Le Dieu de Saül est un Dieu de surprise qui travaille le monde ...

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« Aveuglé-s pour voir clair ». C’est le titre que m’inspirait ce passage, mais j’aurais tout aussi bien pu dire: « Le persécuteur persécuté ». « Des meurtres à la paix » Des titres qui tous expriment un retournement, un renversement. Et effectivement, ce récit renverse à tort et à travers les situations, les gens.
A commencer par Saul. La vocation de Saul est un récit connu, maintes fois illustré par les peintres – on voit Saul terrassé par une lumière et qui tombe de son cheval (ici, si Saul tombe de haut, c’est juste de ses convictions bétonnées). Ce récit est connu, peut-être, mais ne nous rejoint pas forcément facilement pour autant. Après tout, peu d’entre nous sont au bénéfice d’une révélation foudroyante ! Le destin particulier d’un homme exceptionnel, c’est intéressant, mais cela ne suffit pas à nous impliquer dans l’histoire.
Pour être impliqué, on a besoin d’abord de voir ce qui se joue dans ce retournement ! Et puis, en observant comment les choses sont racontées, on s’aperçoit que si le projecteur est braqué au début sur Saul, ensuite, il se déplace pour éclairer d’autres personnes - Ananias, les croyants de Damas puis ceux de Jérusalem- et le retournement de Saul, son sens et ses effets, concerne finalement tous les protagonistes. Peut-être bien nous aussi…

Donc, Saul est le premier à être complètement retourné : lui, l’infatigable meneur de rafle, est stoppé dans sa course. Une lumière le rend aveugle, lui qui jusque-là, était convaincu de voir juste ! Lui qui sans doute pouvait interroger les prisonniers, se trouve interpellé par le Christ « pourquoi me persécutes-tu ?» et cette question va l’obliger à réfléchir. Homme d’initiative, le voilà conduit par la main. Lui qui décidait, attend des instructions pour savoir ce qu’il doit faire. Lui qui agissait se trouve réduit à la passivité : pendant trois jours, il ne voit plus, ne mange plus, ne boit plus : il est porté aux limites de la mort, aux limites de lui-même. Crise dans la nuit. Attente. Que va-t-il advenir ?

Peut- être, n’est-ce pas, qu’il arrive à certains d’entre nous de se retrouver un jour ou l’autre stoppés dans leur course, forcés d’être dépendant du bon vouloir d’autrui, avec l’impression de ne plus rien voir, de ne plus rien comprendre, avec des « pourquoi ? » qui tournent dans la tête et obligent à penser. Nuit de l’existence, attente, interrogations sur le sens de la vie, sur les choix, les idées, les valeurs qui nous ont guidés. Quelque chose nous arrête et nous voilà, dans l’attente.
Ces stops imposés obligent à remettre en cause des anciennes convictions, des fonctionnements, considérés jusque-là comme acquis, pour trouver de nouveaux équilibres. Que va-t-il advenir ?
Se pourrait-il que s’ouvre une autre clarté de regard, sur d’autres valeurs, sur un autre sens à la vie sur un visage de Dieu différent? Peut-être que parfois ces nuits imposées ne sont pas que des abîmes… peut-être que parfois l’on déchiffrera dans tel retournement bouleversant l’action mystérieuse de Dieu qui parle à qui il veut, quand il veut, comme il veut…

