Porteurs de Dieu

image

Marie, très jeune femme, enceinte, rend visite à Elisabeth, vieille femme, enceinte, elle aussi.
Cela peut paraître curieux d'écouter cette histoire-là aujourd'hui, dans le temps de Pâques. Mais comptez plutôt : Marie est enceinte depuis peu lorsqu'elle va voir Elisabeth, et, dans huit mois, nous fêterons la naissance de l'enfant qu'elle porte !
Et puis, bien sûr, vous l'avez compris : une jeune femme, face à une femme âgée, deux enfants à naître... jeunes et vieux, c'est bien notre thème.
Cette rencontre entre Marie et Elisabeth se passe tout en douceur; on pourrait même dire qu'il ne se passe rien, rien que de très banal en tout cas : des femmes enceintes, un enfant qui bouge dans le vendre de sa mère. Rien à dire, rien à voir. Tout se passe à l'intérieur. Dans la maison, dans leur corps. Justement, voilà que l'enfant d'Elisabeth régit fortement à l'arrivée de Marie. Comme peut réagir un foetus de sept-huit mois à un grand bruit, ou à un grand choc.
Un mois et quelques avant sa naissance, l'enfant Jean le Baptiste sent une présence si forte, si violente dans la douceur de cette visite, qu'il réagit déjà, qu'il l'annonce déjà.
Mais tout se passe à l'intérieur. Voici que la vieille Elisabeth, "remplie" déjà, contre toute attente, d'un enfant, est dite "remplie " aussi du Saint-Esprit.

Toute femme, je crois, qui porte un enfant - et je vis moi-même le septième mois de ma deuxième grossesse ! - est emplie d'attentes, d'espoirs, d'angoisses aussi, de questions. Rien d'extraordinaire à cela.
Et pourtant ces deux femmes-là portent plus que cela, plus que leurs espoirs, leurs joies, leurs angoisses, ou celles de leurs maris, ou de leurs familles.
Elles portent l'espoir et l'angoisse du monde, de l'humanité entière.
Et cet enfant qui bouge dans le vendre de sa mère, c'est l'annonce déjà d'un changement pour le monde, pour l'humanité.
Ces deux femmes enceintes, la jeune et la vieille, toutes deux dans les marges de leur fécondité : l'une trop tôt, l'autre trop tard, l'une avant d'avoir jamais encore songé à porter un enfant, l'autre après avoir fait son deuil de toute maternité, ces deux femmes enceintes sont porteuses d'une force immense.
Pourtant Marie n'a pas besoin de commencer par s'expliquer sur cette scabreuse histoire d'ange, de mariage, de virginité... ni Elisabeth de lui répondre en parlant stérilité, mutisme, promesse. Et cependant tout est dit, tout est senti, tout est compris. Tout se passe à l'intérieur.

Et voilà que cette force dont elles sont porteuses leur donne la parole, les mots pour dire ce qui les habite, pour le faire passer de l'intérieur vers l'extérieur.
"Dieu t'a bénie", s’écrie Elisabeth, "tu as cru que ce qui t'a été annoncé de la part du Seigneur s'accomplira".

Poussée par son propre enfant à naître, poussée par la force que lui donne cette maternité inespérée, cette promesse dans sa vieillesse, poussée par la force de Jean le Baptiste Elisabeth prend la parole, annonce la bénédiction de Dieu, proclame Maire heureuse.,
Et c'est alors Marie qui, à son tour, prend la parole, fait passer de l'intérieur vers l'extérieur ce qui l'habite elle, cette présence de Dieu qui grandit en elle.
Voilà Marie prophète, qui reprend les promesses contenues dans les Ecrits bibliques et les proclame.
Voilà une petite jeune fille qui annonce de grandes choses sur Dieu.
Et, dans un monde de force et de violence, elle proclame que le Messie est celui qui annihile la force des puissants, au profit des humbles. Qu'il s'intéresse aux petits, aux faibles, aux enfants, aux vieillards, aux malades, aux tristes.
Et Marie prend la parole au présent, elle ne dit pas : "Dieu fera, Dieu accomplira", mais "Dieu a fait, Dieu a accompli". Elle dit sa louange comme quelque chose de vrai, de vécu déjà; pourtant, à son époque comme à la nôtre, combien d'injustices, de souffrances, de pauvres abaissés et de riches aux mains pleines ?

