"I have a dream", directives pour une Église dynamique

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Écouter le culte :

(Prédication prononcée en l’église baptiste d’Ebenezer à Atlanta (Géorgie) le 5 juin 1966, parue in « Minuit, quelqu’un frappe à la porte », Traduction Serge Molla, Bayard, 2000)

Ce matin, j’aimerais vous soumettre une hypothèse et cette hypothèse est la suivante : nous, disciples de Jésus-Christ et responsables de la vie de son Eglise, nous avons des directives à suivre.
Ces directives nous sont clairement exposées par Jésus, un jour où il vient à la synagogue de Nazareth et où il lit, en public, un passage du prophète Esaïe :

« L'Esprit du Seigneur est sur moi,
Il m'a consacré pour apporter la Bonne Nouvelle aux pauvres.
Pour guérir ceux qui ont le cœur brisé.
Proclamer aux captifs la libération
Et aux aveugles le retour à la vue
pour libérer les opprimés,
Et proclamer l’année de la faveur du Seigneur ». (Luc 4, 16-22, Jésus citant Esaïe 61, 1-2)

L’Eglise, voyez-vous, n’est pas un club de service coloré d’une pointe de religiosité, même si certains le pensent. L’Eglise n’est pas non plus un lieu de divertissement dominical, comme le croient certains. Divertir, c’est le rôle des singes, pas des prédicateurs. L’Eglise a un but : se battre pour ce qui compte le plus pour l’homme. Et par conséquent, elle doit suivre certaines directives.

Je n’aurai pas assez de temps pour examiner tous les points que reprend l’Evangile de Luc, toutes ces directives. J’en retiendrai trois.

Première directive : Guérir ceux qui ont le cœur brisé

Il n’y a probablement rien de pire que d’avoir le cœur brisé. Il ne s’agit évidemment pas d’une blessure physique, mais spirituelle. Qui d’entre nous n’a jamais éprouvé cela ? Probablement pas beaucoup d’entre vous.

Voici un jeune homme qui rêve à une profession, qui programme un parcours scolaire pour y arriver et qui comprend, au fil des difficultés, qu’il ne va pas y arriver. Parce qu’il n’a pas les moyens intellectuels, les moyens physiques ou que sa famille n’a pas les moyens économiques pour cela. Ce jeune homme choisit alors une autre profession, une autre carrière, mais c’est un « 2e choix ». Un choix qui n’enthousiasme pas, un choix qui brise le cœur.

Voici un couple le jour de leur mariage, lorsqu’il échange ses promesses. Ils semblent au septième ciel. Mais six mois ou une année plus tard, les conflits, les dissensions se développent, les disputes fleurissent. Et ce même couple, qui, un an plus tôt, faisait rêver, termine sa course devant un tribunal pour divorcer, en laissant deux individus qui ont le cœur brisé.

Voilà une famille qui s’investit pour élever ses enfants en leur donnant ce qui semble le meilleur. Les deux parents travaillent dur pour leur instruction, ils prient avec ferveur pour qu’ils soient soutenus. Et pourtant, malgré tout cela, un de leurs enfants finit par emprunter une mauvaise voie. Et des parents dont l’enfant prodigue s’est perdu dans un pays lointain, ne peuvent avoir le cœur que brisé, bien sûr.

Ainsi va la vie. Et dimanche après dimanche, semaine après semaine, des gens se rendent à l’église avec le cœur brisé. Ils ont besoin de paroles d’espérance. Et si l’Eglise veut être Eglise, elle doit avoir parole d’espérance. Elle doit dire en substance qu’avoir le cœur brisé, c’est un fait. Qu’il ne faut ni le fuir ni le traiter avec cynisme. L’Eglise doit rappeler que le vendredi saint fait partie de Pâques, que l’échec fait partie de la vie.

Mais l’Eglise doit dire à ces hommes et à ces femmes que vendredi saint ne fait pas davantage partie de la vie que Pâques, que l’échec n’est pas plus normal que la réussite, que la désillusion n’a pas de priorité sur l’accomplissement.

Ce que dit l’Evangile, c’est ceci : « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés » (Matthieu 11, 28). Comme pour dire : « Venez à moi, vous tous qui êtes écrasés. Venez à moi, vous tous qui êtes frustrés. Venez à moi, vous qui n’en pouvez plus. Venez à moi, vous tous qui avez le cœur brisé et je vous donnerai du repos. » (Matthieu 11, 28)

Et le repos que donne Dieu est un repos qui dépasse toute compréhension. Le monde ne comprend pas ce genre de repos, car c’est un repos qui vous rend capable de tenir au milieu de la tempête et de vous maintenir dans un calme intérieur. Si l’Eglise suit ses directives, elle guérit ceux qui ont le cœur brisé.


Deuxième directive : Proclamer la libération des captifs

C’est le rôle de l’Eglise : libérer les gens. Cela signifie simplement libérer ceux qui sont esclaves de quelque chose. Remarquez au passage que certaines Eglises ne lisent jamais ce texte ! Certaines Eglises ne s’estiment pas du tout concernées par la libération de quiconque. Il y a des Eglises blanches qui sont confrontées au fait que leurs membres sont esclaves du préjugé, esclaves de la peur, mais le prédicateur ne fait strictement rien pour les en délivrer ! Vous avez aussi des gens qui aimeraient bien faire quelque chose pour lutter contre l’injustice raciale, mais qui craignent les représailles sociales, politiques et économiques… d’où leur silence. Et le prédicateur ne dit rien pour libérer ces gens de leur peur.

