Demander cette vie en plénitude

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N'est-il pas judicieux à cette époque de l'année, où généralement il fait chaud, de choisir un passage biblique où il est précisément question de chaleur et de soif ? Toutefois, telle n'est pas la raison de mon choix. Alors, pourquoi choisir une histoire aussi connue, au risque de n'apporter que des banalités ? Voici donc tout d'abord la raison de ce choix.

En prison chacun fait l'expérience du rejet de la société, mais aussi souvent de son entourage social, professionnel, et même parfois familial. Etre rejeté parce qu'on a fait quelque chose qui est contraire à la loi des hommes. Que l'on soit un petit malfaiteur ou un grand truand, une mule ou un banquier, chacun fait l'amère expérience de ce rejet. Certes, certains s'en accommodent, mais beaucoup en souffrent. Coupable ou innocent, peu importe, car sitôt franchies les portes de la prison, on est exclu.

Peu ou prou, tous, confusément nous pensons que Dieu doit se tenir du côté des bons et des justes. Aussi, sans même nous l'avouer, quand nous sommes rendus coupables de quelque chose, nous pensons que Dieu, à l'instar des hommes, doit tout naturellement nous rejeter.

J'affectionne ce récit de la Samaritaine parce qu'à sa manière il démontre que plus on est rejeté par la société, plus Dieu se démène pour nous rencontrer. Récit où l'on voit Dieu, vulgairement parlant, mouiller sa chemise pour aller à la rencontre de l'exclu. Alors, si moi, l'homme ou la femme, peut-être ici dans cette église, ou là-bas chez moi, dans ma voiture, au travail ou en prison, qui suis persuadé que Dieu ne s'occupe pas de moi à cause de ce que j'ai fait, mais que de ses saints; si maintenant, soudainement, je commençais à percevoir qu'au contraire ce Dieu se démène pour moi l'exclu.

Dans le livre du prophète Esaïe, le lecteur sera peut-être frappé par le fait que Dieu n'arrête pas d'agir, de faire, de défaire et de refaire. Au chapitre 62 il y a une exclamation de Dieu qui caractérise bien cela :
v.1 "Pour Sion je ne me tairai pas, pour Jérusalem je ne me calmerai pas". Et, au chapitre 49, Dieu se qualifie lui-même "d'indomptable". Donc, avant d'attacher nos ceintures pour survoler l'histoire de la Samaritaine, il est bon de bien s'imprégner, par exemple chez Esaïe, mais aussi ailleurs dans les Ecritures, de ce Dieu qui n'arrête pas de s'activer, qui se défonce coûte que coûte pour rencontrer celle ou celui qui gît dans la solitude ténébreuse de son exclusion, afin de pouvoir lui offrir sa vie même.
Laissons une fois encore la parole à Dieu tel qu'il s'exprime chez Esaïe :
"Le Seigneur a fait ce serment : ce que j'ai résolu arrivera, ce que j'ai décidé s'accomplira" (Es:14:24)
Et encore : "Il vient lui-même vous sauver". (Es.35:4)

Les divers détails du récit de la Samaritaine sont trop nombreux pour qu'il soit possible de tous les considérer. Mais, comme pour les motifs d'une fresque, notre œil privilégiera plus particulièrement certains d'entre eux.

Le premier de ces motifs est celui où il nous est dit que Jésus quitta la Judée pour regagner la Galilée. Or, il lui fallait passer par la Samarie, nous dit le texte. Mais pourquoi donc ce "il fallait" ? C'est un peu comme si on disait qu'en quittant Genève il faut passer par Saint-Cergue pour aller à Lausanne. Certes, c'est faisable, mais c'est loin d'être indispensable. Jésus en remontant de Judée vers la Galilée aurait parfaitement pu suivre un chemin plus aisé et ce faisant éviter de passer par la Samarie, en empruntant la rive gauche du Jourdain. Donc, ce "il fallait", cette nécessité de passer par là, dénote clairement une intention manifeste, une volonté arrêtée, un choix radical. Il faut savoir que les habitants de Samarie n'étaient pas en odeur de sainteté chez les Juifs. C'étaient des gens méprisés, dont il fallait absolument se tenir à l'écart. Hier comme aujourd'hui on ne fréquente pas les traîtres et les renégats.

