Ombre

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L'ombre est à l'intérieur de nous-mêmes, non pas seulement à l'extérieur

Avez-vous déjà attrapé un coup de soleil cette année, une de ces fameuses rougeurs qui vous empêchent de dormir et finissent par craqueler la peau ? Vous étiez tellement bien sur cette plage ensoleillée, vous avez couru, joué, vous vous êtes baignés, inondés de soleil, et surtout de joie. Pas besoin d'être au soleil, d'ailleurs pour vivre un coup de joie ! La joie du soleil, la joie de la vie, elle est en vous-même, elle n'est pas ailleurs! Et puis non, c'est plutôt un coup d'ombre, non pas un coup de soleil, que vous avez attrapé cette année. Un coup d'ombre, un coup de tristesse, de déprime, un coup de révolte. Le soleil peut bien briller, mais ce n'est pas la bonne année. Vous avez peut-être subi des revers, des difficultés, des épreuves. Ou bien est-ce sans raison apparente que vous vous sentez découragés, ou révoltés ou aigris. Le coup d'ombre, comme le coup de soleil, de joie, il est surtout à l'intérieur de vous.
Jonas, lui, en une seule fois, il a attrapé un coup de soleil et un coup d'ombre. Un coup de soleil, car le buisson, le fameux ricin, sous lequel il avait trouvé refuge, dessèche et crève. Et puis, il attrape un coup d'ombre, car il est enragé à cause de ce qui s'est passé à Ninive! ça le met en colère, ça le rend aigre, désespéré, au point même de préférer mourir! Dieu avait demandé à Jonas d'aller prêcher la repentance à Ninive la grande ville : «Encore quatre jours et Ninive sera détruite». Jonas est d'abord terrifié par l'idée d'aller crier dans les rues une chose pareille. Alors il fuit sur un bateau, c'est la tempête, vous connaissez l'histoire, les marins qui jettent Jonas par-dessus bord, le gros poisson qui le repêche, parabole de la mort et de la résurrection. Puis courageusement Jonas va accomplir sa tâche et annoncer son terrible message et alors coup de théâtre : Ninive se convertit, c'était pas prévu ! Ses habitants changent de vie, Dieu pardonne... et nouveau coup de théâtre : Au lieu de se réjouir, Jonas sombre dans le désarroi, dans la déprime la plus totale : à quoi ça sert, de toute façon je savais bien que tu es un Dieu miséricordieux plein de compassion ! Je dis des choses et tu fais le contraire ! Laisse-moi tranquille ! !
Oui, Jonas a attrapé un sérieux coup d'ombre. A côté du message d'amour de Dieu, compatissant pour Ninive, ce livre de Jonas nous montre un prophète en proie à ses réactions, à ses états d'âmes, à ses tiraillements. Et tout cela c'est à l'intérieur de lui que cela se produit. Ce prophète qui hésite, ce prophète qui fuit, ce prophète qui ne comprend rien, qui se révolte quand Dieu pardonne, qui se réfugie en plein désert, et qui rouspète contre Dieu ! Ce drôle de prophète ! Toutes ses réactions, c'est en lui qu'elles se produisent. C'est en nous qu'il y a de l'ombre. Car Jonas il nous ressemble, vous ne trouvez pas ? Jonas pense «cela ne servait à rien». Est-ce que nous ne pensons pas si souvent «à quoi ça sert, tout ce que je fais», c'est inutile. Jonas se retire, s'isole dans son désert. Et nous, n'avons-nous pas aussi de bonnes raisons de nous recroqueviller, d'éviter le contact avec les autres, de jouer les solitaires parfois. Jonas se révolte, il devient aigri. Est-ce qu'il ne nous arrive pas à nous aussi de ne voir plus que le négatif, de rester fixer, bloquer dans une manière négative de voir.
Le texte nous parle des réactions humaines, intérieures, psychologiques de Jonas — et des nôtres. Et Dieu les prend en compte, il les prend au sérieux. Dieu ne s'en moque pas. De quoi souffre Jonas ? Il souffre à l'intérieur de lui-même. Il souffre de sa manière de voir le monde autour de lui. Seul dans son désert, il ne comprend pas ce qui se passe autour de lui. Mais cette souffrance, elle est en lui, l'ombre n'est pas extérieure à lui, elle l'habite. Rien ne sert de lui dire, mais voyons «tu n'es pas si malheureux que ça», ça va s'arranger. Ce n'est d'ailleurs pas ce que Dieu lui dit ! Les drames intérieurs que vivent les humains sont aussi sérieux que n'importe quel drame. On connaît tous les difficultés extérieures, on est tous capable de voir lorsque les choses vont mal. Mais on a beaucoup plus de peine à reconnaître les ombres à l'intérieur de nous. Lorsqu'on est découragé c'est à l'intérieur que cela se produit, lorsqu'on est aigre c'est à l'intérieur que cela se passe, lorsqu'on a peur c'est à l'intérieur, lorsqu'on se sent coupable, c'est encore à l'intérieur de nous.

