Tous invités à la fête

image

Écouter le culte :

Laurence : Pourquoi avons-nous tant de peine à croire qu'il ne nous faut pas mériter Dieu? Le mériter par nos efforts, nos bonnes actions, notre dévouement ou notre repentir teinté d'une culpabilité sournoise : nous ne nous sentons jamais vraiment à la hauteur, notre foi est souvent bancale et maladroite, notre Eglise est si loin de l'exigence évangélique, notre société si loin de la justice, nos vies si loin de notre idéal de réussite.
Etre méritants, est-ce à ce point inscrit dans nos gènes, dans notre mémoire cérébrale et dans nos réflexes affectifs qu'il nous est impossible de vivre sur une autre base, celle où je n'ai rien à prouver, à mériter, à faire valoir pour avoir ma place et recevoir ma pleine dignité? Pourquoi ai-je tant de peine à me sentir vraiment invitée à cette fête de Dieu, offerte et ouverte, une fête où tout est donné à chacun-e?
Bien des conditionnements sont inscrits en nous comme des refrains publicitaires qui deviennent, parfois malgré nous, nos étalons de mesure : ce qui ne coûte rien ne vaut rien – entend-on souvent – et ce qui nous coûte en argent, en sueur, en effort, cela nous engage aussi, cela prend valeur et poids à nos yeux et aux yeux des autres. Alors un Dieu gratuit, cela fait naître un soupçon : n'est-ce pas du n'importe quoi, une fête au rabais, qui ne peut qu'être tristounette et sans saveur ? Etre invité à une fête gratuite je vois d'ici des sourires ironiques et des dos qui se tournent pour s'éloigner.
Et ce qui coûte cher n'est permis qu'aux riches et les riches nous fascinent : avec quelle facilité ils voyagent, s'habillent, s'amusent et participent aux fêtes, festivals et autres cocktails les plus selects, les plus clinquants, les plus déjantés? Alors faire la fête est souvent associé à se retrouver avec ses semblables et imiter de près ou de loin les ultra riches et les grands de ce monde, finalement inaccessibles, mais pourtant si attirants.
Et nous touchons alors à un paradoxe : comme tout nous coûte et souvent cher et tout le temps et que l'argent est plus que volatile entre nos doigts, nous rêvons de gratuité, de gagner au loto, à l'Euro Millions, d'avoir une prime à vie, d'être exonéré d'impôts ou d'être sélectionné pour le voyage X, la voiture Y ou la villa Z. Nous rêvons que tout nous soit offert pour qu'il n'y ait plus d'effort à faire, tant cette course à la réussite et au succès peut se révéler calamiteuse et dévoreuse d'énergie pour rien. Gagner le gros lot pour être enfin tranquille à vie, au bord d'une piscine de rêve.

Alexandre : Mais est-ce vraiment cela le bonheur et la liberté? Vivre comme cela hors de la réalité, comme si on s'achetait une île pour y vivre tranquille, en croyant fuir tout problème ou toute difficulté? Pour prendre un exemple dont on parle ces temps, n'est-ce pas ce qui se passe avec l'expulsion des Roms hors de France, où l'on ne voit que cette « solution » pour résoudre un problème que l'on ne veut plus voir ?
Ce que j'aime dans ce texte d'Esaïe c'est qu'à aucun moment on ne veut cacher que la vie est faite aussi de souffrance et de manques. L'appel de Dieu ici est lancé à ceux et celles qui ont faim et soif, aux affamés et aux assoiffés. Il me fait penser au texte des Béatitudes où ceux qui ont faim et soif sont dits heureux : « Heureux ceux qui ont faim et soif de justice, car ils seront rassasiés. » Pourquoi heureux ? Parce qu'ils savent que leur faim et leur soif seront comblées parce qu'ils vivent dans la confiance.
Entendre cet appel et se reconnaître assoiffé-e, c'est donc admettre que nous sommes bel et bien des êtres qui n'avons pas tout déjà, qui ne jouons pas à vivre une vie de rêve sans souffrance et sans manque. Entendre cet appel, c'est nous reconnaître tels que nous sommes et ne pas nous épuiser à faire croire – et à nous faire croire – que tout va toujours pour le mieux dans le meilleur des mondes. Luther disait qu'il fallait désespérer de soi-même pour réellement être capable de recevoir la grâce de Dieu. Nous n'aimons plus trop ce langage, mais je crois qu'il nous montre quand même le ressort essentiel de la foi. La foi nous montre que le meilleur et l'essentiel de notre vie nous est offert et que notre unique tâche est de savoir recevoir cette grâce et de venir à ce repas de fête où nous sommes invités.

Laurence : Ok Alexandre je veux bien mais si je viens vers Dieu, ce Dieu de gratuité puis-je vraiment y croire ? Je sens que j'ai encore tellement ce réflexe d'enfant qui pense devoir mériter l'amour de ses parents à force de bonnes notes et de gentils sourires.