"Ce que j'ai décidé", dit Dieu, "s'accomplira" (Es.14:24). Alors pour ce faire, ce Dieu entêté ira jusqu'à emprunter le chemin le plus malaisé, afin de rencontrer ceux qui sont rejetés.

Deuxième motif de la fresque à capter notre regard, celui où Jésus parvient à la ville de Sychar, donc en plein pays de Samarie. Voilà donc Jésus qui se compromet dangereusement en osant fréquenter ce peuple mal famé. Soyons bien attentifs, Jésus ne les rencontre pas à la frontière, dans une sorte de no man's land, mais bien chez eux. Vous le savez aussi bien que moi, à trop fréquenter les gens de mauvaise vie dans leur quartier à eux, on risque sa réputation à soi. Eh bien voilà ce que Dieu fait, il se risque, il se mouille, il se compromet. Il rejoint celles et ceux qui sont exclus là même où ils vivent. Notez bien Il ne les appelle pas à le rejoindre là où Lui Dieu est, mais Lui Dieu vient chez eux les exclus. Contrairement à certains hommes politiques ou d'Eglise qui aiment à se faire voir dans les quartiers pauvres ou sordides, mais à des fins toutes médiatiques, Dieu se mélange à la société des exclus, des parias à ses risques et périls. Et, on sait ce qu'il en a coûté à Jésus, puisqu'il a fini lui-même condamné et exécuté comme blasphémateur et agitateur avec d'autres malfaiteurs.

Troisième motif de la fresque, celui où Jésus qui fatigué du chemin parcouru s'assied tout simplement au bord du puits. Ici, une fois encore il importe d'être très attentif à chaque mot employé, car les évangélistes sont avares de mots inutiles, contrairement aux prédicateurs. "Tout simplement" dit le texte; "tout simplement il s'assit". Eh oui, sans manière, sans cinéma. Il est fatigué et il ne le cache pas Tout cet effort pour aller à la rencontre de l'exclu lui a coûté, parce qu'il a volontairement choisi le chemin pénible qui conduit jusqu'à chez lui. Dieu se fatigue, et ce n'est peut-être pas une métaphore, pour aller à la rencontre des rejetés de tous bords. Il mouille sa chemise.

Dans l'Evangile, ce Jésus, qui est l'expression même du mouvement incessant que Dieu fait pour aller retrouver ce qui est perdu ou rejeté, ce Jésus ne cesse d'aller et de venir. Et le voilà soudainement qui s'arrête. Pensez ici à ces personnes qui quand elles vous visitent, ne prennent jamais le temps de s'arrêter, alors même que parfois ça nous ferait tant plaisir qu'elles s'arrêtent pour nous regarder et nous écouter. Mais ces personnes ont trop à faire, trop de gens tellement plus importants que nous à voir, et nous comptons si peu pour elles, qu'elles ne peuvent s'arrêter. Tel n'est pas le cas avec Dieu. Il est mouvement constant, mais pour rencontrer l'exclu, retrouver le perdu. Alors quand Il est enfin arrivé à ses fins, Lui, Il s'arrête. Et quand on s'arrête chez quelqu'un, habituellement c'est pour trinquer avec lui.

