La famille.

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Vous les avez déjà vus, j'en suis certain. Vous avez été intrigués. C'était dans un magasin ou chez des amis. Vous en avez peut-être vous-mêmes chez vous. En fait, on les voit partout. Certains les trouvent passionnants, d'autres seulement intéressants. Petits ou grands, de toutes les couleurs, au premier abord pas du tout esthétiques, ils attirent pourtant toujours l'attention. Et lorsque vous les avez aperçus, pour la première fois, votre curiosité vous a sans doute fait dire: -" Qu'est-ce que c'est, à quoi ça sert; comment ça marche ?"
Mais commençons par le commencement. Tout d'abord, il faut savoir que nos yeux, espacés de quelques centimètres, naturellement voient ce qui nous entoure avec deux perspectives, légèrement différentes. Les scientifiques appellent ce phénomène: la "disparité binoculaire". En fait, cette particularité de notre vision joue un rôle essentiel et indispensable dans notre perception de l'espace, du relief et de la profondeur. C'est là tout le secret, pour entrer dans le monde des stéréogrammes !

Les stéréogrammes, c'est donc d'eux qu'il s'agit... Les stéréogrammes, qui sont des images en couleurs, imprimées pour devenir des posters, des livres ou des cartes postales. Des images étranges, parfois mises sous verre, qui ont été créées par ordinateur. Lorsque pour la première fois on se trouve face à elles, à première vue, on ne comprend pas. On se dit qu'il s'agit simplement de formes plus ou moins nettes, de taches multiples, aux couleurs et aux contours imprécis, comme les morceaux multicolores d'un puzzle, très mal dessiné, mal assemblé... En un mot, que c'est "moche" et qu'on ne voit pas pourquoi on a bien pu afficher une pareille horreur !
Ces stéréogrammes, je le répète, seuls nos yeux humains (qui voient avec deux perspectives légèrement différentes), peuvent les décoder, grâce à ce fameux phénomène de la "disparité binoculaire". Mais encore faut-il s'y exercer !
En fait pour entrer dans le monde mystérieux des stéréogrammes, tout le secret est là, selon Michael Bielinski et Paul Herber, leurs inventeurs. Pour nous en convaincre, disent-ils, un simple test nous permet de savoir si nous entrerons dans l'image, ou au contraire, si nous n'y verrons rien d'autre que les apparences d'une juxtaposition incohérente et inesthétique de taches, de couleurs et de formes. - " Levez votre pouce droit, recommandent-ils, bras tendu, à la hauteur des yeux et fixez le tout en regardant le mur ou l'horizon. Après quelques secondes, vous devriez voir deux pouces. Si vous n'en voyez toujours qu'un -ou alors trois-, pas de panique: il existe encore d'autres approches pour permettre à votre cerveau de décoder les subtils effets de la troisième dimension. Parce que derrière les apparences, il existe une troisième dimension, quelque chose qui est là pourtant sous votre nez, et que jusqu'alors vous n'avez pas découvert...
Pour vous aider, vous pouvez, par exemple, placer l'image à 40 cm environ face à vous, et essayer de fixer vos yeux simultanément sur ses bords gauche et droit. Le point central devient flou et... ce peut être l'entrée au coeur du stéréogramme... Ou bien, vous pouvez aussi poser une feuille transparente sur le stéréogramme. Vous verrez alors votre propre reflet et, en le fixant, vous pourriez plus facilement entrer dans ce monde de la 3e dimension et découvrir finalement avec émerveillement la beauté des formes, des animaux ou des personnages qui se promènent à votre insu derrière les apparences de l'image.

Je vous avoue, quant à moi, que j'ai dû m'y reprendre à plusieurs fois. Il m'a fallu persévérer et ne pas m'énerver, pour ne pas laisser tomber. Persévérer surtout, pour apprendre à regarder autrement. Et même si cela n'a pas été sans peine, j'ai (tant bien que mal) fini par y arriver... Et cela valait le coup de découvrir cette réalité, qu'on m'avait dit exister, qui était là sous mon nez, que je ne voyais pas, que je n'imaginais même pas !
Si ce matin je vous parle des stéréogrammes, c'est qu'ils me paraissent dire quelque chose d'essentiel à propos de nos relations avec les autres, à propos du couple et de la famille.

Nous constations, dimanche dernier, qu'être heureux en couple et en famille n'est pas affaire de recette. Mais c'est bien plutôt un art de vivre, à travailler ou à cultiver courageusement, devant Dieu et avec les autres. Nous remarquions aussi qu'on se décide à vivre en couple pour causer des crises. Des crises, parce qu'elles nous aident à nous découvrir tels que nous sommes, imparfaits, manquants, mais aimés de Dieu. Des crises qui sont nécessaires pour nous aider à réaliser que l'amour est la seule réponse possible à ce que nous recherchons tous, les uns et les autres... Enfin, nous relevions que, quel que soit le passé ou nos échecs, il n'est jamais trop tard pour s'aimer plus, pour communiquer mieux,pour redéfinir les règles de nos vies conjugales et familiales, et nous ouvrir plus fructueusement sur l'extérieur. Qu'il n'est jamais trop tard pour nous ouvrir au pardon et à la tendresse de Celui qui donne sens à notre vie et seul peut renouveler notre amour...

