Résiste et crois !

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On a teint les œufs. C'est un signe de vie. Cet après-midi, en famille, on les cachera. D'autres les rouleront. Dans le chœur de l'église, on a remplacé les couleurs liturgiques. Fini le violet couleur de pénitence et d'attente. Voici venu le temps du blanc, lumière qui concentre toutes les couleurs, lumière plus forte que la nuit. Les signes ne trompent pas. Pas de doute, aujourd'hui c'est bien Pâques : le troisième jour, la résurrection, la fête des fêtes.
Aujourd'hui, c'est - bel et bien - Pâques. Quoi que, quoi que… à la télévision, dans les journaux, à la radio, les mauvaises nouvelles se succèdent. Pas moyen d'y échapper. Hier le Mozambique et Madagascar, si vite oubliés, aujourd'hui la famine au nord Kenya, en Ethiopie. En Tchétchénie, on torture et on humilie. On fait de même au Sud-Soudan, au Tibet, sans compter les sacrifices humains que notre société est prête à faire au nom du Dieu Mamon, Dieu du profit sans scrupules.
Noires, sombres et tristes nouvelles, flots d'images qui nous sautent aux yeux. Dans le quotidien d'un monde incapable de paix et de justice, aujourd'hui c'est Pâques. A Lutry, pour la radio, on a sorti le grand jeu. Une cantate de Bach, une cantate qui dit la joie du mystère de la résurrection. Au début du culte, nous avons chanté : "A toi la gloire".

Aujourd'hui pas de doute, c'est bel et bien Pâques. Quoi que, quoi que… n'avez-vous pas parfois l'impression que nous sommes encore et toujours sous la croix ? Et qu'avec nous, le monde est encore et toujours sous la croix ! Ce monde qui soupire et qui aspire à plus de plénitude, de justice et de paix. On a parfois un peu l'impression que le cours de l'histoire s'est arrêté au Golgotha, comme figé. Et que l'épisode de la croix n'en finit pas de se répéter : Vendredi-Saint jour après jour.
Mais pourquoi donc le monde se détruit-il dans la guerre ? Pourquoi tant d'injustice ? Pourquoi ces humiliations ? Pourquoi ces souffrances indicibles de milliers d'êtres humains ? Sans compter ces autres croix quotidiennes, moins spectaculaires, mais que l'on connaît mieux, parce ce sont celles que l'on porte et qui pèsent parfois lourdement sur nos vies. Maladie, deuil, souffrance, séparation, échec.

Aujourd'hui, c'est Pâques. Dans l'épître qu'il adresse aux Corinthiens, Paul reprend la parole forte d'Esaïe : "Mort, où est ta victoire ?" Le vocabulaire dit un combat. Mais la victoire de Dieu, me direz-vous ? Celle que l'on a chantée, où apparaît-elle dans notre histoire ? Où éclate-t-elle dans notre monde ? Christ est ressuscité ! En Orient, les fidèles Orthodoxes répondent à l'acclamation pascale en disant : " Il est vraiment ressuscité !" Est-ce donc pour mieux s'en convaincre ?
Christ est ressuscité ! Le croyons-nous ? Le croyez-vous ? Le crois-tu ? La nouvelle est d'importance, mais elle est littéralement incroyable ! Encore marqués par la croix, bouleversés par la mort de Jésus, en deuil, sous le choc, les disciples n'y croient pas. Le témoignage de ces femmes - porteuses d'aromates - n'est pas crédible à leurs yeux.
Pour les disciples, ces paroles de femmes relèvent du délire de l'absurdité, délire, absurdité. Les mots sont forts, mais ils sont bibliques. On les doit à l'évangéliste Luc. Comme il peut paraître délirant - pour bien des contemporains - d'entendre que l'on peut encore prêcher la résurrection dans notre monde. Cette Bonne Nouvelle ne revêt que peu de poids dans un monde où règne la mort omniprésente.
Quand nous voyons ce que nous voyons et que nous entendons ce que nous entendons, nous avons de bonnes raisons, de très bonnes raisons de douter de la Bonne Nouvelle de la résurrection, comme les disciples. Et pourtant c'est aujourd'hui, en plein cœur de notre monde. C'est aujourd'hui. Alors que le Golgotha ne cesse de se répéter, que Dieu nous appelle à nous lever et à faire le pas. Le pas de la foi, celui par lequel nous sommes appelés à mettre notre confiance en la victoire de Dieu. Aujourd'hui Dieu t'appelle. Il t'appelle à marcher non pas par la vue, mais par la foi. Marcher par la foi, c'est aller au-delà du visible, de ce visible qui nous crève les yeux, qui nous aveugle, et qui nous désespère, et qui nous lasse et qui nous use.
Marcher par la foi, ne pas s'arrêter aux apparences, si tragiques et décourageantes. Marcher par la foi, croire en la victoire de Dieu a Pâques, c'est résolument résister. Résister. Cette semaine sainte, nous avons vécu un camp paroissial dans les Cévennes. Là-bas, ce mot a toute une histoire. Je pense à celle de Marie Durand et à ses compagnes emprisonnées dans la tour de Constance à Aigues-Mortes où elles ont vécu 38 ans. Un mot leur aurait suffit pour être libérées : j'abjure !
Elles n'ont résisté que parce qu'elles avaient choisi de marcher par la foi et non pas par la vue. Résister. Oh bien sûr, nous ne sommes pas en guerre et il ne s'agit pas de partir dans le maquis, ni de faire de nous des héros. Mais je crois pourtant que la Bonne Nouvelle de Pâques nous engage dans un véritable combat et fait de nous des résistants.
Résiste et crois en la victoire de la vie sur la mort. Résiste et crois en la victoire de la fragilité sur la brutalité. Résiste et crois en la force de l'amour sur la violence. Résister - donc ! Résister à la fois à la tentation du désespoir, mais aussi à celle de l'indifférence. Parfois, le désespoir nous tente, parce que c'est vrai qu'il y a de quoi désespérer. Mais désespérer ; laisser la lassitude et l'usure l'emporter, c'est donner la victoire à la mort, aux forces de mort qui cherchent à nous terrasser, à nous écraser.

La bonne nouvelle de Pâques nous engage à ne pas nous laisser gagner par les forces de mort, mais à continuer à marcher avec la ferme assurance que Christ est victorieux. Et puis, il s'agit de résister aussi à l'indifférence. Vous savez quand l'envie nous vient de baisser les bras et de se dire : " à quoi bon ? " Aujourd'hui, Christ est ressuscité. Dieu s'est révélé solidaire avec celui que l'on avait crucifié, alors n'abandonne pas. Christ est ressuscité, il est vainqueur.
Résiste. Défends plus fermement encore et plus ouvertement la vie si fragile, et l'humanité si vulnérable. Tu es appelé à résister, dans ta vie, dans ton quotidien ! Notre paroisse est appelée à résister, notre Eglise - aussi ! Aujourd'hui Dieu nous appelle. Aujourd'hui, Dieu t'appelle, TOI. Fais le pas et marche par la foi plutôt que par la vue. Christ est ressuscité, ma joie !

Amen !

Détails

Avec la participation de
Orgue
Gérard Lutz
Musique
L'Ensemble vocal Henri Dunant, dir.
Cantate 66 de J-S. Bach : "Erfreut euch ihr Herzen"