Où est la liberté ?

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Avez-vous déjà entendu un vigneron vous parler de sa vigne ? Depuis que j'exerce mon ministère ici en Valais, cela ne vous étonnera pas d'apprendre que cela m'a été donné, et même à plusieurs reprises. Et c'était à chaque fois un vrai cadeau. Oh, je ne vous parle pas là d'un responsable d'une grande cave viticole qui a des problèmes d'écoulement de son stock de fendant. Non je vous parle du vigneron, de celui qui bien souvent ne participe même pas au circuit commercial, mais qui dispose de quelques arpents de vignes et qui fait son propre vin.
Je ne vous dis pas que ces vins sont toujours de qualité extraordinaire, mais ils ont une qualité extraordinaire : c'est d'être fait par des hommes de passion dont la voix, l'attitude, le regard transmettent toute l'importance qu'a pour eux les soins qu'ils apportent à leur vigne : son exposition, son travail, sa taille, la récolte du fruit.
Sans doute avez-vous déjà eu l'occasion de rencontrer de ces passionnés, et si ce n'est pas ici en Valais, peut-être est-ce dans une autre région viticole ou peut-être est-ce à propos d'une autre profession ? De ces hommes, de ces femmes transportés par leur passion et qui sont dévouement, investissement, engagement total.

Il me plaît de penser que lorsque Jésus a repris cette vieille image, issue du fond des temps bibliques, de la vigne et du vigneron, il me plaît de penser que lorsque Jésus a fait cela il a l'a fait, en ayant en tête l'image d'un des ses passionnés. Il l'a fait avec la même passion, que sa voix, son regard, son attitude transmettaient cette même passion, cette passion pour l'humanité.
Oui il me plaît de croire que Jésus est venu pour rendre témoignage à un Dieu passionné, à un Dieu passionné pour l'humanité, à un artisan de l'humanité méticuleux, humble, discret, tenace, dont chaque geste trahit l'espérance et la passion qu'il a pour son métier, que dis-je pour son art.
La vigne depuis le plus profond des temps bibliques est le symbole de l'humanité. Le vigneron est une image pour parler de Dieu. Il me plaît de croire que lorsque Jésus a parlé à ses disciples, il avait cette passion dans le regard.
Il me plaît de croire qu'aujourd'hui, si nous voulons retrouver derrière les Écritures un peu de cette parole de Vie, il faut nous plonger dans ce récit de l'évangile selon Jean, en ayant un peu de cette passion au cœur ou tout au moins en ayant en tête que le Dieu auquel Jésus de Nazareth rend témoignage est un Dieu qui est un passionné de l'humanité.
C'est avec cet a priori-là, c'est à partir de ce point de vue que j'aimerais repasser pour vous quelques-uns des points forts de ce récit. Comme une clef de lecture qui nous permet d'ouvrir des portes sur différentes pièces et nous permet ainsi d'habiter cette parole et de nous laisser habiter par elle.

"Vous êtes des sarments", nous dit Jésus. Vous êtes : c'est aussi simple que cela ! Il ne nous dit pas : devenez des sarments; il ne nous dit pas : accrochez-vous à moi. Il nous dit : vous êtes des sarments, vous êtes reliés à moi, non pas par vos propres forces, par vos propres moyens, par votre propre quête spirituelle, par votre propre piété, par vos propres actions. Mais parce qu'il en est ainsi, parce que vous êtes des êtres humains, des créatures voulues par Dieu, vous êtes attachés à moi.
Vous êtes les sarments, je suis le Cep. Croire, croire c'est peut être d'abord cela : cet instant extraordinaire où après avoir longtemps cherché Dieu, après avoir peut être cru qu'on ne le trouverait pas, après l'avoir peut-être perdu, après s'être dit qu'il est décidément trop loin, trop haut, trop compliqué, trop convenu, trop moderne. Bref qu'il n'était pas à notre portée. Croire c'est simplement se découvrir relié à Dieu et cela depuis le commencement des temps.

