
Écouter le culte :
Sans doute avons-nous toutes et tous des souvenirs d’enfance qui remontent parfois en nous lorsque nous entendons un récit ou l’autre de la Bible.
Avec le récit de l’Evangile d’aujourd’hui, moi c’est le souvenir d’une chanson qui me revient à chaque fois que je l’entends. Encore une chanson c’est sûr… mais pas une chanson de variété, non non, une chanson bien typée « chrétienne » si j’ose dire…
Une chanson du temps de mon école du dimanche, j’imagine, comme on appelait alors le catéchisme des petits.
Une chanson qui associait les paroles attribuées à Dieu dans la parabole entendue aujourd’hui, au personnage de Thomas tel qu’il apparaît dans un autre évangile, celui de Jean.
Vous vous en souvenez peut-être aussi de cette chanson, c’était un peu un tube chrétien. Elle disait : « Si tu ne crois pas Thomas (que Jésus est né à Bethléhem, par. ex, qu’il est mort pour nous sur une croix…) mange et bois, réjouis-toi, demain tu mourras ! »
Une chanson quand même un peu terrible quand j’y pense… Chantée à des enfants et par des enfants. Terriblement moralisante en tout cas. Si tu ne crois pas comme il faut, tu vivras de manière désordonnée et tu mourras !
Je dois dire que je suis content d’avoir grandi dans une famille qui n’a jamais opposé foi chrétienne et convivialité, une famille pour qui le partage, la fête, le fait de se réjouir d’un bon repas et d’un bon vin étaient importants. Sinon, de telles paroles auraient pu sembler bien menaçantes pour l’enfant que j’étais.
Et pour l’adulte que je suis devenu, pour le pasteur que je suis devenu, je dois dire que le discours porté par ce type de chanson, un discours toujours d’actualité dans certains milieux, est un discours qui m’énerve, qui me fâche même.
Parce que c’est le discours du moralisme et surtout du rejet. Si tu ne crois pas juste – pas comme nous donc – tu mourras. Et que ce discours est fait au nom de Jésus.
Mais le Jésus que j’ai découvert en grandissant, le Jésus rencontré dans mes lectures de la Bible, n’est pas un maître menaçant et moralisateur. C’est le Jésus qui se réjouit, qui mange, qui boit, qui fait la fête que je découvre dans les pages des évangiles. Et qui fête la vie, en particulier avec les plus petits, les plus démunis, avec les mal-aimés de la société d’alors. Des collecteurs d’impôts, des malades, des femmes, des femmes célibataires et insoumises ! C’est le Jésus qui au seuil de la mort, partagera encore un repas et boira encore un verre de vin avec ses amis, comme cela nous sera rappelé lors de la Cène.
Si je fais ce détour par ce souvenir d’’enfance, c’est d’abord pour dire ce que cette parabole de Jésus n’est pas. Elle n’est pas une leçon de morale.
Elle ne dit pas que c’est parce que cet homme a construit des greniers pour garder toute sa récolte qu’il mourra. Elle ne dit pas que c’est parce qu’il a eu le projet de se reposer, de manger, de boire et de se réjouir, qu’il mourra.
Elle annonce juste, un simple fait… que nous oublions parfois… c’est que toutes et tous nous mourrons… un jour. Et peut-être même demain.
Alors il est où le problème pour que Dieu dans la parabole dise à cet homme qu’il est insensé ? D’autant qu’il y a une autre image dans cette parabole qui m’a frappé.
La parabole présente l’homme se parlant à lui-même. « Je me dirai à moi-même » dit la traduction en français. Dans le texte grec original, les mots sont plus forts.
Le texte dit littéralement : « Je dirai à mon âme : mon âme tu as beaucoup de biens pour des années, repose-toi, etc. »
Une personne qui parle à son âme, moi ça m’impressionne je dois dire ! Quelle spiritualité ! Je ne suis pas sûr d’y arriver !
Alors il est où le problème ?
Et bien, il est là justement le problème. C’est que cet homme parle à son âme, mais qu’à son âme justement, qu’à lui-même. Il ne s’agit pas d’un vrai dialogue. Un dialogue prend toujours en compte l’autre, les autres. Tandis que là c’est juste une réflexion qui tourne en rond, sur elle-même, d’un individu à lui-même.
