Quand Dieu se bat en musique

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Écouter le culte :

« Joshua fit the battle of Jericho, Jericho, Jericho. Joshua fit the battle of Jericho, and the walls came tumbling down. » (extrait d’un chant traditionnel afro-américain)

Vous serez sans doute d’accord avec moi pour dire qu’il est impossible d’entendre l’histoire de la prise de Jéricho par Josué et les siens, sans faire le lien entre cet épisode et ce chant célèbre, et ce d’autant plus dans le cadre d’un culte animé par des chants gospel.

« Joshua fit the battle of Jericho… » : Josué a mené la bataille de Jéricho et les murs se sont écroulés. C’est en tout cas bien ce que nous raconte l’histoire que nous avons entendue ce matin.

Quoi que… le chant affirme que « Joshua fit the battle of Jericho ». The battle : la bataille de Jéricho. Mais drôle de bataille, vous ne trouvez pas ? Oui drôle de bataille puisqu’elle a eu lieu sans arme, et même sans véritable combat. Jéricho – nous dit-on – était alors une ville en état de siège, mais ses remparts protégeaient ses habitants contre toute attaque. Alors, plutôt que de venir s’écraser contre ses murailles inattaquables, voici que Josué et ses troupes adoptent une autre tactique. Ils adoptent une tactique qui leur est inspirée par Dieu lui-même.

Six jours durant, le peuple d’Israël va tourner autour de la ville, en sonnant de la trompette tout en portant l’arche de l’alliance. L’arche de l’alliance ? C’est-à-dire en réalité une sorte de coffre dans lequel se trouvaient – dit-on – les tables de la Loi.

Sur ordre de Dieu, Josué et les Israélites mènent donc la « bataille » de Jéricho en promenant autour de la ville ce coffre sacré, accompagné par de la musique. Et on se demande : mais quelle armée au monde peut-elle combattre ainsi ? Et surtout espérer la victoire ? Non mais vous vous rendez compte ? Tourner autour d’une ville assiégée en promenant un coffre et en jouant de la trompette ? Mais c’est complètement dingo comme stratégie militaire !

Ah, ils devaient bien rigoler les habitants de Jéricho en voyant passer cette étrange procession.
Imaginez un peu le chef de la ville en train de demander à ses subordonnés :
« Alors, que font les troupes ennemies ? »
« Oh, eh bien elles tournent autour de la ville en promenant un coffre et en jouant de la trompette. »

Ils devaient se tordre de rire les habitants de Jéricho en voyant les Israélites déambuler ainsi sous leur muraille. Et tout cela pendant 1 jour, pendant 2 jours, pendant 3 jours, pendant 6 jours. Au bout de quelques temps, ça commençait même à devenir lassant. « Tiens, ils sont en avance aujourd’hui. Ah, ils ont fait plus vite qu’hier. »

Et surtout, surtout rien ne se passe ! Six jours durant. Et rien ne se passe ! Les Israélites tournent en rond. Et avec eux, leur plan de bataille et leurs rêves de conquête. Oui, ils tournent en rond, les Israélites, et nous aussi, nous tournons en rond avec eux ! Parce qu’on n’avance pas dans cette histoire. On n’avance pas dans la vie en tournant ainsi en rond.

Seulement voici poindre le matin du 7ème jour… Alors bon, c’est devenu une habitude : les Israélites se remettent en route de bon matin, avec leur arche et leurs trompettes.
Et ils font le tour de la ville, comme les jours précédents.
Et lorsqu’ils arrivent au bout de la boucle… ah tiens, ils repartent pour un tour.
Eh bien c’est nouveau ça ! Les autres jours, ils ne faisaient qu’un seul tour.
Et puis, au bout du deuxième tour, ils continuent et ils entament un troisième tour, puis un quatrième, un cinquième, un sixième et même un septième.

Et à la fin du 7ème tour, le peuple qui s’était tenu silencieux jusque-là, le peuple qui n’avait fait que de tourner en rond en silence au son des trompettes six jours durant, à la fin du 7ème tour effectué au bout du 7ème jour, alors à ce moment-là, le peuple s’exprime enfin.
Et il fait même plus que de s’exprimer le peuple, puisqu’il pousse – nous dit-on – une immense clameur.

Il pousse même une clameur si particulière, le peuple, il pousse une clameur si intense que lorsqu’on en parlera plus tard, on l’appellera tout simplement : la clameur. Le peuple pousse donc la clameur et aussitôt, badaboum, les murs infranchissables de Jéricho s’écroulent sur place d’un coup. Boum ! Encore plus efficace que de la dynamite.

