’ouvrir cet espace-là. C’est ma passion et je le crois, ma vocation que de leur montrer ce chemin.

En guise de conclusion, j'aimerais revenir sur une chose, une seule, mais essentielle : mes chers amis, nous avons besoin les uns des autres, le monde paysan. Les paysans ont besoin de notre engagement, de notre humanité, de notre soutien. Nous sommes face à des questions de vie, pour que la mort tellement absurde et injuste du suicide ne soit jamais gagnante. Là où Dieu vous a placé vous pouvez rejoindre un ami, un voisin une connaissance et cheminer avec lui.

Et ne pensez pas que vous n'avez pas les connaissances et les compétences nécessaires et suffisantes. C'est faux ! Vous avez toutes et tous suffisamment de capacité de jugement et d'empathie pour déceler (parfois sans comprendre) si une situation semble critique. Votre bon sens, votre paysanne intelligence comme disait Ramuz, n'est pas un vain mot. Il s'agit ici d'en user et de laisser parler l'intelligence du cœur dans ce monde qui se déshumanise trop souvent. Vous en êtes toutes et tous capables, j'en suis convaincu.

Alors je vous dis, en puisant à nouveau dans l'Ecriture, c'est dans l'histoire de Gédéon, caché au fond de son pressoir. Dieu l'envoie en mission avec ces mots : « Va avec la force que tu as ! » Alors à vous mes amis qui êtes en mission d'amour au nom du Christ, à chacune et chacun de vous je dis : « Va, avec la force que tu as ! »

Amen.




Le Credo du paysan

Dieu me prête le champ, me donne la semence
Tour à tour suscitant la crainte ou l’espérance
Alterne pluie ou vent au gré de sa clémence
Fait briller son soleil aux heures de son choix.
Et moi, que ses arrêts déconcertent parfois,
Moi, l’humble paysan, j’accomplis et je crois.

Anonyme

Au cœur du temps des moissons, au coeur de la fête, comment prendre soin des ouvriers du blé et du pain?
Jésus, sur le chemin d’Emmaüs pose la question « Quoi donc? » aux pèlerins, une porte d’entrée de l’écoute qui permet de se dire et de partager le désarroi. Il se fait, à ce moment très précis,compagnon de voyage. Dans la pastorale du monde agricole, c’est aussi rejoindre la personne sur la route de sa vie.
A travers le paralysé de Bethesda, c’est une autre question qui est posée, dans le « Veux-tu guérir? ». Il est important d’entendre « Qu’est ce que tu veux? » et là encore, accompagner, c’est respecter ses possibles, c’est aussi adresser un message qui dise la vie envers et contre tout.
Pour Pierre-André Schutz, aumônier des paysans, nous avons besoin des uns des autres, du monde paysan. Les paysans ont besoin de l'engagement des citoyens, de leur humanité, de leur soutien avec la conviction que là où Dieu nous a semés, nous pouvons fleurir et porter du fruit.

Détails

Avec la participation de
Corine Richard, Quentin Wenger
Orgue
Christiane Cornu-Cavin
Musique
Risa Soejima au hautbois et Florence de Saussure au violon