Si cette parabole s’oppose à une théologie de type moralisatrice, je crois qu’elle s’oppose aussi à une autre théologie, qui nous vient des Etats-Unis. Elle s’oppose à ce qu’on appelle la théologie du succès ou la théologie de la prospérité. Cette manière très américaine de dire que si je réussis dans mes affaires c’est parce que Dieu m’accorde sa bénédiction pour me féliciter de ma foi ou de ma piété exemplaire… Je caricature un peu, je sais, mais …
Jésus dans sa parabole nous présente un homme à qui tout a réussi, au point que sa réussite dépasse toutes ses prévisions. Oui, un homme béni de Dieu ! pourrait-on dire. Alors, il est où le problème ?
On le pressent bien, le problème c’est que cet homme ne pense qu’à lui-même et à sa réussite. C’est qu’il parle seulement… à son âme, même sous couvert de religiosité ou de spiritualité !
Pas de merci. Non, aucun merci. Ni à Dieu, ni à la nature, ni au travail de ses ouvriers, ni à la chance. Pas de merci. Juste un « ça me revient ».
Pas de merci et pas de pensée pour d’autres non plus. Juste un « je garde tout pour moi » dans mes greniers.
Alors, on pourrait dire : « ce n’est pas bien ! ».
Jésus lui, rappelle juste à travers les paroles de Dieu à l’homme, qu’un jour il - et nous - mourrons. Et il conclut avec cette seule question : « ce que tu as préparé, qui donc l’aura ? »
Alors, si cette parabole ne veut pas nous donner une leçon de morale, si elle ne veut pas non plus nous donner un exemple de piété et de spiritualité pour notre âme… qu’est-elle donc ? Que veut-elle nous dire, nous faire comprendre ?
Et bien, moi, je crois – et je pense que c’est vrai pour toutes les paraboles de Jésus – je crois que cette parabole est d’abord une question, une question posée à chacune et chacun. A la suite du verset qui conclut la parabole et ouvre à la suite du chapitre, je pense que la question est celle de notre trésor, du trésor de notre vie. De ce qui fait le centre de nos vies, de ce qui donne sens à nos vies. La question qui m’est posée, elle est : quel est ton trésor, et pour qui est-il ?
…
Alors, pour conclure ce temps de prédication, je voudrais encore vous lire deux choses. D’abord cette phrase de Jésus, dans l’évangile de Matthieu, une de ces phrases un peu sibylline et si typique de Jésus, dans laquelle il dit :
« Là où est ton trésor, là aussi est ton cœur… » (Matthieu 6,21).
Et ensuite une autre histoire, une sorte de parabole elle aussi, une histoire telle qu’on les raconte en évoquant les rabbins, une histoire que j’ai découverte dans un commentaire du théologien français Antoine Nouis.
Un ancien élève va voir son maître qui lui demande comment vont ses affaires.
- Bien, répond l'élève, j'ai une entreprise florissante qui se développe. Je gagne beaucoup d'argent.
- Oui, dit le maître, mais comment vont tes affaires ?
- Je vous l'ai dit, j’ai une belle entreprise. En outre ma femme est de plus en plus belle et j'aime mes enfants.
- C'est bien dit le maître, mais comment vont tes affaires ?
L'élève est un peu surpris par le tour que prend la conversation :
- J'ai une belle entreprise, une belle famille, beaucoup d'amis et une vie sociale très riche.
⁃ Tout cela est très beau, dit le maître, mais comment vont tes affaires ?
L'élève ne comprend plus rien :
- Que voulez-vous dire par : Comment vont tes affaires ?
- Eh bien, répond le maître, jusqu'à maintenant tu m'as parlé des bénédictions de Dieu sur ta vie. Tu ne m'as parlé que des affaires de Dieu. Ce que je voudrais savoir, ce sont tes affaires à toi, et la seule chose qui dépende de toi, c'est ton cœur, ton cœur devant Dieu.
Comment est ton cœur, devant Dieu ?
Amen