Accomplir son humanité est un appel au dépassement...

image

Écouter le culte :

Avec le texte que nous venons d'entendre, nous sommes au cœur de la spiritualité chrétienne. Alors, qu'est-ce que la spiritualité ? On vient de le voir, d'un côté, c'est accomplir son humanité, en l'occurrence c’est l'accepter, accepter sa propre finitude et, en même temps, c’est un mélange subtil d’accomplissement de son humanité, d'acceptation de ce que nous sommes, et d’un appel au dépassement. Ici, le dépassement, c'est dépasser certaines inclinations extrêmement fortes. Cela dit, la spiritualité n'est pas l'apanage, la propriété du christianisme. Il n'y a pas de société, pas d'humanité sans qu'on nourrisse en même temps une certaine idée de ce qu'est être un homme.

Très rapidement, évoquons quelques moments : du temps d’Homère, accomplir son humanité, c'est établir son immortalité sur le champ de bataille. Vous savez qu’aujourd’hui certains reviennent à cet idéal épique, et ça n'est pas très rassurant. Si vous regardez du côté d’Aristote, par exemple, c’est très différent : accomplir son humanité, c’est accomplir sa raison par la philosophie, la science, par la participation à la vie de la cité, le côté pratique de sa raison, et puis c’est mettre en forme sa sensibilité par les arts. Ça nous est beaucoup plus sympathique. Vous savez, le christianisme, on vient de le voir, c'est l’idée du salut et, encore une fois, il n'y a pas société sans une certaine forme de spiritualité.

Alors, quelle est la nôtre aujourd'hui ? Quelle spiritualité, en quelque sorte, nous domine ? Eh bien, c'est un héritage à la fois de la modernité et des guerres de religion. C'est en fait une spiritualité en creux, parce qu'il n'y a plus d'idéal de dépassement, il n'y a plus qu'une certaine forme d'accomplissement. Et l'accomplissement qui nous a été proposé, c’était tout simplement d’obéir à nos intérêts premiers ; c’est ce qu'on appelle le consumérisme. Donc, encore une fois, on a une forme d'accomplissement, mais on n'a plus aucun idéal de dépassement. Cela dit, cette spiritualité nous a apporté beaucoup de choses. Simplement, aujourd'hui, elle n'est plus tenable. Pourquoi ? Eh bien tout simplement parce que nous sommes en but - et cela va s'accentuer dans les décennies qui vont venir - nous sommes en but à ce qu'on pourrait appeler un rétrécissement de la planète.
Alors, vous allez me dire : « Comment c'est possible, on ne va pas la mettre dans une machine à laver et l’essorer et la rendre plus petite ! » Eh bien, ce rétrécissement, il prend des formes relativement différentes.

La première forme, c'est tout simplement la démographie. Évidemment, la planète est plus étroite à 7 milliards qu’à un ou deux, elle sera encore plus étroite à neuf, ce que nous serons au milieu de ce siècle. Elle sera encore plus étroite si, effectivement, nous sommes bien 12 milliards à la fin de ce siècle, surtout avec le consumérisme dont j'ai parlé. Alors, elle devient de plus en plus étroite. Cette étroitesse, c’est la razzia sur les ressources à laquelle nous nous employons. Mais l'étroitesse en question risque de devenir plus physique, plus tangible, plus étroite : c'est tout le drame de ce qu'on appelle l'environnement. Dans un premier temps, ces manifestations ne sont pas sensibles, elles n'alertent pas nos sens. Les changements environnementaux qu'on connaît aujourd'hui nous laissent insensibles, parce qu'encore une fois nous ne les percevons pas. Mais c'est une sorte de piège, parce que leurs effets vont se distiller au fur et à mesure des années. Si vous voulez, le climat qu'on a aujourd'hui, c'est nos émissions d'il y a 50 ans et dans 50 ans, le climat que nous aurons, ce sont nos émissions d'aujourd'hui. C'est pour ça qu'il y a là une forme de piège, mais vous avez déjà des indices : vous avez eu récemment, hier, avant-hier, un cyclone de catégorie cinq à Vanuatu avec des destructions massives, des vents dépassant les 300 km/h. Depuis quelques années on a des sécheresses chroniques à différents endroits du monde, avec chaque fois une perte très sensible de nos productions céréalières. Et puis, vous aurez la montée des eaux, là c'est vraiment un rétrécissement au sens propre ! Vous aurez aussi des régions qui vont devenir impropres pour des questions de sécheresse chronique. Donc, encore une fois, ayons bien ça à l'esprit : le monde va se rétrécir.

Or, la spiritualité qui est la nôtre aujourd'hui, celle du consumérisme, si l'on s'en tient là, va devenir très dangereuse, parce que les épreuves qui nous attendent vont forcément, si on en reste là, nourrir de la frustration, nourrir l’échec et nourrir, in fine, et vous le savez, de la violence. Et là on revient justement au Sermon sur la Montagne, comme en ce moment on revient à l’une des destinées premières des lieux de cultes qui sont aussi des lieux d'accueil de l'étranger, comme c'était rappelé tout à l'heure très fortement. Alors, je crois que oui, c'est une forme de nécessité, ça n'est pas un supplément d'âme, nous ne nous en tirerons pas dans cette passe difficile, et quand je dis passe ce n’est pas vraiment une passe, nos conditions d'habitabilité sur la planète vont changer irrémédiablement dans les décennies et les siècles qui viennent. Ce n'est pas une crise, ce n'est pas un passage, ce sont des conditions nouvelles et pour un temps indéfini.

Alors, si on veut à la fois préparer ces conditions nouvelles, les rendre les moins pénibles et au sens mental et au sens physique, eh bien il faut revenir - en quelque sorte revisiter - nos propres racines et reconstruire, en les revisitant - évidemment au fil des ans et des décennies, ce n’est pas une chose qu’on fait en claquant des doigts - un idéal d’accomplissement, se forger une idée nouvelle de ce qu'est être un homme, et dépasser ce consumérisme. Et effectivement, à 7, 9, 12 milliards sur la planète, et une planète plus tendue, forcément, dans ce nouvel idéal d'accomplissement de notre humanité qu'on va devoir reconstruire, il va falloir en quelque sorte accentuer la part de dématérialisation. Parce que, encore une fois, je le redis, la planète se rétrécit. Et pour ça, il n’y a rien d'autre pour nous que de revisiter - et en revisitant réinventer - ce qu’est devenir, à la fois personnellement, à la fois collectivement, ce qu’est redevenir un homme, ce qu’est développer son humanité.

Je vous laisse en quelque sorte avec ce chantier collectif, auquel chacun doit maintenant prendre part.

Notre planète est malade. Et ni la technique, ni le marché, ni des choix autoritaires ne parviendront à changer quoi que ce soit. Pour qu’un véritable choix de « sobriété volontaire » puisse être fait, ne faudrait-il pas considérer la spiritualité non pas comme une option complémentaire, mais comme un moteur ?

Détails

Avec la participation de
Jean Chollet et Nathalie Pfeiffer
Orgue
Musique
Flavie Crisinel, soliste et Daniel Favez, piano acoustique