Sortir des ghettos du cœur, marcher à ciel ouvert

Temple de Monthey

Écouter le culte :

« Bien sûr, je suis aussi bâti pour l’AMOUR. Mais le même Esprit de Jésus me suggère que c’est tout un, PRIER et AIMER. C’est pour cela qu’il me construit à ciel ouvert, car il ignore les ghettos. Je n’ai pas à lui ouvrir, car c’est de l’INTÉRIEUR qu’il vient et qu’il opère ; voilà pourquoi on ne sait jamais trop d’où il vient, ni surtout comment s’édifier soi-même dans l’amour. » Voici quelques mots écrits par Christian de Chergé dans un remarquable livre L’Indicible espérance.

Vous comprenez désormais d’où vient cette idée du « ghetto » évoqué dans le titre. A l’origine, un ghetto désignait un quartier d’une ville où une communauté était contrainte de vivre séparée des autres, généralement pour des raisons politiques, religieuses ou sociales. Aujourd’hui, je pense que chacun·e se fait une idée de ce qu’est un ghetto. 

Ce mot résonne fort dans l’actualité politique, et nous le porterons tout à l’heure dans notre prière d’intercession. Mais pour l’heure, il y a aussi des ghettos intérieurs, spirituels et existentiels. Quand on parle des « ghettos du cœur », on pourrait dire que ce sont ces lieux clos, des fermetures intérieures — peurs, préjugés, rancunes ou habitudes — qui nous empêchent d’aller vers l’autre, vers nous-mêmes, vers Dieu, et d’accueillir pleinement et librement la vie. Dans les ghettos, se jouent des lieux de tension. Mais qu’est-ce à dire par rapport à la parole du jour ? Dans les textes que vous venez d’entendre, une tension s’opère. Regardons Abraham : on est au milieu du jour, à midi, quand le soleil est encore bien haut et on imagine bien la chaleur étouffante qu’il devait faire. Nous en connaissons un rayon, la canicule vient de passer. Nous comprenons donc bien qu’il aurait pu rester à l’ombre, la sieste ou le thé glacé auraient été bien mérités, Mais son attitude montre le contraire : à la vue des inconnus qui viennent vers lui, il bondit, il court à leur rencontre. Naturellement, il leur offre de l’eau, du pain, un abri sous l’arbre. C’est un geste qui coûte — dans l’effort, dans le temps, dans l’énergie — mais qui donne la vie. Et la vie, elle, ne s’invite jamais à moitié. Dans les pays comme celui d’où vient Abraham, ces pratiques d’accueil des étrangers se font encore. Au Maroc, le premier geste qu’on nous offre, c’est de l’eau. On peut passer dans un village et un habitant nous offre le thé et un morceau de pain. Ces moments fraternels redonnent de l’énergie tant au niveau du corps que du cœur. Quant à l’Évangile, il est écrit que le Fils de l’homme n’a pas d’endroit où poser la tête. Alors que la nature elle-même — les renards et les oiseaux du ciel — trouve un abri où se réfugier. Suivre le Christ, ce serait donc sortir comme Abraham de la tente et marcher en plein soleil ?

Ces passages, comme la plupart des textes bibliques, sont traversés de paradoxes. En réalité, au creux des paradoxes de la vie se dessine une ouverture, une faille, une entrée : en osant entrer dans le paradoxe, quelque chose se libère. J’aimerais vous emmener dans ce creux : Je pense que vous avez déjà fait cette expérience : ces contradictions de l’être qui nous traversent. Je dis « oui » à quelque chose alors qu’une part de moi pense « non ». Je désire ceci, et en réalité je préfère cela. J’ai envie de suivre Jésus, mais j’espère tout de même trouver un lit où me reposer le soir.

Ces contradictions font partie de la nature humaine. Et finalement, ce n’est pas grave. Par contre, il y en a pour une pour qui ces contradictions se révèlent difficiles à vivre : c’est notre tête. C’est elle qui ne se repose pas. Elle tente d’ordonner, de classer, de rationnaliser, de juger ce qui est bon ou mauvais. Nos pensées nous enferment, elles nous empêchent parfois d’y voir clair. La tête cloisonne et sépare. En réalité, les ghettos viennent souvent d’elle. Souvent quand la tête parle trop, on n’entend plus le cœur battre. Le mouvement que Christian de Chergé évoque et que l’Évangile éclaire : quitter le seul registre de la tête pour laisser le cœur s’ouvrir. C’est là que le déplacement s’opère. C’est là que les ghettos s’ouvrent. Le cœur ne veut pas rester enfermé dans des ghettos que la tête a créé. Et le Christ nous offre ce cadre de vie : être en marche. Il nous donne la liberté d’être pleinement nous-mêmes, d’être déchargé par les préoccupations qui occupent la tête et qui ouvre le cœur vers des élans de vie. En marche, les mendiants de cœur, le Royaume des Cieux est à eux. A sa suite, on se met en marche. 

Paradoxalement, c’est en marche que le cœur peut trouver un lieu où se reposer : dans la rencontre, dans l’accueil, dans le mouvement même de l’amour. Il cherche le souffle, l’équilibre au milieu des contradictions. On ose devenir des mendiants de cœur et on se met à la suite du Christ. Pas à pas. Un espace s’élargit, comme la tente d’Abraham sous les chênes, comme le cercle des disciples qui s’ouvre toujours plus largement autour de Jésus. En marche, les mendiants de cœur, le Royaume des Cieux est à eux. Jésus nous invite à cette ouverture. Il ne nous propose pas un confort figé, mais un chemin. Ce bonheur-là n’est pas statique, il se déplace. Il nous entraîne dans le mouvement du Royaume. 

Sortir des ghettos du cœur, c’est accepter de s’exposer — à la chaleur du jour comme Abraham, à l’inconfort du chemin comme Jésus, c’est découvrir la liberté : la liberté d’aimer, de pardonner, de bâtir une communauté, et de se sentir « chez soi » là où souffle l’Esprit. Et nous aussi, ici et maintenant, nous pouvons nous mettre en marche, là où nous sommes. 

Cette semaine, je vous laisse avec une question : Quels espaces en moi ont besoin d’être élargis par la prière et l’amour ? Puissiez-vous la porter comme une invitation à bâtir un cœur à ciel ouvert, loin des ghettos intérieurs. En marche, les mendiants de cœur, le Royaume des Cieux est à eux. Je formule cette prière pour nous engager sur le chemin de cette nouvelle semaine : Merci, mon Dieu, parce que tu as confiance en moi, parce que tu m’appelles à la liberté, parce que tu m’enseignes à ne pas avoir peur et parce que tu me pardonnes et me montres comment pardonner. Merci, parce que tu m’appelles à édifier une communauté d’amour. 

Amen.

Accueillir la Vie qui vient à nous, de l’intérieur, à ciel ouvert. Loin des ghettos qui enferment, mais comme une entrée de tente qui flotte au vent. Accueillir la vie qui vient à nous, c’est se rendre disponible à cet appel, se faire pauvre de cœur, pour enlever le superflu et découvrir les richesses du royaume.

 

Ce culte sera diffusé aussi en direct et en images sur RTS 2.

Détails

Avec la participation de
Viviane Parriaux pour les lectures et des jeunes de la paroisse pour la louange et l'intercession
Orgue
Musique
Guillaume Deleze au piano électrique