Alexandre : Mais Laurence, Dieu nous espère c'est tout. Il n'est pas ce maître sévère que l'on se figure. Il nous dit qu'Il nous donne son repos et sa paix, pas un amour qu'il faudrait mériter.

Laurence : Dieu, Dieu ce Père tout là-haut et tout puissant qui règne et qui attend de moi la perfection.

Alexandre : Non, Il nous attend tels que nous sommes, toi telle que tu es, moi tel que je suis. Il veut nous nourrir, nous reposer et nous invite à pleinement vivre, comme ses enfants qu'Il aimait déjà avant notre premier mot, notre premier geste. Il nous donne la vie en abondance et nous offre une vie pleine de sens et de saveur, loin de nos courses à l'illusion et au paraître.

Laurence :Ah c'est donc d'une promesse de vie dont il s'agit et non pas de perfection ?

Alexandre : Oui !

Laurence : Quel soulagement! quelle libération ! Accepter mon humanité, c'est accepter mon imperfection.

Alexandre : Oui cette invitation est lancée à toute personne : pas besoin de bristol, de premier prix ou d'excellence particulière. C'est à chacun et chacune, dans son humanité et cœur, que Dieu s'adresse.

Jacques : Stop : une fête pour tous, comme cela sonne bien, mais comment voulez-vous être cru ? Croyez-vous sincèrement que les exclus de notre société se sentent invités ? N’oubliez-vous pas les personnes en situation de handicap qui n’ont pas accès aux lieux parce qu’il n’y a pas de rampes, de WC adaptés ? N’oubliez-vous pas les prisonniers, enfermés pour répondre devant la société leurs erreurs ? n’oubliez-vous pas les chrétiens qui se sentent rejetés par nos institutions ? Nous sommes très, très loin d’une fête pour tous.

Laurence : C'est vrai, Jacques nous prônons l’égalité, mais au fond, nous aimons l’exclusivité et nous sélectionnons les meilleurs. Nous confessons une Eglise universelle, une communion pour tous mais nous créons constamment des catégories, des paroisses plus ceci ou plus cela, des ministères pour les bien portants ou pour les handicapés.

Alexandre : Oui, mais les amis il y a l'appel d'Esaïe qui a plus de 2500 ans et qui résonne encore aujourd’hui à nos oreilles et qui traverse nos temps humains et tous nos clivages.

Laurence : Et je crois que Dieu attend de nous que nous élargissions notre vision en dépassant nos réflexes sécuritaires et ethnocentrés, nos directives confessionnelles et nos besoins de briller et d'être les meilleurs. A cette fête, nous serons à côté d'un inconnu à connaître, d'un différent à reconnaître, d'un autre humain à découvrir plutôt qu'à jauger.
Et dès que l'épreuve arrive dans nos vies, un handicap, le regard de jugement des autres, une maladie, une souffrance, il reste ce lieu offert de la fête, ce lieu, ce lien dont nos amis ont témoigné en début de culte; ce lien à Dieu fait de gratuité et d'attachement, de fidélité et de tendresse.

Jacques : Le partage de nos amis m’émeut. Il me fait penser au dernier livre d’Alexandre Jollien « Le philosophe nu ». C’est en acceptant de vivre l’ici et le maintenant que l’on peu entendre l'invitation d'Esaïe. C’est en vivant au jour le jour que l’on peut répondre à votre invitation, Alexandre et Laurence, cette invitation gratuite, c’est en nous reconnaissant semblable mais aussi différent que l’on peut s’accueillir et accueillir l’autre. Oui la vie est parfois sombre, mais nous avons tous besoin de vivre ensemble en nous acceptant, en accueillant nos points forts et nos points faibles. Avec Dieu, il n’y a plus de handicapés, de malades, de prisonniers, d’étrangers, d’hommes, de femmes. Nous sommes tous ses bien-aimés qu’Il invite à la fête.

Alexandre : J'aime ce que vous dites les amis. C'est vrai Eric, Dieu rend les choses plus légères, Il les porte avec nous. Mireille, Cristina, Paula, vous l'avez dit aussi : Dieu nous rend plus forts dans nos faiblesses. Et aujourd'hui nous pouvons nous réjouir parce que nous sommes aussi plus forts tous ensemble. Dieu est une fête aujourd'hui, Il nous rassemble de partout, avec tout ce qui fait notre vie, nos réussites et nos échecs, nos joies et nos tristesses, nos certitudes et nos doutes: Il nous attend à sa table.
C'est une table où chacun et chacune nous avons notre place et où à notre place notre nom est écrit en grandes lettres. Oui cette fête est la promesse de Dieu pour nous et cette promesse est sûre. Allons donc nous les invités car la fête ne peut pas commencer sans nous. Amen !

Détails

Avec la participation de
Co-célébrants : Alexandre Winter, stagiaire; Jacques Fornerod, aumônier catholique
Orgue
Eric Latour
Musique
Patrick (pianiste)