Les êtres humains, et à plus forte raison un couple et une famille, pour moi ressemblent donc à un stéréogramme, en ce sens qu'ils sont toujours beaucoup plus que ce que j'en aperçois à première vue. Beaucoup plus, parce que derrière les apparences se cache une dimension qui ne me saute pas aux yeux, une beauté et une profondeur qui en sont pourtant l'essentiel.

A première vue, même en me donnant de la peine, mon mari, ma femme, mon père, ma mère, mon frère, ma soeur, celui-là ou celle-là..., je crois les connaître, ils sont ceci ou cela, aimables ou désagréables, bref: ce que je crois en savoir, ce que je perçois d'eux. Or il arrive, dans des moments particuliers, que soudain je découvre d'eux quelque chose d'autre, de plus caché, de plus profond, quelque chose de bien plus beau que l'image que j'en voyais, ou que la caricature que je m'en étais faite. Ma femme, mon mari, mes parents ou mes enfants, l'espace d'un moment, je me mets à les regarder autrement et, ce faisant, à les aimer autrement...

L'amour, vous dis-je, c'est avant tout une question de regard !

D'ailleurs, du regard, il en est constamment question dans l'Evangile. Vous avez, par exemple, entendu tout à l'heure, cette histoire bizarre d'un figuier planté dans une vigne et qui ne donnait pas de fruit... " -Je vais essayer encore, dit le vigneron. Je garde confiance et espoir. Je veux y croire et je vais creuser la terre autour, y mettre ce qu'il faut. Et ainsi, cet arbre donnera peut-être des fruits..." Encore et peut-être: les mots de l'amour et de l'espérance... Les mots de l'Evangile, les mots que Jésus-Christ prononce sur chacune de nos vies, sur celle de nos couples et de nos familles. Et dans la même perspective, vous avez entendu l'apôtre Paul évoquer, lui aussi, l'affection, le respect, la prière et la persévérance. Toutes choses qui sont concrètes et qui font vivre...

La réalité est là, et dans nos vies (comme dans l'arboriculture ou la viticulture), le plus souvent on n'a pas chois ce qui nous arrive. Masi, on peut choisir de faire quelque chose de ce qui nous arrive, on peut décider de travailler à modifier la réalité, décider d'en faire quelque chose...

La confiance, l'espérance et l'amour, nous dit Jésus-Christ, c'est d'abord un regard qui rendra peut-être possible un changement, qui permettra de grandir, de fleurir et de porter du fruit. Et puis aussi très concrètement, des actes, des gestes, des soins et des mots qui, nécessairement, doivent accompagner ce regard, pour apporter le terreau, la nourriture et l'eau. Un regard nouveau, accompagné de comportements nouveaux, qui ouvriront au changement et au retour vers la vie...

- " Mais, me direz-vous, si vous connaissiez mon mari, si vous connaissiez ma femme, mon père, ma fille, ma mère ou ma belle-mère..., vous sauriez que c'est impossible ! Changer de regard, et entreprendre ce qui permettrait un changement dans nos relations... J'ai tout essayé, mais c'est sans espoir ! "

- Sans espoir ! N'en soyez pas si sûr. Et ne soyez pas si sûr que vous ayez tout essayé ! L'amour et l'espérance peuvent être soutenus et renaître contre toute apparence.

Certes, il n'est pas facile de se cogner contre ce qui ressemble parfois à une carapace... Vous savez, cette carapace, si soigneusement ajustée à nos personnes, derrière laquelle tout à la fois l'on se protège et l'on se cache. Mais qui finit par nous emprisonner... La carapace, par exemple, de la personne toujours si dévouée. De cet autre qui, toujours, veut se sacrifier pour moi, pour mes enfants, pour les parents, qui toujours cherche à plaire et jamais ne se plaint... Ou bien la carapace de la personne superactive, qui a toujours quelque chose à faire. C'est dans doute à ce prix qu'elle parvient à fuir son sentiment de vide intérieur... Ou la carapace de la personne qui vous donne des leçons, ultra-compétente, supérieure, elle sait tout, elle a un mot sur tout. La bienveillance, le laisser-aller et l'humour lui sont inconnus... Ou encore (et la liste peut s'allonger à l'infini), la carapace du partenaire rouspéteur, expert pour mettre en évidence, chez les autres et en moi, nos défauts et nos insuffisances...

Quand je m'estime peu moi-même, je me sers moins des mots et des gestes pour faire connaître mes sentiments aux autres et pour les aimer tels qu'ils sont, que pour les utiliser afin qu'ils puissent entrer dans mon jeu et se conformer aux attentes que j'ai en moi, pour bien jouer mon rôle. Un rouspéteur a besoin de boucs émissaires, une victime de quelqu'un qui va le harceler, une superactive de complaisants qui lui abandonnent le travail. Et c'est ainsi que l'autre, que les autres ne sont intéressants pour moi que s'ils me donnent la bonne réplique, que s'ils entrent dans le scénario de mon jeu.

Détails

Avec la participation de
Orgue
Jeanne Martin
Musique
La Fanfare de Rolle et le Groupe "Grappillon"