« Veux-tu avoir la preuve que la foi sans les actes est inutile ? »

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Le passage que j’ai choisi est bien connu, il s’agit d’une discussion au sujet de la relation entre foi et œuvres dans la religion chrétienne – une discussion qui est à reprendre dans chaque situation et dans chacune de nos vies.

J’ai décidé de prendre le sujet de la foi et des actes pour cette méditation. Au contraire des lettres de St Paul, Jacques est une prédication sur un thème plutôt qu’une vraie lettre. Depuis mes études théologiques, j’ai su que Martin Luther n’aimait pas La lettre de Jacques, il l’appelait « une lettre de paille » car il pensait que son insistance sur les œuvres était en contradiction avec sa révélation que les justes vivent par la foi. Est-ce qu’il y a une contradiction entre « actes » et « foi » ? Je crois que non, mais il me semble que le sujet mérite une sérieuse considération. Et j’ai décidé de partager mes réflexions avec vous.
La lettre de Jacques est effectivement un des derniers livres du Nouveau Testament par ordre d’écrit. La date de composition est probablement dans le deuxième siècle, entre l’an 100 mais avant 150. Il y a une tradition que l’auteur était Jacques le frère du Christ, mais il n’y a pas d’évidence. Il y a plusieurs théologies dans le Nouveau Testament, il y a les écrits johanniques, dans la tradition de l’Evangile de Jean et les trois lettres de Jean. Cette théologie est différente de la théologie de Paul et son école et la critique de Luther est intéressante parce qu Luther est clairement dans une tradition pauline. Selon Paul dans sa lettre aux Romains 3/28, le verset qui a bouleversé la théologie et la vie de Luther, nous sommes sauvés par notre foi.
On peut facilement imaginer que l’écrit de Jacques, plus tardive, essaye de modifier, rectifier voire corriger cette doctrine en faisant référence à Abraham. Nous sommes sauvés par la foi mais les actes ont aussi leur importance. Luther était dans une situation de crise historique de révolte contre la vente des Indulgences et l’idée que le salut puisse être acheté. Donc, pour Luther, la doctrine de Paul que les justes vivent par la foi avait une pureté réformatrice. On ne marchande pas avec Dieu, on n’achète pas le salut et nous ne sommes pas justifiés par nos actes. Donc Luther est méfiant vis-à-vis de Jacques qui écrivait que « la foi sans les actes est inutile ». Comme pour beaucoup d’autres points théologiques, il fallait attendre la théologie de Jean Calvin qui a su réunir les deux idées, nous ne sommes pas sauvés par nos actes, mais la personne qui a été touchée par la grâce va faire de bonnes œuvres.

Cette doctrine calvinienne – que la personne qui est sauvée par la foi, doit certainement par la grâce faire de bonnes œuvres à cause de sa conversion – a inspiré les protestants reformés à devenir les grandes formateurs avec la fondation de milliers d’écoles et d’universités, à devenir les grands réformateurs de la société avec l’abolition de l’esclavage et la fondation de la Croix Rouge, le CSP, la Main Tendue et beaucoup d’autres œuvres et à devenir les champions de la liberté et la justice politique et aussi les champions de la liberté de la presse. Donc, les calvinistes, les protestants reformés ont su combiner la foi et les œuvres.
Il est intéressant que c’était dans pleine période nazie, en Allemagne, que les théologiens luthériens comme Thurneysen ont compris la force de la parole de Jacques. Les anti-nazis de l’Eglise Confessante, Niemoller, Bonhoeffer et les autres ont résisté avec témoignage contre Hitler. Une foi pure, sans actes, ne suffit pas, il fallait combattre le mal et être prêt à payer de sa personne. Il est intéressant que le grand commentaire sur Jacques de Thurneysen date de 1941.