Quand Saul recouvrira la vue, il ne sera plus le même, ou plus précisément, il restera bien Saul avec son parcours de vie, ses origines, son caractère, ses dons et ses faiblesses, mais quelque chose pour lui se sera définitivement modifié : il ne pourra plus voir les choses comme avant – des écailles lui tombent des yeux (comme à l’aveugle guéri de l’évangile!). Il aura découvert un autre visage de Dieu, celui que Jésus avait donné à voir : un Dieu de grâce, amoureux de la vie et des vivants, un Dieu d’ouverture et de proximité! Soudain quelque chose lui a sauté aux yeux : avant, c’est-à-dire jusqu’à maintenant, sa manière de croire et de pratiquer sa foi, justifiait des chasses à l’homme, des dénonciations, des tortures, des mises à mort. Sa foi – tout à fait authentique - le poussait, à ce que d’aucuns appellent « l’épuration théologique » ! Perversion de la religion sensée relier aux autres et à Dieu dans un élan d’amour pour la vie, quand elle devient une religion qui coupe de Dieu et des autres… et dorénavant, Saul va croire et dire et écrire la grâce de Dieu pour tous les humains ; devant cette grâce, il est insensé de vouloir faire le tri entre des sortes d’humains pour donner plus de valeur à l’un ou à l’autre groupe. Saul/Paul va affirmer avec toute sa force de persuasion la grâce de Dieu sans contrepartie ; il va insuffler un vent de liberté au christianisme naissant ; Il placera l’amour au centre de la foi.

Convaincu du message fou de la croix et de la résurrection du Christ, il peut trouver un sens dans la faiblesse et l’éclairer d’espérance. Il va porter les saveurs de l’Evangile jusqu’aux confins du monde, avec passion et jusqu’à la fin de sa vie. C’est un homme retourné, qui voit les choses autrement – définitivement autrement.
Et n’est-ce pas… Le jour où nous nous laissons gagner par l’une de ces perles de la foi chrétienne : la grâce de Dieu pour tous, la grâce sans contrepartie, le vent de liberté, l’amour au centre de la foi, la faiblesse éclairée d’espérance), nos vies aussi sont complètement chamboulées, s’ouvrant sur une largeur d’horizon inouïe…
Mais il n’y a pas que Saul qui soit retourné dans l’histoire. Il y a Ananias, grâce à qui la crise trouve un dénouement. Ananias se voit demander par Dieu d’aller vers Saul pour le guérir et le baptiser. « Quoi ? Faire confiance à l’ennemi, celui qui a du sang sur les mains, le sang de mes frères? Non ! » Et à vues humaines Ananias a raison de résister ; c’est trop, beaucoup trop, ce que Dieu demande. C’est juste fou. Mais Dieu va avoir raison de la raison d’Ananias. Il lui fait voir le changement de Saul, aplanissant la rencontre entre les deux hommes. Et Ananias, quand il va voir Saul, s’adressera à lui comme à un frère. Il fait le pas – et quel pas ! – de considérer l’ennemi d’hier comme un frère d’aujourd’hui. C’est impressionnant - et très simple : en parlant ainsi, Ananias accomplit le message du Christ. Dans un geste de bénédiction, il lui rend la vue, lui donne l’Esprit, et le baptise – gestes de restauration et d’intégration. Il est devenu prophète de réconciliation.

Est-ce que cela fonctionne ainsi, quand on est « ceux de la Voie » ? (cf. v. 2 belle expression qui désigne les croyants attachés au Christ) : il n’y a pas « d’ennemis-jurés-à-vie » ? Oui, c’est cela. Car L’ennemi de hier est susceptible de devenir le frère de demain. Oui, car avec Dieu, des retournements arrivent, et une fraternité est possible au-delà du mal commis, même très grave, au-delà de la rancune tenace et tellement humaine, au-delà de la méfiance légitime. C’est que Dieu travaille nos vies et nos personnes ; il a d’autres logiques que celles que nous connaissons ; il ouvre des brèches dans les murs bétonnés, il donne l’impulsion de construire des ponts au-dessus des fossés, il donne la force de bénir celui qui avait blessé… Et aujourd’hui aussi, aujourd’hui encore, Dieu appelle des hommes et des femmes – nous peut-être ? – à être de ces prophètes de la réconciliation qui font avancer les choses. A côté des plus célèbres, il existe aussi tous ces croyants ordinaires qui font le pas de porter la réconciliation, qui parlent le langage de la fraternité, qui osent des gestes de rétablissement et de guérison, et d’intégration… Pouvons-nous les écouter et leur accorder du crédit?