Josué a mené la bataille de Jéricho et les murs se sont effondrés : au son des trompettes et de la clameur du peuple.

« Joshua fit the battle of Jericho, and the walls came tumbling down. »

Ce chant célèbre, il a été créé par des esclaves noirs d’Amérique du Nord au début du 19ème siècle. Ils vivaient bien loin de Jéricho, ces esclaves. Ils n’assiégeaient aucune ville. Ils n’aspiraient à aucune conquête, sinon celle d’accéder un jour à leur liberté. Ils ne transportaient pas d’arche non plus, mais ils avaient découvert le trésor de la foi en un Dieu libérateur.

D’ailleurs, les 10 commandements présents dans l’arche de l’alliance ne commencent-ils pas avec cette parole : « Je suis le Seigneur ton Dieu qui t’as libéré du pays de l’esclavage » ? Cette parole, ils l’avaient non seulement comprise, les esclaves d’Amérique du Nord, mais surtout, ils se l’étaient appropriée. Et ils en étaient convaincus : le Dieu qui avait libéré les Israélites de l’esclavage en Egypte, ce même Dieu les libérerait eux aussi à coup sûr de leurs chaînes.

Tout comme les Israélites, ils n’avaient pas d’armes pour mener leur combat. Ils n’avaient que leur foi. Et pour exprimer leur foi, ils n’avaient que leur voix. Alors ils ont chanté.
Ils ont chanté pour se donner du courage.
Ils ont chanté dans leurs champs de coton ou de canne à sucre.
Ils ont chanté un jour, ils ont chanté deux jours, trois jours, six jours. Et le 7ème jour, ils se retrouvaient dans des assemblées plus ou moins clandestines pour chanter encore ensemble, pour affermir leur conviction que les murs de l’esclavagisme et de la ségrégation raciale finiraient bien par tomber au bout du compte.

Et c’est effectivement ce qui s’est passé. Les esclaves ont fini par accéder à la liberté, et puis, au bout d’un long combat conduit notamment par le Révérend Martin Luther King, les noirs américains ont obtenu la reconnaissance de leurs droits. Alors bien sûr qu’aujourd’hui, tout n’est pas encore parfait. Il y a en effet encore beaucoup d’injustices, beaucoup d’inégalités à combattre pour que les Noirs aient vraiment les mêmes chances de réussite que les blancs aux Etats-Unis, comme ailleurs du reste.

C’est pourquoi sans doute, ils continuent de chanter. Car de leurs chants se dégage comme une nouvelle clameur, de leurs chants se dégage une clameur en forme d’espérance contagieuse. Cette espérance, c’est celle nous pousse à croire avec eux que ce que Dieu a fait en faisant tomber les murailles de Jéricho, que ce que Dieu a fait en faisant tomber les murailles de la ségrégation raciale, eh bien, Dieu peut le faire, Dieu veut le faire encore aujourd’hui pour nous aussi.

Nous qui ne vivons pas au temps de la conquête de Jéricho. Nous qui ne sommes pas descendants des esclaves d’Amérique du Nord. Mais nous qui aspirons du plus profond de nous-mêmes à une même libération.
Libération de nos angoisses liées au futur de notre humanité et de notre vie sur terre.
Libération de nos culpabilités qui nous tétanisent à force d’espérer le pardon.
Libération des murs intérieurs qui nous emprisonnent dans des rôles, dans des fonctions qui nous paralysent, des murailles qui nous isolent et qui finissent par nous rendre profondément malheureux.

« Joshua fit the battle of Jericho. »

Bien des siècles après la bataille menée par Josué, voici qu’un autre Joshua entrait à son tour dans la ville de Jéricho. Il n’y avait alors plus de muraille autour de la ville, plus d’obstacle apparent pour l’empêcher de passer. Mais au sommet d’un arbre, il y avait un petit homme méprisé de tous.
Un petit homme très riche qui s’était barricadé dans sa soif d’argent, gagné par tous les moyens.
Un petit homme qui n’osait plus côtoyer personne, du fait de sa richesse acquise de manière plus que douteuse.
Un petit homme très riche donc, intrigué par ce nouveau Josué qui faisait le buzz dans les rues de Jéricho.
Un petit homme perché au sommet de son arbre, tout seul, loin des autres, loin de lui-même. S’il vivait aujourd’hui, peut-être regarderait-il tout cela protégé derrière son écran d’ordinateur, ou derrière son poste de radio…
Ce petit homme, il s’appelait Zachée.