Foi et œuvres ne sont pas les alternatives, ils ont une complémentarité. Il est impossible pour nous de regarder l’injustice ou la souffrance sans réagir. C’est vrai pour l’individu, mais c’est aussi vrai pour l’Eglise. C’est un problème de notre temps que l’église en Europe a perdu beaucoup de la fonction social, les œuvres inspirées par le protestantisme s’éloignent de l’Eglise et le développement de l’état social, admirable en soi, a beaucoup réduit le rôle de l’Eglise. L’Eglise est souvent limité à devenir une communauté cultuelle plutôt qu’une force pour la réforme de la société. Parfois il y a même une impression que le rôle de l’église est de ne pas intervenir. Il me semble que dans la Suisse moderne nous sommes trop introvertis et pas assez concernés par les problèmes de notre temps, les beuveries et la violence de certains jeunes, par exemple. Par contre je ne veux pas voir les églises protestantes redevenir les organisations qui prennent les décisions pour la société comme d’autres qui dénoncent, par exemple, l’avortement, la laïcité ou l’homosexualité.
Dans le protestantisme, il a toujours été la tradition de responsabiliser les femmes et les hommes à l’intérieur de la communauté chrétienne et de les envoyer, inspirés, dans le monde pour faire le bien. Sans offrir les consignes, mais fournissant les individus avec une foi qui peut s’adapter aux multitudes de situations de la vie privée, pratique et professionnelle. J’espère que dans nos communautés protestantes et chrétiennes nous sommes toujours en train d’inspirer les femmes et les hommes pour travailler pour le bien de la société, pour la justice.
La foi, dans notre tradition, inspire les œuvres. Nous sommes comme Jacques, « la foi sans les actes est inutile ». Dans le protestantisme, qui est une foi qui responsabilise l’individu, l’individu est responsable pas seulement pour sa foi, pour ses relations avec Dieu, mais aussi pour ses actes. La responsabilité individuelle est une idée centrale du protestantisme. Je me demande si nous sommes vraiment conscients que nous sommes largement en opposition avec la culture de notre temps ?

La responsabilité individuelle du protestantisme n’avait rien de nouveau, tout au long de sa vie, nous rencontrons un Jésus qui responsabilise les personnes qu’il trouve sur son chemin. Jésus responsabilise Zachée, il responsabilise la femme samaritaine, il responsabilise Pilate, les disciples et les marchands du Temple. Jésus disait plusieurs fois qu’il fallait changer de comportement. Mais si nous avons la prétention d’utiliser le nom chrétien, nous sommes censés pas seulement à être appelés à agir comme Jésus mais d’être responsabilisés par son Esprit. Mais la responsabilité individuelle calviniste est un transfert spirituel de l’importance de l’individu qui fait partie de la renaissance. Dans l’art médiéval, par exemple, l’individu n’existe pas, mais dans l’art de la Renaissance nous avons les masses de portraits d’individus qui représentent les plus grands tableaux de notre civilisation. C’est l’individu de la Renaissance qui devient protestant et, dans la théologie calviniste devient responsable individuellement pas seulement pour sa foi, pour ses relations avec Dieu, mais pour ses actes.
Pourquoi je constate que cette théologie calvinienne dérivée de Jacques que la foi sans les œuvres est morte est à contre-courant avec beaucoup dans les 20ème et 21ème siècles. Je crois que la responsabilité individuelle est et a été gênante pour beaucoup de dictateurs et d’organisations qui cherchent un pouvoir sur les populations. Nous savons maintenant que Lénine voulait à tout prix réduire la liberté individuelle pour mieux contrôler la masse de la population, c’était la même chose avec Hitler, avec Mao Tsé Toung. Dans notre temps nous regardons l’utilisation de la peur pour manipuler les populations, peur de l’Amérique, peur d’Al Qaïda, et dans le domaine religieux, peur du salut si l’autorité du gourou n’est pas respectée.

Je crois que la seule défense de l’humanité contre la perte de la liberté est la responsabilité individuelle exercée dans la foi et dans les actes. Je crois que Jacques avait raison. Jésus travaillait dans le monde et c’est à nous de faire la même chose. Même si notre foi n’est pas parfaite et même si notre foi change d’intensité, même si nous avons toujours nos incertitudes et nos questions, nous avons la responsabilité de mettre notre foi en action, d’abord dans la vie quotidienne. C’est notre discipline et nous allons trouver que c’est en essayant d’aimer notre prochain comme nous-mêmes que nous allons trouver plus certainement notre foi et la personne de Dieu.
Si nous n’arrivons pas à vivre notre foi, la foi sans les actes est morte, et notre société est en danger car à ce moment là nous avons cessé d’être les témoins de notre Sauveur dans le monde.
Si j’étais ministre d’une organisation ecclésiastique hiérarchique je dirai « Allez en Christ pour le servir dans le monde » mais puisque je suis un pasteur reformé je dit « Allons ensemble pour servir notre Maître dans ce monde. »

Amen !

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Avec la participation de
Orgue
Diego Innocenzi, 022/7337910
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