Si vos yeux ne sont pas trop fatigués, regardez maintenant le quatrième motif. Cette histoire se passe à la sixième heure, c'est-à-dire à midi pile. Le milieu du jour, l'heure où la lumière est la plus intense et où la chaleur est la plus ardente. Quand on est rejeté, surtout en prison, on est à l'ombre. Alors serait-ce à dire qu'au moment où Dieu rencontre l'exclu sur son territoire, soudainement la lumière illumine ? Oui je le crois.
Mais paradoxalement, cette heure de midi est aussi celle de la solitude et de l'exclusion. En effet, aujourd'hui encore dans les pays chauds on va puiser l'eau au puits tôt le matin ou tard l'après-midi. Donc à midi il n'y a personne, si ce n'est celles et ceux qui sont rejetés et menacés par les autres. Une femme réputée adultère risque fort d'être lapidée si elle ose venir au puits à la même heure que les femmes réputées fidèles. Midi est ainsi l'heure insoutenable de la solitude et de l'exclusion.

Et c'est ici le cinquième motif qui capte notre regard. Voilà donc une femme méprisée, rejetée, isolée, soudainement rencontrée. Dieu, en la personne de Jésus, ne vient pas seulement rencontrer un groupe social anonyme, mais bel et bien une personne précise. Elle est cette femme, non seulement une Samaritaine, mais aussi une femme de mauvaise vie. Alors ici, bonjour les dégâts. Regardez bien toutes les règles que Jésus enfreint.
1. -Lui, Jésus, un Juif rencontre une femme de Samarie.
2. -Lui, Jésus, un homme, rencontre une femme dans un lieu public sans personne autour et lui parle, ce qui est formellement interdit.
3. -Lui, Jésus, un pur, s'entretient avec une impure.
Avec une pareille ardoise on comprend facilement qu'il se soit attiré quelques problèmes avec son entourage. Voici donc le Dieu qui se mouille, qui se risque pour rencontrer à tout prix celle ou celui qui est exclu.

Et, Jésus va mettre le comble en lui demandant à boire. En effet, lui qui est un homme, qui est Juif, il dit à cette femme : "Toi, tu peux faire quelque chose pour moi. Je suis dans le besoin et tu comptes pour moi." Lui, le non exclu, en tout cas pas encore à ce moment, en adressant une demande à cette femme reconnaît en elle l'exclue une personne à part entière qui peut faire quelque chose pour lui.
Voilà ce que Dieu se fatigue à faire, aujourd'hui comme hier, aller à la rencontre du rejeté, non pas en raison de ce statut, mais parce que c'est son enfant à Lui et qu'Il en a besoin. On comprend dès lors l'étonnement de cette femme quand elle lui dit : "Comment toi qui es Juif, me demandes-tu à boire, à moi qui suis une femme samaritaine ?" Vous imaginez le Juge ou le Procureur qui irait dire à une prisonnière : "Madame, vous n'êtes pas pour moi qu'un cas pénal, vous êtes une personne à part entière dont j'ai besoin, vous pouvez m'apporter quelque chose, vous pouvez m'aider."
Comment Dieu si différent de nous, tellement puissant pourrait-il nous demander quelque chose à nous, avoir besoin de nous ? Eh bien oui, ce rejeté que Dieu s'est fatigué à venir rencontrer chez lui peut faire quelque chose dont Dieu a besoin.

En commençant j'ai dit qu'il y avait beaucoup de motifs dans ce récit et que malheureusement il ne nous était pas possible de tous les contempler. Alors nous conclurons avec cette remarque de Jésus : "Si tu connaissais le don de Dieu..."
Oui, en d'autres termes, si toi la méprisée et rejetée tu pouvais maintenant discerner ce mouvement de Dieu qui se fatigue pour te rencontrer là où tu es, qui t'aime telle que tu es, parce que tu comptes à ses yeux comme son bien le plus précieux, alors à ton tour tu pourrais lui demander cette vie en plénitude dont tu es tellement assoiffée, qu'aucun de tes amants n'a pu t'offrir, mais que lui seul peut te donner.

Amen.

Détails

Avec la participation de
et Sylvie Dunant
Orgue
Dominique Frei
Musique
Fabien Bartholini - ténor