Dieu, notre père, a quelque chose à nous dire

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Lorsque nous lisons une lettre ancienne, de deux choses l'une : ou bien elle ne nous concerne pas, ou seulement par un intérêt historique, documentaire, ou bien elle nous concerne encore directement. Par respect de l'Ecriture canonique et par conviction, nous choisissons ici la seconde proposition : cet écrit nous parle; ce que nous venons d'en lire nous atteint; il y a donc lieu d'écouter... Je souligne quelques éléments dans l'extraordinaire richesse des onze premiers versets de l'épître de Saint Paul aux Philippiens :

Paul et Timothée, serviteurs de Jésus-Christ...

Paul est le seul auteur de cette lettre : plus loin, il parle de Timothée à la 3e personne; il s'exprime à la première personne dès le verset 3. La mention des deux noms laisse entendre que tout ce que Paul va écrire ne tient pas à son seul témoignage à lui, à ses idées et convictions; il a des collaborateurs, il existe d'autres témoins, il y a une communauté de foi. L'oeuvre de Dieu par l'Evangile ne repose pas sur une personnalité, un génie, un héros... quoi qu'il puisse arriver dans la vie de tel ou tel témoin et responsable, Dieu a toujours des ressources pour que l'Evangile produise son fruit; nul serviteur n'est indispensable: voilà qui rejoint l'idée de confiance exprimée ensuite: "celui qui a commencé en vous une oeuvre excellente en poursuivra l'achèvement jusqu'au jour de Jésus-Christ". Voyez Jean 4 : 34 : "Ma nourriture, dit Jésus, c'est de faire la volonté de celui qui m'a envoyé et d'accomplir son oeuvre". Paul, comme Timothée, comme d'autres, est serviteur de Jésus-Christ : esclave de Jésus-Christ. Comme nous qui, tant bien que mal nous sentons la responsabilité d'être témoins de l'Evangile, de ne pas rougir de notre foi, Paul, comme d'autres, n'est pas indépendant; il ne parle ni n'agit de lui-même, il appartient à son Seigneur, il est dans son ombre, mais cette ombre le protège aussi. Jean Chrysostome écrit : "Esclave véritable de Jésus-Christ, il n'est l'esclave d'aucun autre".

Sommes-nous assez esclaves-serviteurs de Jésus-Christ pour nous sentir libres de tout ce qui n'est pas lui-même et ce qu'il nous demande ? Par quoi donc nous sentons-nous contraints, entraînés, menés malgré nous, menés là où nous ne voudrions pas aller ?... Pour une libération, il ne suffit pas, en général, d'avoir de la volonté et de bonnes intentions: il y faut la prière au seul Libérateur. C'est une prière mutuelle, une prière solidaire: tous les chrétiens doivent savoir qu'ils manquent de tout ce qui concerne la vraie liberté, qu'ils n'ont rien à faire valoir devant Dieu par eux-mêmes, mais qu'ils peuvent recevoir des richesses de Dieu; qu'ils les reçoivent en effet particulièrement dans le "merveilleux échange" de la prière. Aussi est-il juste que chacun supplie Dieu, intercède pour tous les autres; comme Paul, qui prie pour tous, et il insiste sur ce "tous" :

- "à tous les saints en Jésus-Christ, grâce et paix"
- "toujours, en chaque prière pour vous tous, c'est avec joie que je prie"
- "je vous chéris tous dans la tendresse de Jésus-Christ; alors voici ma prière..."

Dans les premiers versets de notre épître, le rôle de la prière est en effet très important: c'est la prière de l'apôtre "pour tous les saints en Jésus-Christ qui sont à Philippes"; saints = mis à part, dans la foi, pour un service de témoignage et d'amour; ce qu'ils sont, ils le sont "en Jésus-Christ" et non par leurs qualités propres. Revêtus du salut de Dieu, ils se trouvent toujours menacés en eux-mêmes d'en oublier ou d'en négliger le contenu et les promesses ainsi que les exigences; aussi l'apôtre doit-il appeler sur eux tous "la grâce et la paix qui viennent de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus-Christ : c'est ici le coeur de l'Evangile". La grâce et la paix, c'est la déclaration d'amour, de miséricorde et d'alliance de Dieu à la créature humaine dans sa misère; c'est le "malgré tout" de Dieu. Voilà pourquoi l'apôtre rend grâce à Dieu chaque fois qu'il évoque le souvenir de ses amis philippiens. Il prie pour eux tous avec joie (un motif central de cette épître) : sa prière pour tous ses "compagnons de la grâce" (K. Barth) n'est pas un cri amer qui se perd dans le vide; joie , car il est tout à fait sûr que "celui qui a commencé en eux un bon travail va le mener jusqu'au bout".

Ne manque-t-il pas à notre prière mutuelle, si sérieuse, la joie qui vient d'une ferme confiance en la fidélité de Dieu ? Sentez la joie de l'apôtre, joie confiante et reconnaissante à l'égard de Dieu et des frères qu'il chérit tous dans la tendresse de Jésus-Christ, alors qu'il est prisonnier (à Rome peut-être ou à Ephèse) et qu'il évoque pourtant, encore, la grâce qui lui est faite. Quelle paix et quelle liberté, quelle ouverture à autrui, alors qu'il se trouve lui-même "dans les liens" ! = entravé !

C'est la prière pour l'amour : "que votre amour abonde encore, et de plus en plus, en clairvoyance et toute sensibilité (tact) pour discerner ce qui convient le mieux (ce qui est le plus important); cela en vue d'une pureté, d'une innocence, qui ne peut venir que du Christ, lui dont "le jour" approche. Ici, l'amour, la relation aux autres établie "dans la tendresse de Jésus-Christ", ce n'est pas seulement une question de coeur, de sentiment, d'affection, pas seulement une bonne entente; c'est discerner ce qui convient le mieux, ce qui est le plus utile, le plus juste pour tous les autres et pour soi-même. C'est un bon jugement des situations : sage, équilibré, courageux.

Il se présente ainsi de fréquentes situations de choix. Exemples : soutien ou non de la famille religieuse dont on fait partie; participation, présence ou non... Répartition des tâches, responsabilité, don de son temps, effort à consentir dans la vie concrète d'un couple ou d'une famille; décision concernant un changement de domicile ou de poste de travail; statut relatif de mon bonheur, de mon plaisir, par rapport au bonheur et au plaisir des autres.

Qu'est-ce qui convient le mieux pour tous, donc pour les autres et aussi pour soi-même ? Pour qu'une telle décision puisse être prise, un tel comportement adopté avec toute clairvoyance et sensibilité, il ne faut pas seulement de l'intelligence, il faut l'amour même de Jésus-Christ; et cet amour, on ne peut que le demander à Dieu, lui en demander le renouvellement; car en cela nous avons par nous-mêmes les mains vides.

Oui, je suis sûr que Dieu notre père a quelque chose à nous dire, à nous montrer, à nous conseiller dans notre vie quotidienne.

Amen.

Détails

Avec la participation de
Orgue
Robert Märki
Musique
Choeur mixte de la Maladière