Car ce n’est pas simple – jamais simple – de laisser son regard être éclairé autrement, de modifier sa vision de Dieu, des choses des gens, et d’ailleurs même quand il y a eu des changements après lesquels on a soupiré, même lorsque les données se sont modifiés, et même lorsque des témoins attestent et assurent qu’il y a un réel changement, cela reste difficile à croire et à vivre… N’est-ce pas ?
C’est cette difficulté de croire au retournement, que l’on retrouve dans les réactions méfiantes des croyants de Damas et de Jérusalem après la vocation de Saul. Beaucoup ne peuvent lui faire confiance… Il y a de la peur et la méfiance : « C’est peut-être un infiltré – et sait-on jamais, il aurait pu l’être ! » ; il y a peut-être une part d’exaspération devant cet homme qui prêche l’exact contraire d’avant - « c’est un peu facile tout de même ». Peut-être qu’il y aussi de la jalousie devant ce témoin si brillant : on connaît par ses lettres les capacités de Saul/Paul à argumenter…
Sans compter le mécanisme des anciens persécutés qui répètent le mal qu’ils ont subi sur ancien persécuteur. Ceux qui étaient autrefois menacés complotent la mort de Saul. De persécuteur, Saul devient pourchassé – il connaît les affres de la fuite – il deviendra – tiens, lui aussi - un réfugié.

Non, ce n’est pas simple – jamais simple – de laisser nos regard être éclairés autrement, et peut-être bien que Dieu, tout souverain qu’il soit dans son action, doit aussi composer avec ces résistances, nos résistances.

Au bout de ce récit, n’avons-nous pas retourné notre vision de Dieu, de la vie, de nous-mêmes ?
Dieu est ici montré comme un Dieu de surprise, qui travaille le monde à travers les personnes, de manière déroutante et souveraine. Il agit tout autrement que nous l’aurions imaginé; il appelle ceux et celles que nous n’aurions pas choisis, il fait éclater les visions des croyants quand elles sont étroites, renfermées ; il dévoile les logiques de foi pervertie ; il élargit l’espace des vies, il prépare des rencontres improbables. Alors, avec lui, nous voilà invités à pouvoir laisser modifier nos idées, nos attitudes, nos croyances, car ceux et celles qui se laissent retourner deviennent capables de se dépasser eux-mêmes. Dieu les emmène à la suite du Christ sur des chemins inédits d’audace, de confiance et de fraternité… au-delà du mal commis ou subi.
Ce Dieu est assez puissant pour appeler et convaincre, mais il n’est pas assez dictateur pour interdire toute opposition ou museler les refus… Mais avec ce Dieu-là, on peut aborder la vie avec confiance. Ce sont la paix et la multiplication de la vie qui finalement l’emportent.


AMEN

Une série de deux cultes en direct de l'Église française de Bâle. Daphné Reymond et Michel Cornuz proposent de relire les récits charnières des Actes des apôtres. Au moment où le lectionnaire romain fête les apôtres, les pasteurs de l'Église française de Bâle revisitent le chemin de Paul et de Pierre, dont la foi va être bouleversée, modifiée, élargie, et avec eux, celle de tous les croyants qui les entourent.Saül, persécuteur infatigable des chrétiens, devient l’ardent défenseur de la foi chrétienne. Il sera appelé Paul. On connaît l’histoire de sa conversion, de son retournement ! Mais à y bien regarder, il n’y a pas que le regard de Saül sur le monde et les gens qui se transforme, mais aussi le regard des autres: celui d’Ananias, des juifs, des croyants, des païens et celui des chrétiens aujourd'hui, peut-être. La pasteure Daphné Reymond fait le pari qu'en lisant ces antiques cheminement de foi, le croyant du XXIème siècle puisse trouver une aide pour décrypter et vivre les bouleversements de foi qui sont les siens.

Détails

Avec la participation de
Vincent Jemelin
Orgue
Dieter Lämmlin
Musique
Chœur mixte de la paroisse sous la direction de Sally Jans-Thorpe