Aimez vos ennemis !

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A - Tendre l'autre joue quand vous venez d'être frappé,
mais pourquoi ?
Est-ce que toi tu serais prêt à agir ainsi ?
G - Non, moi je ne veux pas me faire avoir. À quoi ça servirait, je n'ai aucune envie de me faire écraser.
A - C'est comme cet exemple avec la chemise. Si quelqu'un vous prend votre manteau, il faudrait encore lui donner votre chemise.
Tu comprends ça toi ?
G - C'est comme si, quand quelqu'un t'arrache ton sac dans la rue tu devais encore lui donner ton manteau.
A - Et ce n'est pas tout, quand j'invite déjà les gens que j'aime bien, ce n'est pas assez. Il faudrait encore en faire plus et inviter ceux que je n'aime pas.
G - Pourquoi Jésus parle-t-il ainsi ? C'est inapplicable et ça n'a pas de sens.
A - N'empêche que c'est au cœur de l'Évangile et chez Paul aussi on a un écho de ces paroles. Si Jésus nous demande de faire tout autrement que ce que nous faisons d'habitude, c'est qu'il doit y avoir une raison. Quand il nous demande d'aimer nos ennemis…
G - Mais des ennemis, tu en as toi ? Moi je n'en ai pas.
A - Tu n'en as pas, tu m'étonnes. Tout le monde en a. Ennemi, qu'est-ce que ça évoque pour toi ?
G - Des gens qui en veulent à ma vie ou qui me détestent. Je n'en vois pas.
A - Eh bien moi oui, mes ennemis, ce sont tous ceux qui rendent ma vie impossible… Est-ce que nous n'avons pas tous des gens qui nous rendent malheureux.
G - Des voisins par exemple.
A - Oui, souviens-toi, tu sais comment ça peut être dans un locatif quand il y a des tensions. Le voisin gare exprès sa voiture au ras de la ligne et toi, tu dois faire 36 manœuvres pour arriver à te parquer. Il tape dès que l'un de tes enfants crie et il passe l'aspirateur systématiquement à l'heure de la sieste. Ça fâche, c'est vite l'escalade et finalement tu retrouves ta voiture avec quatre pneus crevés. Et toi, tu n'as aucune envie de renoncer à la vengeance.
G - Oui, mais c'est moins grave que ce qui est dit dans le texte, que d'être persécuté ou frappé.
A - Tu as raison, mais l'accumulation de tous ces actes mesquins peut te prendre une énergie folle et finalement gâcher tes journées. Et quand c'est la même chose au travail, avec tes collègues et à la maison, ça empoisonne toute ta vie.
G - Oui, mais ce n'est quand même pas comme ce jeune qui s'est fait tabasser à 22 heures en ville l'autre jour. Celui-là, il a de quoi avoir des ennemis et je peux comprendre qu'il ait envie de se venger et que certains demandent plus de policiers pour assurer la sécurité.
A - Mais les blessures ne sont pas seulement physiques, elles sont aussi intérieures. Même les plus proches peuvent devenir des ennemis. Je pense à cette famille où depuis 20 ans il y en a qui ne se parlent plus. Le fils, un jour, a dit à sa mère : "Lâche-moi les baskets !" Elle en a été profondément blessée et depuis ils n'ont plus jamais eu de contacts. C'est resté ainsi, mais chaque fois que je la vois, elle me parle de lui. Elle me dit que c'est à lui de reprendre contact, et je vois alors des larmes dans ses yeux.
G - Ah oui, si c'est comme ça, des ennemis, j'en ai aussi, des gens qui m'ont blessé, même parfois certains que je considérais comme mes amis. Je comptais sur eux et ils m'ont trahi. J'en ai été très déçu. Ceux-là, je reconnais que j'ai de la peine à les aimer et à leur refaire confiance.
A - Jésus nous demande-t-il de nous écraser ou de rester une victime ?
G - Non, sûrement pas. Jésus ne nous demande pas d'être passifs et de tout subir. D'ailleurs, si je prie pour mon ennemi, je ne suis pas passif.
A - C'est vrai, quand tu tends l'autre joue non plus. Tu t'affirmes autrement et tu arrêtes la violence. Ça me fait penser à cette histoire qui est arrivée à Paris à une grand-maman. Comme elle descendait du train, elle a pris l'escalator pour rejoindre le métro et là, elle a aperçu une bande de voyous qui l'attendaient. Ne pouvant plus reculer, elle a dû les affronter. Alors elle leur a demandé : "C'est qui le chef ?" L'un d'eux s'est approché d'elle. Elle lui a dit : "Tu vas me défendre, hein, je compte sur toi". Il lui a dit : "Dégage" et elle a pu s'en aller.
G - C'est étonnant cette histoire. Quand elle demande la protection, elle reconnaît sa fragilité, c'est un peu comme si elle tendait sa joue au risque de se faire agresser. Elle fait confiance à son ennemi et elle le fait même agir comme son ami. Elle refuse d'être victime et elle désarme la violence.
A - Au fond, même quand je suis victime, je peux encore agir. Il devait en être de même pour les premiers croyants persécutés. Ils pouvaient encore prier pour leurs bourreaux et demander à Dieu de leur faire du bien.
G - Comme Jésus sur la croix.