"Demeurez en moi." Autre petite phrase de cet enseignement du Christ. Demeurez, nous pourrions comprendre ce verbe comme un encouragement à rester statique, immobile, passif dans nos habitudes de pensées et de vie, dans notre morale, dans notre manière de faire et de concevoir notre vie et notre vie avec Dieu. Mais ce n'est pas de cela dont il est question ici.
Demeurez en moi comme le sarment demeure dans le cep. Or ce qui permet au sarment de demeurer dans le cep, c'est cet échange permanent de la sève qui relie le sarment au cep et qui lui donne de grandir, d'avoir du feuillage et de produire du fruit en abondance. Demeurez en moi ne nous invite pas à demeurer statique et un peu confit dans nos habitudes. Mais demeurez en moi nous invite à rester en relation, en relation vivante d'échange avec le Christ.
Demeurez en moi, c'est cultiver la relation avec Dieu à travers le Christ, c'est se mettre en prière, se mettre à l'écoute de ce qu'il nous dit, c'est lui dire ce que nous sommes en profondeur. Demeurez comme des sarments dans le cep, c'est nous nourrir de sa présence dans sa parole prêchée et partagée, c'est accepter d'échanger et de changer.
Croire, c'est non seulement se découvrir relié au Père, mais croire c'est aussi cultiver cette relation, cultiver ce lien pour ne pas le laisser s'endormir, le cultiver modestement et avec passion comme un viticulteur soigne sa vigne.

"Aimer." Autre petit flash d'enseignement du Christ. Puisque nous sommes dans la relation, il est normal que l'image de l'amour vienne prendre ici sa place. Or aimer, ce n'est ce sentiment un peu fade dont on nous ressasse à longueur de feuilleton télévisé.
Aimer, ce n'est pas ces drames romantiques ou disons ce n'est pas que cela. Aimer, nous engage au quotidien. Aimer c'est une réalité qui modifie notre relation à nous-mêmes et notre relation aux autres. Aimer Dieu ce n'est pas d'abord une mystique, une intériorité secrète, mais c'est une éthique : une manière de se comporter vis-à-vis des autres.
Aimer c'est une action. Croire c'est se découvrir relié. Croire c'est cultiver cette relation. Mais croire c'est aussi s'engager avec les autres et pour les autres, avec Dieu et pour Dieu.

"Etre émondé." Encore une phrase du Christ. Etre émondé, être taillé, qui est différent d'être jeté dehors, d'être retranché. Les vignerons savent bien que pour que le sarment grandisse et se fortifie, pour que le fruit soit abondant, nourrissant il faut l'émonder. Il ne faut pas lui permettre de partir n'importe où, n'importe comment.
Le Christ nous avertit par ces mots que croire ne nous épargne pas ni les douleurs, ni les retranchements, ni les arrachements. S'engager pour les autres et pour Dieu ne va pas sans arrachement, ni même parfois sans violence.
Croire ce n'est pas forcément un long fleuve tranquille, mais par cette image du sarment qui, tout en demeurant attaché et relié au cep n'en est pas moins émondé, le Christ attire notre attention sur la possibilité qui nous est offerte de découvrir dans les multiples arrachements de notre vie des occasions de fortification, de renforcement personnel et de fructification plus grande.
Croire c'est se découvrir relié. Croire c'est cultiver cette relation. Croire c'est s'engager. Croire c'est aussi parfois un arrachement et une douleur.

Enfin la dernière réalité que le Christ souligne par toutes ses images, c'est qu'il s'adresse à ses disciples en vous. Il leur parle collectivement. Alors bien sûr, la Parole de Dieu s'adresse à chacun et à chacune personnellement, mais elle nous concerne aussi collectivement. Elle fait aussi de nous un ensemble qui nous relie les uns aux autres, parce que chacun est relié au Christ.
Être un sarment relié au cep de vignes, c'est aussi découvrir qu'il y a beaucoup d'autres sarments avec nous. Nous sommes aussi reliés les uns aux autres dans un immense réseau d'échanges. Et la même sève qui nourrit notre vie, nourrit aussi celle de notre voisin, de notre voisine et nous aidera à construire des liens, à construire ce corps dont l'apôtre Paul affirme qu'il est la vraie réalité de l'Église et dont le Christ est la tête.
Croire c'est se découvrir relié. C'est cultiver cette relation. C'est s'engager. C'est parfois un arrachement. Mais c'est aussi se découvrir lié les uns aux autres et que c'est ensemble que nous portons du fruit.

Reste un mot. Un ultime mot qui est celui de joie et de joie parfaite. L'intention de Jésus en transmettant tout cet enseignement à propos de la vigne, c'est de réjouir ses disciples, de leur donner de la joie. La joie qu'il y a lorsqu'on se découvre aimé, compris, relié, inséré, encouragé, porté, soutenu. La joie de croire tout simplement.
Cette joie-là, si vous le permettez, je ne voudrais pas m'y étendre longuement ce matin. Mais sous forme de petit clin d'œil, comme il m'arrive souvent d'en faire ici à Sion, j'aimerais vous dire que nous en reparlerons longuement dimanche prochain. Et que j'espère que moi j'aurai la joie de vous y retrouver soit ici même, soit sur les ondes.
"Je suis le cep vous êtes les sarments," nous dit le Christ. "Je vous ai dit cela pour que votre joie soit parfaite."

Amen !