Cela arrive même dans l’Eglise noire.
Il y a des prédicateurs noirs qui n’ont jamais ouvert la bouche pour parler du Mouvement en faveur des droits civiques. Et non seulement ils n’en ont jamais parlé, mais ils n’ont jamais rien fait pour. Ce qui n’empêche pas, bien sûr, de trouver de bons paroissiens pour dire que « Dans l’Eglise, on parle trop de politique ». Je parlais l’autre jour avec un collègue qui me rapportait de tels propos de quelques-uns de ses paroissiens. Je lui ai répondu : « Ne fais surtout pas attention à eux. Ce n’est pas eux qui t’ont appelé à prêcher, c’est Dieu. Tout prédicateur qui permet à sa communauté ou à sa hiérarchie de lui dire ce qu’il doit prêcher n’est plus un prédicateur. »

Ce matin, certains souffrent. Ce matin, certains ont faim. Ce matin, certains vivent dans un environnement de ségrégation et de discrimination. Moi, je prêche. Mais en prêchant, je veux me battre pour eux. Je mourrai pour eux si nécessaire, parce que les directives que j’ai reçues sont claires.

Troisième directive : Prêcher l’année de la faveur du Seigneur

L’Eglise, si elle agit en conformité avec ces directives, doit prêcher l’année de la faveur du Seigneur. Vous savez, « l’année de la faveur du Seigneur », c’est une année de faveur aux yeux de Dieu parce qu’elle remplit les exigences de son Royaume. Quelques-uns considèrent que ce passage évoque une période au-delà de l’histoire, mais moi, je vous le dis ce matin : l’année de la faveur du Seigneur peut se réaliser cette année encore ! Et l’Eglise doit de le dire !

• L’année de la faveur du Seigneur, c’est n’importe quelle année où l’homme décide de bien agir.
• L’année de la faveur du Seigneur, c’est n’importe quelle année où l’homme cessera de tricher.
• L’année de la faveur du Seigneur, c’est n’importe quelle année où les hommes apprendront à vivre fraternellement ensemble.
• L’année de la faveur du Seigneur, c’est n’importe quelle année où les dirigeants du monde s’assiéront à la table de négociation et comprendront que, à moins que le genre humain ne mette fin à la guerre, c’est la guerre qui mettra fin au genre humain (King cite ici une fameuse formule du président John Fitzgerald Kennedy).
• L’année de la faveur du Seigneur, c’est n’importe quelle année où les hommes martèleront leurs épées pour en faire des socs de charrue, et leurs lances pour en faire des serpes (Esaïe 2, 4).
• L’année de la faveur du Seigneur, c’est n’importe quelle année où nous enverrons au Congrès et dans les bâtiments officiels de nos Etats des gens qui agiront avec justice, des gens doués de compassion et capables de marcher humblement avec leur Dieu (Michée 6, 8).
• L’année de la faveur du Seigneur, c’est n’importe quelle année où les hommes feront pour les autres ce qu’ils voudraient que les autres leur fassent (Luc 6, 31).
• L’année de la faveur du Seigneur, c’est n’importe quelle année où les hommes aimeront leurs ennemis, béniront ceux qui les maudissent et prieront pour ceux qui les calomnient.

Voilà.
Ce sont les directives d’une Eglise dynamique. Si nous les suivons, nous serons prêts pour le Royaume de Dieu, nous ferons ce que nous sommes appelés à faire. Nous ne serons pas un club de service. Nous ne serons pas un divertissement dominical. Nous ferons advenir le Royaume de Dieu sur la terre.

Il me semble que j’entends déjà le Dieu de l’univers s’adressant à cette Eglise en souriant et en disant : « Tu es une grande Eglise, car j’ai eu faim et tu m’as donné à manger. Tu es une grande Eglise car j’étais nu et tu m’as vêtu. Tu es une grande Eglise car j’étais malade et tu m’as visité. Tu es une grande Eglise, car j’étais en prison et tu m’as apporté consolation en venant à moi. » Matthieu 25, 35-36


Et c’est cette Eglise-là qui va sauver le monde.

« L'Esprit du Seigneur est sur moi,
Il m'a consacré pour apporter la Bonne Nouvelle aux pauvres.
Pour guérir ceux qui ont le cœur brisé.
Proclamer aux captifs la libération
Et aux aveugles le retour à la vue
Pour libérer les opprimés,
Et proclamer l’année de la faveur du Seigneur ». (Luc 4, 16-22, Jésus citant Esaïe 61, 1-2)


Amen.

Premier dimanche du cycle « I have a dream ».

Cette série propose la reprise et l'actualisation d’une prédication de Martin Luther King, prononcée jour pour jour cinquante ans auparavant, soit le dimanche 5 juin 1966 : "Directives pour une Église dynamique".

Pour Martin Luther King, l’Église n’est ni un club de service, ni un agréable divertissement dominical. Si l’Église veut être Église et être fidèle au Christ, ne doit-elle pas accepter un certain nombre de directives?
Par exemple: Guérir ceux qui ont le coeur brisé, proclamer aux captifs la libération, proclamer une année d’accueil pour le Seigneur.
C’est la prédication d’un pasteur totalement engagé dans le mouvement des droits civiques qui ne ménage ni ses collègues et ni leurs paroisses, dont les préoccupations sociales sont quasi inexistantes.

Détails

Avec la participation de
Daniel Fatzer et Philippe Thonney
Orgue
Daniel Favez (piano)
Musique
Choeur gospel Madrijazz, sous la direction de Jean-Luc Dutoit