Croire face aux obstacles de la vie

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La Bible est vraiment un livre étrange, un livre pas comme les autres. Ne parle-t-elle pas de Dieu comme du Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob ? Jacob est donc un des trois grands patriarches, un personnage on ne peut plus important ; on s'attendrait logiquement alors à ce qu'il ait une vie d'une grande probité ; à voir en lui comme un modèle de la foi, un exemple à suivre. Or on découvre en Jacob un personnage bien loin de cette image, un personnage qui n'est pas vraiment à sa place ; il a rusé pour obtenir le droit d’aînesse, il a même volé la bénédiction à son père ; ce qui l'a obligé à fuir avant de se faire tromper à son tour par son oncle Laban. Etonnant personnage que ce Jacob, qui ne devait pas être trop au clair dans ses relations avec sa famille, avec Dieu, avec lui-même...

Ce qui est frappant dans cette histoire c'est de voir comment Jacob essaie toujours de s'en tirer en évitant les confrontations, en choisissant la fuite. Face à son père, face à son frère, face à son oncle, il s'est toujours arrangé pour s'en tirer par une ruse, par une astuce. Il s'y entend en effet à merveille pour jouer au plus malin et pour arranger les choses à son avantage. Jusqu'à maintenant il a toujours fui quand il ne pouvait plus neutraliser l'autre par des arrangements ou des artifices. Et maintenant encore alors qu'Esaü approche avec quatre cents hommes, il essaie une nouvelle fois d'éviter l'affrontement. Il se cache derrière des cadeaux, il met en avant ses femmes et ses enfants pour apaiser la colère de son frère. Il a mis de son côté tous ses atouts ; il a même appelé Dieu à son secours. Mais en même temps, il se rend bien compte que Dieu n'est pas dupe et connaît le fond de l'histoire. Jacob peut tricher avec son père aveugle, mais pas avec Dieu. C'est comme s'il avait été entraîné, certainement par lui-même mais aussi malgré lui, dans une histoire qui maintenant le dépasse et qui plus elle va de l'avant plus le conduit dans une impasse. Il ne sait plus trop comment s'en sortir. Il sent bien qu'il n'est pas tout à fait à sa place, il sent bien qu'il y a des choses à régler dans sa vie, (et son frère qui arrive le lui rappelle). S'il veut continuer à avancer, il va falloir sortir de cette impasse ... et il est trop tard pour revenir en arrière.

C'est alors que se déroule cet épisode du combat de Jacob. Jacob avait fait passer la rivière à tout son monde et le voilà désormais seul et pour lui il reste encore un autre passage à effectuer ! Il y a maintenant ce combat à mener. Ce récit est certainement un des épisodes les plus mystérieux de la Bible, un épisode qui se déroule au cœur d’une nuit pendant laquelle deux hommes vont lutter dans la poussière : un duel sans soleil, un corps à corps contre le sol. C’est une nuit de cauchemar. C’est la lutte d’un homme, Jacob, avec un inconnu, avec un ennemi non identifié. Les deux protagonistes ne sont plus que des pronoms « lui, il » ; le cauchemar est fait de confusions. Tout se couvre de la poussière du sol qui s’ajoute à l’obscurité.

Qui est cet assaillant ? Difficile de le savoir, le texte n'est volontairement pas très clair ; ce qui est sûr, c'est que le combat est rude, acharné, éprouvant. Il nous rappelle, si besoin est, combien la vie peut parfois prendre pour nous aussi la forme d'une lutte pour avancer et sortir des impasses dans lesquelles la vie nous conduit à cause de nos choix ou de nos erreurs, mais parfois aussi bien malgré nous.

Cet assaillant sans nom de la nuit n'est autre finalement que tout ce qui dans la vie nous contrarie, toute l'adversité qui nous arrive et qui créé inéluctablement un contentieux avec Dieu. Dans l'adversité, il a quelque chose, on le sait bien d'un combat avec ou... contre Dieu. Le combat qu'affronte Jacob est rude, il dure toute la nuit. Jacob y met toute son énergie et s'il n'en sort pas perdant, il n'en sort pas indemne non plus, car toute lutte laisse des traces ! Jacob est blessé à la courbe du fémur ; il boitera ; une manière peut-être de lui signifier que désormais, il ne peut plus fuir comme il a toujours cherché à le faire ; il ira peut-être plus lentement, mais il ira en avant.

