Libre, oui, mais comment ?

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Écouter le culte :

Mon papa c’est le plus fort ! Ma maman c’est la plus forte !
Dans la cour d’école, on entend souvent ce duel verbal entre les enfants, une manière d’affirmer à l’autre la toute-puissance de sa lignée, sa capacité à écraser le copain d’école.

Toute-puissance ! Roi et Reine, moi en premier, tous nous avons en nous cette force viscérale qui vient de nos profondeurs et qui veut être le maître du monde, maîtriser sa vie, la vie des autres, et ces dernières semaines, certains nous en font la démonstration à coup de décrets signés par volée…
« Le chrétien est un libre seigneur de toutes choses et n’est soumis à personne, le chrétien est en toutes choses un serviteur et il est soumis à tout le monde ». Voilà ce que Martin Luther a écrit dans ses œuvres au sujet de la liberté chrétienne (cf. Le traité de la liberté chrétienne de Martin Luther, œuvres, page 275).
Il dit aussi « Par Christ, il (le chrétien) est un roi tout à fait libre, et ce qui est bien davantage, un prêtre qui a le droit et le pouvoir de se présenter devant Dieu. »
Mais paradoxe extrême, le chrétien est aussi un serf corvéable en toutes choses et il est soumis à tout le monde…

Oui, il y a en nous une toute-puissance prête à jaillir, une force vive de reine et de roi qui nous offre cette liberté magnifique de nous présenter à Dieu et d’avoir une relation de parole avec lui. Lui parler, le prier, crier à lui, ou soupirer devant lui.

Et à chaque instant de notre quotidien, nous nous présentons à celles et ceux que nous rencontrons avec cette force, cette puissance de liberté.

Dans un dialogue silencieux quand deux personnes se rencontrent, il pourrait se dire ceci :
Oui, tu te tiens devant moi et je peux t’écraser, je peux te blesser, je peux t’injurier, je peux te montrer ma puissance, anéantir ton corps ou briser ton esprit, j’ai cette liberté d’action qui peut aller jusque là et tu le sais… Et je sais que tu as les mêmes pouvoirs, les mêmes libertés de me piétiner.
Toi et moi sommes des êtres libres et puissants…

Il y a notre toute-puissance mais aussi nos inhibitions. Il y a toutes nos valeurs, notre éthique, nos lois, notre morale héritée ou forgée petit à petit… Il y a cette différence entre la pulsion animale et l’homme raisonné qui change tout… et qui fait que nous ne nous prenons pas à la gorge à chaque fois que nous croisons quelqu’un.
Tout le monde a un avis sur la liberté, et ce que cela peut bien vouloir dire. Luther a parlé de cette liberté chrétienne si paradoxale (maître et serviteur en même temps).
Quelle est la liberté que nous voulons choisir ?

Est-ce la liberté personnelle auto-suffisante, je suis libre quand je ne dépends de personne, ou celle de l’autonomie, je suis libre quand je peux faire ce qui me plaît comme je le veux ?

Les commandements entendus ce matin, dans le livre de l’Exode, sont des préceptes offerts pour le peuple libéré de l’esclavage, un cadre et une liberté, celle-ci collective, la liberté pour un peuple d’être ce qu’il doit être dans son ensemble.

Le temps de la Réforme a aussi été interprété comme une période de libération, d’insoumission pour résister et libérer ce qui pouvait soumettre l’homme : le poids de son péché, mériter le Royaume, et le replacer dans sa dignité, en lien avec Dieu, sans intermédiaire.
La liberté pourtant rencontre toujours la contrainte, qu’elle soit sociétale, morale ou physique.

Dans le dialogue entre Jésus et Nicodème il est aussi question de liberté et de limitation…
Le maître de la loi réputé qu’est Nicodème, qui est instruit, cultivé, libre religieux, aborde Jésus en lui affirmant presque au nez tout son savoir, il sait qui est Jésus. Une manière de dire que lui, Nicodème, n’est pas un imbécile, qu’il sait les choses sur Jésus, qu’il a du pouvoir et des connaissances.
Très vite pourtant Nicodème ne va plus rien comprendre au discours du Christ, sur cette nouvelle naissance d’eau et d’esprit. Il n’y voit qu’une impossibilité physique, une aberration ridicule, aucun homme ne peut retourner dans le ventre de sa mère… Voilà qu’il est emberlificoté avec des idées impossibles de nature, limité dans sa pensée.

J’aime cette limitation de l’esprit que Nicodème traverse, on peut penser qu’un pharisien comme lui, élite religieuse, est à même de saisir la pensée symbolique de Jésus, est à l’aise avec ce genre de débat théologique, bien au-delà du sens littéral, naturel, pourtant même si on peut supposer qu’il sait où Jésus veut en venir au sujet de cette nouvelle naissance, Nicodème se limite et fait une place à Jésus pour lui expliquer. Nicodème accueille cet autre devant lui et réduit son égo, ses hypothèses, ses jugements, sa puissance, son savoir tout fait. Il choisit librement de créer de l’espace pour Jésus afin qu’il lui précise sa pensée. Une manière pour Nicodème de renoncer au jeu du débat théologique pour découvrir son visage et permettre à Jésus de faire de même, même en pleine nuit…
Voilà peut-être la liberté spirituelle à rechercher dans notre vie de croyant…

Jésus parle du baptême d’eau et de celui de l’esprit comme une nouvelle naissance, une manière de naître à quelque chose de différent d’avant, une nouvelle posture à exercer grâce au souffle de l’Esprit saint. Une manière d’orienter sa vie avec une nouvelle image de la liberté. Paul parle de cet esprit dans le 2e livre des Corinthiens : « Là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté. Nous tous le visage découvert, nous reflétons la gloire du Seigneur »

C’est le visage découvert, avec humilité, que Nicodème offre un espace à Jésus.