Et Dieu nous montre dans ce récit qu'il ne juge pas du tout Jonas. Au contraire, tout le texte, depuis le début, nous montre un Dieu qui chemine avec Jonas — tel qu'il est, qui prend au sérieux son désarroi — tel qu'il est , qui ne le laisse pas tomber, malgré tout. Même quand il ne comprend rien à l'amour de Dieu, Jonas. Au fond, c'est comme si Dieu nous disait, c'est normal d'avoir des ombres à l'intérieur de soi-même. C'est normal d'avoir des «problèmes» comme on dit, on en a tous. C'est comme si Dieu l'aidait, Jonas, à faire face à lui-même, là, dans son désert, sous son Ricin. L'aidait à mieux voir que c'est en lui que cela se passe. Regarde un peu mieux au fond de toi, fais la différence entre ce qui est de la situation et ce qui vient de toi, de ta manière de comprendre d'interpréter ta situation. Accepte un peu mieux l'ombre qui est en toi, pour mieux la comprendre et pour mieux la maîtriser. Voilà la leçon du Ricin. La leçon de cette plante qui s'élève et qui dessèche, apportant un peu de joie et ramenant tout aussitôt de la tristesse. «Tu as pitié, Jonas, d'une plante et moi je n'aurai pas pitié de cette grande ville ?» C'est comme si Dieu lui disait : mais regarde les choses différemment ! Regarde les choses de mon point de vue, à ma manière. Regarde ta vie intérieure comme moi je la regarde. Si tu vis cela au fond de toi, si tu es en colère, révolté ou aigri, ce n'est pas à cause de la ville, ce n'est pas à cause de cet arbre, mais c'est parce que c'est en toi simplement.
Si Dieu est un Dieu miséricordieux — et Jonas le savait bien, c'est justement ce qu'il lui reproche «je savais que tu es un Dieu miséricordieux» — alors, n'est-il pas aussi un Dieu miséricordieux pour toi Jonas, toi avec tes problèmes, toi avec ta révolte, toi avec ton découragement ? Si Dieu est miséricordieux, plein de bonté, d'amour, ne l'est-il pas aussi face à nos ombres intérieures, face à nos révoltes, face à nos découragements, nos ambivalences, nos hésitations. L'erreur de Jonas n'est-elle pas de n'avoir pas compris la miséricorde de Dieu pour ses ombres à lui d'abord. Voilà pourquoi il ne peut pas l'accepter pour les autres ! Jonas a été abrité par l'ombre du ricin et c'est cette ombre qui lui a apporté beaucoup de joie. Paradoxe des pays chauds où l'ombre est quelque chose de positif, de nécessaire. Ne serait-ce que pour éviter un coup de soleil ! Les ombres, nous, nous les voyons souvent comme quelque chose d'uniquement négatif. Et pourtant l'ombre ne suppose-t-elle pas la lumière ? Il n'existe d'ombre que parce qu'il y a de la lumière juste derrière. Il y a dans la vie de l'ombre, il y a dans ma vie, dans ta vie de l'ombre, il n'y a jamais que de la lumière, mais il n'y a jamais non plus que de la nuit ! Ose-t-on dire que si tu as des difficultés intérieures, des problèmes, c'est qu'il y a aussi de la lumière. C'est qu'il y a en nous de quoi avancer ! Le Christ ne nous demande pas d'être parfait. Il nous choisit, comme Jonas, avec nos imperfections. Et il fait avec nous, malgré nos ombres, des merveilles lumineuses !

Oh il ne s'agit pas, sûrement pas de dire à ceux qui vont mal : tout va bien, bon courage, Dieu prend soin toi. Il y a du positif, bon courage. Sûrement pas. Dieu ne le dit pas ainsi. La réponse de Dieu est un dialogue qui va permettre à Jonas de découvrir cela par lui-même. Un dialogue qui permet petit à petit de voir les choses différemment, de sortir de nos manières bloquées de voir. Un dialogue qui n'a rien avoir avec des bons conseils, bien sentis, mais qui est un accompagnement qui prend au sérieux, qui cherche à comprendre et qui aide petit à petit à voir autrement, à se décentrer, à changer de point de vue à reconnaître les ombres et lumières, les difficultés mais aussi les espoirs. «As-tu vraiment raison, n'y a-t-il pas une autre manière de voir ta situation, tout est-il vraiment perdu, ne vaux-tu vraiment rien. N'y a-t-il pas d'autres solutions ?»
Il y a là un ministère de l'église, du pasteur en particulier, mais de tout croyant finalement, d'accompagner, de faire progresser, de cheminer avec ceux qui comme Jonas, se sont réfugié dans un désert. Aider à voir à nouveau le soleil briller, voir à nouveau les richesses de chacun, voir à nouveau la valeur de sa vie à celui qui n'en peut plus, de consoler ceux qui sont attristés, d'ouvrir le chemin de la guérison des révoltés.
On ne nous dit pas comment Jonas a répondu à Dieu. A-t-il compris la leçon du ricin, s'est-il révolté encore plus ou a-t-il appris que Dieu l'aimait et qu'il l'invitait à s'aimer lui-même et à retrouver la joie intérieure. Si le texte ne nous le dit pas, c'est que la balle est dans son camp. La balle est aussi dans notre camp, à nous ici à Château-d'Oex, à vous derrière votre poste de radio, quelque part dans le désert de la vie. Peut-être nous mettrons-nous en route, avec l'aide d'autres pourquoi pas, pour que dans nos vies, en nous-mêmes, nous redécouvrions que s'il y a de l'ombre, c'est que derrière, il y a aussi le soleil.

Amen.

Détails

Avec la participation de
Orgue
Anne-Claire Lachat 029/ 4'70'16
Musique
Marylène Tille, accordéonistes 029/ 4'61'62