Mais ce qui m'intrigue peut-être encore le plus dans cette histoire, c'est la demande, l'exigence même de Jacob d'être béni quand son assaillant lui demande de le laisser : « Je ne te laisserai pas – lui répond Jacob – avant que tu ne m'aies béni ! ». On s'en souvient : Jacob avait voulu se bénir lui-même en volant la bénédiction. Jacob a besoin aujourd'hui de se sentir vraiment béni, béni pour lui-même, pour ce qu'il est au fond de lui et non pas comme le tricheur ou l'usurpateur. Ce qui va être démoli dans ce combat, plus encore que sa hanche, c'est l'image que Jacob avait essayé de se construire et qui l’empêchait justement d'être béni. De fait, c'est la lutte qui permettra à Jacob d'être finalement béni. Autrement dit : la bénédiction, dans le combat, la bénédiction dans la souffrance.

En disant cela, je me rends bien compte que j'entre sur un terrain délicat, celui de la valeur ou du sens que l'on peut attribuer à la souffrance. Jamais je ne dirai que la souffrance a du sens, du sens pour elle-même. Je ne crois pas à la valeur pédagogique de l'adversité, comme si Dieu nous envoyait des difficultés pour nous faire découvrir un bien caché, pour nous révéler un bonheur plus grand. Non ! Dieu nous aime trop pour souhaiter notre malheur, Dieu sait trop ce que souffrir veut dire, lui qui en son Fils a accepté de souffrir le plus affreux supplice, pour souhaiter ou même accepter la souffrance des humains qu'il aime. En ce sens, la souffrance n'a jamais de sens ; en revanche ce que ce texte met en lumière c'est qu'il peut y avoir un chemin de sens au cœur même de la souffrance, c'est que toute adversité n'est pas pour autant à regarder comme une malédiction, comme un temps dont on ne peut rien tirer, sinon pleurs et angoisses, un temps sans Dieu. Si la souffrance n'a pas de valeur pour elle-même, on peut toutefois essayer de la vivre comme une « chance » (avec beaucoup de guillemets), en tout cas comme un lieu possible de bénédiction. Jacob n'est pas béni seulement une fois qu'il a triomphé de son adversaire, une fois que tout heureux il a traversé lui aussi le gué du Yabbok, non la bénédiction ne l'attend pas au-delà du combat dans le matin ensoleillé, la bénédiction, la vraie, celle qu'il n'a pas volée, il va la recevoir dans ce sol poussiéreux au milieu du combat, dans la nuit ; c'est là qu'il est béni. La bénédiction non pas donc comme absence de souffrance ou fin des souffrances, mais la bénédiction dans la bagarre. Jacob, c'est intéressant de le noter, est béni une fois qu'il a donné son nom, c'est-à-dire quand il s'est dévoilé dans son identité profonde et dans sa faiblesse. Cette bénédiction lui permet alors d'advenir à ce qu'il est vraiment ; elle est comme un enfantement qui est symbolisé par le fait qu'il reçoit précisément un nouveau nom.

Ce texte est magnifique et on peut le comprendre de bien des manières, mais ce que ce texte me dit ce matin c'est combien Dieu est finalement présent au cœur de nos luttes. Souvent lorsque nous sommes confrontés aux luttes de la vie, aux obstacles, on a l'impression que c'est comme si Dieu s'en prenait à nous. Combien de psaumes par exemple crient à Dieu l’incompréhension de l'humain qui se sent abandonné ou pire même persécuté par Dieu. Ici dans ce combat, il s'agit bien d'une lutte. Dieu lutte. Jacob lutte ; mais ils ne luttent pas l'un contre l'autre. Dieu ne lutte contre personne. Le texte hébreu ne laisse aucun doute à ce sujet en employant la particule « im » qui signifie « avec ». Jacob n'a pas combattu Dieu et encore moins Dieu Jacob, mais ils ont combattu ensemble.

Peut-être avons-nous nous-mêmes fait déjà cette expérience que c'est le plus souvent dans les moments d'adversité que l'on arrive à découvrir qui l'on est vraiment et à sentir cette proximité de Dieu. Non, la bénédiction n'arrive pas seulement comme la cerise sur le gâteau quand tout va bien, mais elle est à recevoir comme le signe de cette présence aimante de Dieu au cœur même de nos combats, de nos difficultés au fond même de nos impasses.