Mais, pour Marie comme pour nous, l'annonce de la présence du Fils de Dieu, répercutée par le mouvement de Jean le Baptiste dans le sein de sa mère, par la bénédiction d'Elisabeth, c'est le tournant de notre monde.
La prophétie est déjà devenue réalité, ses conséquences sont déjà visibles, au regard intérieur, au regard de l'amour, qui sait en voir les signes se multiplier.

Chacun, Marie si jeune, Elisabeth âgée, Jean le Baptiste à naître, chacun de nous, jeunes ou vieux, faible ou fort, malade ou bien portant, chacun est responsable de voir ainsi, de voir avec son regard intérieur, responsable de rendre cette vision vivante, agissante, en la proclamant comme Marie, et plus tard Jean le Baptiste, en la vivant, en rendant vraies chaque jour les vérités de Marie : Dieu est venu, Dieu vient ! Il est du côté des hommes, avec les hommes .

L'enfant, en Elisabeth, a senti la force qui émanait de Marie, de cet enfant qu'elle portait. C'est cette force qui est moteur de toute notre histoire. La force du Christ. Mais pourtant à ce moment-là, le Christ n'est même pas encore un foetus dans le ventre de Marie, tout juste un embryon. Autant dire : pas grand-chose, puisque les savants ne savent même pas dire si on peut déjà le compter pour un vivant.
Et pourtant, c'est vrai, c'est bien le Christ Jésus, à peine présent, qui mobilise déjà ces deux femmes, et Jean le Baptiste. C'est bien le Christ, à peine sensible pour Marie, qui doit en être tout juste aux premières nausées...

Plus tard, ce Christ partagera le chemin des hommes; par ses paroles et ses gestes, nombre d'entre eux seront mis en route à sa suite. Plus tard, ce Christ sera mis à mort, il portera sur lui tout ce qui nous pèse et nous empêche de vivre vraiment. Plus tard, ce Christ renaîtra à la vie de Dieu, il sera le premier des vivants et nous le suivrons sur la route du Père.
Pourtant, bien avant cela, deux femmes auront été mises en routes sans grandes explications, sans démonstrations, sans preuves. Avec pour seule assurance ce qu'elles ressentaient au plus profond d'elles-mêmes, au creux de leurs corps, de leur humanité.
Deux femmes, une jeune et une vieille, qui portent leur enfant, deux femmes faites porteuses de Dieu !

Je crois que, comme Marie, nous sommes toutes et tous, jeunes et vieux, porteurs et porteuses de cet enfant, nous sommes porteurs de Dieu en nous !
Marie est porteuse de Dieu, cela la met en route jusque chez Elisabeth, jusqu'à cette immense louange, jusqu'à mettre au monde cet enfant qui sera le salut et la vie.
Marie est porteuse de Dieu, et Elisabeth comme Jean le Baptiste, ne peuvent y rester insensibles : ils sont mis en route eux aussi, rendus porteurs aussi de cette grande nouvelle; eux aussi, la vieille femme comme l'enfant à naître sont porteurs de Dieu.

Vous le voyez, Dieu ne choisit pas ceux qu'on attendrait, les plus forts et les plus solides pour le porter devant le monde. Au contraire, Dieu choisit une jeune fille, un petit enfant, une femme fatiguée... et aussi un charpentier amoureux, comme premiers porteurs de sa présence nouvelle.
Ces quatre-là sont porteurs du Fils, de l'espoir, de l'angoisse et de l'attente du monde. Porteurs de la promesse. Ils sont porteurs de Dieu.

Mais aussi, année après année, millénaire après millénaire, Dieu choisit des porteurs pour la promesse de vie et de salut.
Je suis, vous êtes, vous les enfants, vous les adultes, vous les personnes âgées, nous sommes, tous, choisis par Dieu pour être porteurs de sa présence. Nous sommes porteurs de Dieu.
Avec Marie, nous sommes aujourd'hui au premier mois de cette grossesse. Laisserons-nous la présence du Christ demeurer embryonnaire en nous ? Ou allons-nous voir cette présence prendre de plus en plus de place dans notre vie ? Allons-nous voir cette présence devenir perceptible au point que personne ne pourra l'ignorer, comme on ne peut ignorer l'enfant dans le ventre d'une femme prête à accoucher ?
Marie attendra huit mois encore pour accoucher du Christ.
Et nous, combien de temps attendons-nous pour accoucher du Dieu dont nous sommes porteurs, pour l'offrir au monde, pour l'annoncer aux autres, avec force et courage, qui que nous soyons, ou que nous soyons et quel que soit notre âge ?

Amen.

Détails

Avec la participation de
Orgue
Marianne Leuba
Musique