"Déchirez vos coeurs"

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Vous venez d'entendre un passage du livre de Joël. On ne sait pas qui était ce prophète ni à quelle époque il a vécu, ce qui souligne l'actualité permanente de ses appels. Quelque part dans son message, il est question d'un jeûne; un jeûne national pour Israël : "Sonnez du cor à Sion, sanctifiez-vous par le jeûne (...); rassemblez le peuple". (2,l5). Le nerf du passage en question est formé de ces paroles-ci : (2,13) "Déchirez vos coeurs, non vos vêtements, et revenez au Seigneur votre Dieu; Il est bienveillant et miséricordieux, lent à la colère et plein de fidélité." "Déchirez vos coeurs", c'est-à-dire : creusez en vous-mêmes, disséquez-vous; secouez votre personne en tous sens; non pour vous faire du mal, mais pour retrouver la direction de Dieu, le sens de sa volonté. Cela se nomme la conversion.

Le nom officiel de ce dimanche de septembre se situe bien dans la ligne du prophète Joël : "Journée fédérale d'actions de grâces, de repentance et de prière". Ce titre exprime avec justesse trois mouvements de la conversion à Dieu : reconnaissance des bienfaits de Dieu pour chacun; reconnaissance du mauvais usage que nous faisons souvent de ces bienfaits et, manifestée dans la prière universelle (qui doit engager les priants), reconnaissance des autres, de tous les autres, des prochains, comme des frères et soeurs - sinon dans la foi, du moins en humanité - en tant que créatures du Dieu unique.

Dans notre réflexion sur cette triple reconnaissance, les paroles de Jésus à propos d'un massacre de Galiléens et de l'effondrement de la tour de Siloé - que seul l'évangile de Luc nous rapporte - nous offrent une nourriture forte et salée.
Ces pauvres Galiléens massacrés sur ordre de Pilate, à Jérusalem probablement, n'étaient pas moins bons que d'autres; ils n'ont pas mérité ça - et Dieu n'y est pour rien... Même chose pour ces dix-huit malheureux écrasés par une tour mal construite.
Sur l'autre face du raisonnement, on trouve donc ceci :
- ceux qui n'ont pas été massacrés par les gendarmes de Pilate;
- ceux qui n'ont pas été écrasés par une tour effondrée;
- et ceux qui ont été largement épargnés par les guerres mondiales;
- ceux qui sont plus riches que d'autres - malgré une certaine récession économique-;
- ceux qui jouissent d'un meilleur système politique et social que beaucoup d'autres;
- ceux qui ne connaissent pas la famine ni la guerre civile, ceux-là ne sont pas meilleurs que les autres;
et tous sont appelés à la conversion.

Il me semble que les paroles de Jésus ne nous autorisent pas à dire, par exemple : Dieu a particulièrement favorisé la Suisse; Il l'a particulièrement protégée; etc... Ce serait risquer de nous sentir supérieurs aux autres et, comme rassurés sur nous-mêmes, risquer de ne plus entendre l'appel de Jésus à la conversion, au changement. Or, pour Jésus, le refus de la conversion entraîne la mort. Une forme de mort que l'on peut comprendre ainsi : assèchement du coeur, immobilité de l'esprit, perte de la sensibilité; rupture entre l'homme et l'appel vivant de Dieu.

Ce qui est juste, c'est d'exprimer notre reconnaissance (de rendre grâces) à Dieu pour Jésus-Christ, Envoyé par Dieu "qui veut que tous les humains soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité" - comme écrit l'Apôtre à Timothée. Il est juste de lui rendre grâces pour les bienfaits de la vie, pour les valeurs à partager entre tous, et pour l'espérance. Et, tout aussitôt, il est juste de reconnaître que, souvent, nous honorons mal les bienfaits reçus : je mentionne ici trois maux dont nous sommes atteints ou, si nous ne le sommes pas, qui peuvent nous menacer :
Premièrement : l'égoïsme, une maladie spirituelle; se soucier surtout de soi-même, seulement de soi-même; manquer ainsi les richesses d'autrui. Et faire illusion de générosité, par exemple en n'offrant que des dons chichement comptés : donner, mais sans rien perdre. Du point de vue de la foi chrétienne, l'égoïsme consiste à oublier Jésus Christ faisant don de sa vie; et nier son impact sur nos comportements.

Deuxièmement, liés à l'égoïsme, la peur de l'étranger, ou la méfiance à son égard; une peur et une méfiance qui surgissent avant tout raisonnement social ou politique : une peur de principe. Une maladie spirituelle. Je pense à un sondage d'opinion, réalisé récemment à partir duquel un magazine a pu titrer : "Les Suisses sont de plus en plus xénophobes". Je pense aussi à un club possédant une base au-dessus de Neuchâtel et proclamant : "Nous ne sommes pas racistes, nous voulons sauver la civilisation occidentale d'une invasion étrangère qui menace." "Notre pays est sali." "Encourager l'Europe, c'est sodomiser les gens", - propos de gargote recueillis par la presse locale. Je pense enfin à un article de journal évoquant la rentrée des classes en termes choisis : "... si la cohabitation avec des enfants italiens, espagnols ou portugais ne doit pas poser de problème, et apporte même certainement un enrichissement, on est en droit de se demander s'il est bon d'intégrer à nos écoles trop de gosses d'Europe centrale et de l'est et d'autres continents, de mentalité très différente de la nôtre. On en arrive à un patchwork culturel et religieux un peu inquiétant, sans parler des risques de nivellement pédagogique par le bas (...)".

De cet esprit, la généreuse figure de Jésus-Christ est absente, oubliée, rejetée, même insultée, malgré quelques dérisoires précautions de langage.
Troisième maladie spirituelle : l'antisémitisme, sous forme de haine, de méfiance ou de sarcasmes ou de plaisanteries douteuses à l'égard des Israélites; l'antisémitisme qui menace toujours et s'insinue... Quel que soit son masque, il est toujours un crachat lancé à la face de Jésus le Juif.

Que vienne alors, après le "merci" et le "pardon Seigneur", que vienne enfin et que s'approfondisse la troisième reconnaissance : "Toi, l'autre que moi-même, qui que tu sois, tu es mon frère, ma soeur. Je te reconnais comme tel. Tu sais comme moi que ce n'est ni toujours facile ni toujours évident; ça fait partie de l'acte de foi. Mais je veux m'y attacher, y persévérer." Ainsi quelque chose pourra changer, peut-être, dans mes attitudes et dans mon regard, dans mes gestes et dans mes pensées.

Amen.