Jacob a souffert, Jacob est sorti blessé; ce ne fut pas une nuit facile ni agréable; ce fut un rude combat; il n'y a aucun romantisme là-dedans et encore moins une valorisation de la souffrance. La souffrance fait toujours mal, les obstacles sont toujours rudes à franchir dans la vie : nous en connaissons tous et certains d'entre nous en ont des gros à franchir ; nous ne sommes pas égaux face aux difficultés de la vie, mais tous nous pouvons avoir cette confiance que Dieu n'est pas absent de nos luttes, Il ne nous regarde pas de haut ; pas plus que Jésus a regardé les disciples se battre seuls face à la tempête depuis la plage (mais qu'il est embarqué avec eux dans la frêle barque menacée par les vagues, si vous vous souvenez de cet épisode de la tempête apaisée), Dieu n'attend Jacob de l'autre côté du Yabok. Il le retrouve là, au cœur de la nuit. Ainsi Dieu, sans jamais vouloir la souffrance et encore moins le malheur des hommes qu'il aime et dont il veut le bonheur et la paix, ne fuit pas la souffrance mais l'habite de sa présence. Il est le seul à pouvoir nous permettre de vivre nos luttes comme des lieux possibles d'un redépart dans la vie. Il est vraiment cette porte comme le dit Jésus : « Je suis la porte », non pas celle qui se ferme sur nous, mais celle qu'il ouvre devant nous lorsque nous nous sentons enfermés dans une impasse.

La bénédiction va permettre à Jacob de cesser de tricher ou de jouer à cache-cache ; eh bien Dieu nous fait encore aujourd'hui la même proposition : quand nous nous sentons écartelés entre ce que la vie a fait de nous et ce que nous sentons que nous pourrions être ou devrions être, quand nous sommes meurtris par les coups de la vie ou enfermés dans une impasse, le Seigneur nous offre sa bénédiction ; une bénédiction qui n'efface pas la blessure mais nous permet de redevenir nous mêmes, de nous sentir soutenus et aimés, bref bénis quoiqu'il arrive.

En préparant ce message j'ai repensé à ce couple. Lui travaillait beaucoup ; tellement qu'il en négligeait sa famille. Et puis un jour, il a eu un grave accident de la circulation ; il est resté hospitalisé de longs mois ; plus question d'aller travailler ; ce temps d'arrêt fut une rude épreuve, un temps de douleur et d’incertitude pour lui et pour toute sa famille, mais ce temps d'arrêt fut aussi l'occasion pour lui d'une remise en question, d'une redécouverte de ce qui était vraiment précieux dans sa vie ; et son couple qui était bien fragilisé par la vie qu'il menait avant l'accident s'est retrouvé renforcé à travers ou même... oserais-je le dire : « grâce » à cette épreuve. Loin de moi l'idée de dire que l'accident fut une bonne chose, ou une chance, ce fut une rude et douloureuse épreuve, que l'on ne peut souhaiter à personne. Mais dans ce combat, dans cette épreuve, nous voulons croire que Dieu n'a pas été absent, au contraire il s'est battu avec eux pour faire de cette impasse un chemin de vie, pour transformer ce coup du sort en bénédiction; à l'image de Jacob, ils en sont sortis blessés, meurtris, mais certainement plus forts, plus vrais...

Nous pourrions probablement tous raconter de telles histoires où quelque chose de très positif est sorti d'un temps de malheur ou de difficultés. Toute la question alors est d'interpréter ce qui s'est passé. Est-ce simplement un coup de chance ? Peut-être, peut-être pas... Nous voulons croire avec l'histoire de Jacob, à la suite du Christ qui nous a rejoints jusque dans nos chemins les plus sombres, que Dieu non seulement nous regarde, nous accompagne dans notre vie, mieux qu'il lutte avec nous. C'est lui qui nous aide à trouver la porte dans nos impasses, celle qu'on n'attendait pas, celle qu'on n'arrivait pas à voir, celle qui s'ouvre et qui nous permet de retrouver devant nous un chemin souvent inattendu.

Voyez-vous en français on utilise parfois cette expression « Je suis béni » comme pour dire que j'ai de la chance ; associant ainsi bénédiction avec bonheur ou bonne fortune.
Dans cette histoire de Jacob, on découvre une autre réalité de la bénédiction. Non plus seulement la bénédiction dans le bonheur quand tout va bien, mais la bénédiction au cœur de nos combats, dans nos luttes obscures, lorsque nous sommes face aux obstacles de la vie. Dieu ne nous attend pas seulement de l'autre côté du gué pour nous bénir – autrement dit quand tout ira bien à nouveau – Dieu nous rejoint là où nous sommes, c'est avec nous qu'il veut partager nos moments de bonheur mais aussi nos luttes. Il est celui qui peut toujours nous relever, même si nous devons boiter pour reprendre notre route. Il est le seul à pouvoir transformer nos impasses, en ouverture, en chemin possible de vie.

Amen.

Détails

Avec la participation de
Alain de Felice, Nicole Varcher et Marie Zaninetti
Orgue
Vincent Thévenaz
Musique
Choeur de la paroisse protestante de Chêne, sous la direction de Suzanne Golaz-Oppliger