Et voici que Joshua – ou Jésus en français – voici donc que Jésus s’invite chez Zachée, et ce au grand dam de toutes celles et ceux qui espéraient à juste titre le voir s’arrêter chez eux. Et lorsqu’il entend Jésus lui dire qu’il désire s’inviter chez lui, alors… boum ! voici que les murailles intérieures de Zachée s’écroulent aussitôt.

Vite, il descend de son arbre.
Vite, il ouvre tout grand sa maison barricadée par des fils de fer barbelés, des caméras de surveillance, quelques vigiles et des chiens menaçants (c’est en tout cas comme ça que j’imagine sa maison !)
Vite, Zachée accueille Jésus chez lui.

Et voici qu’il éprouve un sentiment nouveau. Il est tout heureux. Et malgré l’anachronisme je l’imagine volontiers s’affairer à recevoir Jésus chez lui en chantonnant à sa manière : « Jesus fit the battle of Jericho, and my walls come tumbling down. » Jésus mène la bataille de Jéricho, et voici que mes murailles intérieures s’écroulent.

Des murailles, il y en a encore hélas aujourd’hui, ma foi, tant et tant. Et cela même s’il y a tout juste trente ans que le mur de Berlin était détruit, déclenchant une immense clameur dans le monde entier, une clameur porteuse d’une espérance non moins immense.

Mais malgré cet événement presqu’inespéré, les murs n’ont pas arrêté de se construire pour autant dans notre pauvre monde : murs en Palestine, murs entre les Etats-Unis et le Mexique, mais également en Europe : murs entre la Grèce et la Macédoine, entre la Bulgarie et la Turquie entre la Hongrie et la Serbie, entre la Norvège et la Russie. Plus de 1000 km de murs ont été construits ces dernières années en Europe.

Tous ces murs, ils sont autant de symptômes de la peur qui grandit au sein des populations des pays qui les érigent : peur d’être envahis, peur de perdre son identité, peur de ce que certains appellent le grand remplacement.

Pour lutter contre ces peurs, pour lutter contre ces murs, les chants gospel en général et le chant « Joshua » en particulier ; ces chants, ils nous invitent à notre tour à pousser une clameur. Une clameur en forme de chant d’espérance, une clameur qui détruit les murailles internes de celles et ceux qui les chantent, une clameur qui nous donne l’audace d’oser espérer et de nous engager pour construire un avenir fraternel et chaleureux, envers et contre tout.

Lorsque nous reprenons des chants gospels, lorsque nous poussons à notre tour cette clameur, alors elle nous inonde nous aussi d’une joie semblable à celle qu’éprouva Zachée. Plus rien ne paraît impossible, puisque Jésus s’invite chez nous.

C’est bien ce miracle qu’opèrent les chants de la tradition gospel. Ils font retentir en nous l’invitation du Christ. « Aujourd’hui, je veux demeurer dans ta maison. Aujourd’hui je veux demeurer dans ta vie. » Et ce qui semblait complètement impossible devient alors tout à fait possible.

Les murailles qui nous retenaient prisonniers de nous-mêmes, ou prisonniers de nos représentations de nous-mêmes, ou encore des rôles dans lesquels les autres nous avaient cantonnés. Ces représentations, ces rôles, ils s’écroulent et voici que nous commençons même à danser, presque malgré nous. Dans le temple d’Echallens, ou en écoutant Espace 2. Non mais vous vous rendez compte !!

Et j’espère bien que ce n’est là qu’un début… Car Josué, car Jésus, ont mené et gagné la bataille de Jéricho, et ils mènent aujourd’hui la bataille de notre libération.

Et nos murs volent en éclats !

Si bien que nous pouvons chanter aujourd’hui : « Jesus fit the battle of Echallens, Haute-Menthue, Espace 2, Jesus fit the battle of Echallens and our walls come tumbling down ! »

Badaboum !

Amen

Un célèbre air gospel chante la victoire de Josué à Jéricho, au son des trompettes et des clameurs du peuple. Ou quand Dieu choisit la musique comme arme pour faire tomber nos murailles.

Détails

Avec la participation de
Cécile Pache et Corinne Delacrausaz
Orgue
Musique
"Gospel For All", sous la direction de Hans Edouard Edmond. Avec Madeleine Ramuz, Nathalie Rindlisbacher, Daniel Lungu, solistes et Dolson Falau au piano.