A - Ma prière pour mes ennemis me permet de quitter ma place de victime et d'échapper à leur emprise. Quand je prie pour eux, je ne me livre pas à eux, mais je les confie à Dieu et je me libère ainsi de ma haine. C'est une manière de ne pas laisser le mal envahir toute ma pensée ou tout mon être. Je peux ainsi limiter l'emprise du mal sur ma vie. Quand je sens ma souffrance ou ma colère qui revient, je demande à Dieu son aide pour leur résister.
G - Quand je prie pour mes ennemis et demande à Dieu de les bénir, je leur souhaite du bien, comme j'aimerais qu'ils me fassent du bien plutôt que du mal. "Comme vous voulez que les hommes agissent envers vous, agissez de même envers eux". Cette règle m'empêche de faire du mal aux autres ou de me venger parce que moi je ne désire pas que quelqu'un me fasse du mal ou se venge contre moi. Elle me pousse à répondre au mal par le bien et à vivre en paix.
A - Seulement, pour vivre en paix, il faut être deux. Alors comment tenir compte de cette parole quand ton ami est devenu ton ennemi, ce n'est pas si simple.
G - C'est vrai, cela demande du temps et du recul, mais je peux peut-être déjà renoncer à ma vengeance, comme David qui choisit de ne pas profiter de l'occasion qu'il a pour tuer Saül.
A - Mais quand Jésus demande d'aimer son ennemi ou de lui tendre l'autre joue, il exige plus que de ne pas se venger ?
G - Tu penses qu'il me demande de refaire confiance à celui qui m'a trahi ?
A - Non, parce que ce serait se remettre dans la même situation et risquer à nouveau la même blessure.
G - Pourtant, quand tu tends l'autre joue tu prends le risque de la même blessure.
A - Non, quand je tends l'autre joue je ne refais pas ce que j'avais fait auparavant. Justement, c'est l'inattendu qui provoque un changement.
G - Tu ne referas plus jamais confiance à celui qui t'a trahi ?
A - Si, peut-être, mais je ne peux pas faire comme si rien ne s'était passé. En tout cas, j'aurais besoin d'aide pour y parvenir.
G - Moi, je trouve que c'est bien difficile de dépasser ma rancune et ma méfiance. Ce que Jésus demande me semble impossible. Il n'y a que lui qui pouvait agir ainsi.
A - Pourquoi lui et pas nous ?
G - Lui, c'était différent. Il était tout proche de Dieu, il vivait à la mesure de Dieu, de sa générosité, de sa bonté même pour les ingrats et les méchants. Il offre le même regard d'amour à ses amis et à ses ennemis.
A - Heureusement, parce que s'il n'en était pas ainsi je serais souvent privée de cet amour et cet amour, je le sais bien, m'est essentiel car il me donne ma valeur, même quand je n'arrive pas à ce que Jésus me demande.
G - Tu pourrais peut-être trouver là l'élan de reprendre la relation avec ceux qui ne t'aiment pas. Même s'ils refusent, tu pourrais te dire que tu as agi selon la générosité de Dieu. Et moi, je pourrai y trouver l'élan pour bien accueillir même ceux qui m'ont trahi.
A - En retournant à la source qui est en Dieu, je reçois son amour et je peux accueillir à nouveau.
G - Ça me fait penser ce que tu me racontais de la mère qui n'a plus de relation avec son fils depuis 20 ans. À cette source, elle pourrait trouver l'élan pour reprendre contact avec son fils et faire le premier pas.
A - Ce que Jésus demande n'est donc pas si impossible que nous le pensions et il nous en donne les moyens.
G - Surtout, avec cet amour pour mes ennemis, je sors de l'engrenage de la mesquinerie, de la haine ou de la violence, je ne suis ni victime ni vengeur. Je peux quitter la réciprocité de la haine pour celle de l'amour.
A - Alors tu crois que Jésus me demande de faire du bien à celui qui m'a blessé, de faire le premier pas pour permettre la réconciliation et de renoncer à mon bon droit.
G - Oui, comme habitants de notre ville, il nous invite sans doute aussi à réfléchir à notre manière de gérer la violence sociale. Plutôt que de chercher à nous venger et à nous protéger par la force, nous pourrions chercher comment faire du bien à ceux qui sont violents, leur offrir d'autres ressources et d'autres modes de relation que la violence.
A - Tu connais peut-être cette histoire. Un moine part pour un long pèlerinage. Il a mis dans sa bourse tout ce qu'il possédait. À l'orée de la forêt, un homme l'attend. "Donne-moi ta bourse, lui ordonne-t-il". Aussitôt, le moine la lui donne, comme on donnerait un cadeau. Quelques jours après, celui qui l'a volé revient, lui rend sa bourse et lui demande : "Pourrais-tu maintenant me donner ce qui t'a permis de me donner ta bourse ?".
G - Toi, moi, vous, chacun peut demander à Dieu de lui donner de vivre de cette mesure bien tassée, débordante d'amour pour tous ceux qui l'entourent.

Amen.

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