Etre à visage découvert, choisir librement de le faire dans notre quotidien, c’est reconnaître en soi que oui, nous sommes dignes, rois et reines, puissants, riches de tant de savoir, mais que nous choisissons en conscience et en acte de ne pas abuser de ce pouvoir, pour naître à une vie différente, avec le souffle de l’Esprit qui fait de nous des personnes nouvelles. Ainsi, au jeu de la rencontre avec quelqu’un, il pourrait se passer ce dialogue silencieux :

Je te reconnais toi en face de moi, tout aussi puissant que moi, tout aussi aimé et digne que moi, je te reconnais avec tes forces et tes faiblesses, je choisis de me limiter pour ne pas t’envahir ou te soumettre, je choisis de respecter tout ce que je ne comprends pas chez toi, je choisis de faire un espace pour toi du mieux que je peux, je reconnais ton visage à découvert, reflet de la gloire du Seigneur.

Voilà ma liberté spirituelle, voilà ma responsabilité de croyant, voilà la vie nouvelle baignée de l’Esprit du Seigneur que je choisis ici et maintenant.

« Le chrétien est un libre seigneur de toutes choses et n’est soumis à personne, le chrétien est en toutes choses un serviteur et il est soumis à tout le monde. »
Avec ces affirmations de Luther qui paraissent se combattre, avec nos maîtres extérieurs et nos maîtres intérieurs, avec les œuvres et le salut, avec les certitudes et les incompréhensions, avec la morale et les lois, avec les dérives et les limites, puissions-nous chaque jour naître de nouveau de l’Esprit saint qui offre la liberté pleine et entière comme un pari d’espérance, dans nos relations comme pour le monde…

Et en dépit des apparences, acceptons de nous limiter, non pas pour nous censurer, brider notre liberté, ne plus être soi-même, ne plus oser rien dire ou nous révolter face à toute injustice, faire les nigauds, « Nigaudème », comme Nicodème a été souvent appelé, mais pour user de cette liberté offerte par l’Esprit saint différemment. En conscience du pouvoir que nous avons, en conscience du pouvoir de l’autre, en choisissant en premier de regarder l’autre dans sa liberté propre et personnelle. C’est peut-être cela, être seigneur et serviteur, comme le dit Luther.

Jésus rappelle à Nicodème combien c’est difficile à faire, lui, un maître de la loi, reste un être humain à la capacité limitée face au concept de l’Esprit saint qui souffle où il veut, et que l’on ne voit pas…
Difficulté de comprendre les choses de ce monde, encore plus grande difficulté de saisir les choses du ciel, dit Jésus.

Avec cette limitation de comprendre les choses du ciel et de la terre, l’invitation nous est lancée d’essayer de retourner notre pensée en profondeur.

Dieu a donné son fils pour notre liberté, Dieu souffle son Esprit pour faire de nous un homme, une femme à visage découvert, et voilà qu’en découle une posture de gratitude active, d’humilité et de limitation choisie, pour créer un espace, faire place à Dieu, pour faire place à l’autre, pour vivre différemment dans ce monde et ainsi pouvoir agir pour la liberté de son prochain. Avec ce souffle de l’Esprit qui nous dépasse et nous déroute, s’engager pour que tout homme, femme et enfant aient une dignité retrouvée, une liberté offerte et active, et soient visage à découvert sans plus de crainte.

Rêvons encore un peu… Le prénom Nicodème signifie en grec : victoire du peuple… et si la liberté spirituelle était si seulement ou si simplement la victoire du peuple, à pouvoir vivre ensemble à visage découvert, né, porté et rayonnant du souffle de l’Esprit, au cœur d’une liberté qui peut éclore au milieu de toute contrainte, au cœur du jaillissement de tous les possibles…

Amen.

« Le chrétien est un libre seigneur de toutes choses et n’est soumis à personne; le chrétien est en toutes choses un serviteur et il est soumis à tout le monde » a écrit Martin Luther… En écho à cette parole, comment être à la fois un libre seigneur et un serviteur encore aujourd’hui? (cf. petit texte du thème 5 de « Réformé ? Et alors ! »)

Ce culte radiodiffusé s’inscrit dans le cadre d'une série de 40 prédications proposées durant le Jubilé de la Réforme à la Cathédrale de Lausanne et à Saint-François. Les thèmes renvoient à la brochure « 40 thèmes pour cheminer ».

Détails

Avec la participation de
Marc Curchod et Micheline Ravenel Chollet
Orgue
Jean-Christophe Geiser
Musique