Marthe et Marie, question de charge mentale ?

Temple de Sonvilier

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Marthe, Marthe, tu t’inquiètes et tu t’agites pour beaucoup de choses. Ce texte, bien connu, fait souvent grincer les dents.

Rapidement à la lecture, la première réaction que nous avons, c’est de juger Marthe. Comment peut-elle être à côté de quelqu’un comme Jésus, dont elle reconnait l’importance puisqu’elle l’invite chez elle, et ensuite ne pas écouter son enseignement ? Comment peut-elle faire de la vaisselle et s’agiter, alors que ce qu’il se passe là sous ses yeux est si important ? Marie quant à elle, sait se concentrer sur les vraies choses, profondes, sur ce qui a une vraie valeur. Oui à la première lecture, nous reconnaissons facilement en quoi ce que fait Marthe peut sembler futile, matériel et sans importance en comparaison. 

Oui. Oui mais. Si vous vivez dans le même monde que moi, alors vous savez qu’on ne peut pas mépriser Marthe. Nos vies ressemblent à la sienne. C’est d’ailleurs même ainsi que fonctionne le monde. Il faut agir, il faut faire. Au travail, à la maison, dans le jardin. Il y a toujours quelque chose à faire et gare à nous si nous ne nous affairons pas assez à la tâche. Il y aura une accumulation et il sera difficile, voire même quelque peu désespérant de tenter de tout rattraper. Et bien souvent, il y a des gens qui comptent sur nous, qui ont besoin des tâches que nous faisons, qui attendent que nous fournissions nos efforts. Nous avons des listes de choses à faire, souvent bien longues, bien trop longues, et rien ne se fait si on ne se trouve que dans la contemplation. 

J’aimerais revenir aujourd’hui en premier sur l’attitude de Marthe. Dans la narration que nous venons d’entendre, Marthe dont on nous dit qu’elle aime organiser, semble soudain brusque, agacée. Avant de finalement exploser et d’aller réclamer. Il y a une réelle frustration chez Marthe qui est née, qui a grandi, peu à peu, qui s’est d’abord exprimée en silence, dans une sorte de bouillonnement intérieur avant de finalement sortir. Cette frustration-là, on se l’imagine bien. C’est celle qu’on ressent quand on a l’impression de tout faire, d’être la seule personne à faire, d’être la seule personne à voir tout ce qu’il faut faire. Alors certains me diront probablement « oui, mais c’est elle qui a invité, elle n’a qu’à assumer » ou alors « elle n’a qu’à demander si elle aimerait de l’aide ». C’est d’ailleurs ce qu’on répond bien souvent, lorsque quelqu’un râle qu’il a trop de chose. Mais peut-être que justement, le problème de Marthe n’est pas qu’elle est en train de faire beaucoup, mais qu’elle se sent coincée dans ce qu’elle fait. Peut-être qu’elle aimerait qu’on la voie, qu’on vienne l’aider à faire autrement. Peut-être qu’elle aimerait prendre une part de Marie, pouvoir s’assoir aussi et écouter. Mais aurait-elle pu s’asseoir alors qu’elle sait tout ce qu’il y a à faire ? Peut-être plutôt qu’elle aurait aimé que Marie prenne un bout de sa part à elle. 

Et je crois que là, nous sommes beaucoup à rejoindre ce sentiment. Nous aimerions si souvent que les autres puissent comprendre notre position, puissent comprendre ce que nous ressentons, ce que nous traversons, puissent sentir quand nous aurions besoin d’aide, et de quelle aide nous aurions besoin. Et que ces autres puissent venir vers nous, spontanément, partager nos fardeaux.

Marthe, désemparée, remplie de frustration, fini par oser aller dire à Jésus que cela ne va pas. Et là, la réaction de Jésus n’est peut-être pas aussi jugeante que ce que l’on pense parfois. Il ne semble pas faire un jugement de valeur. Il lui dit « tu t’inquiètes ». Comme si cela voulait dire « tu t’inquiètes et cela te fatigue, je me soucie de toi ». Quand on lit ce texte, on compare tout de suite. On met l’attitude juste tout en haut, et la mauvaise tout en bas. Alors que peut-être qu’il s’agit simplement de poser à plat. De rééquilibrer. Jésus se soucie de Marthe. Il se soucie de Marthe, qui est frustrée. La question qui se pose pour Marthe, c’est peut-être est-ce qu’elle a fait le choix de s’occuper des tâches ? Ou est-ce que c’est un non-choix qu’on lui impose, ou peut-être qu’elle s’impose à elle-même ? Marie, quant à elle, a fait un choix, pas contestable, c’est un choix. Elle a décidé de mettre la priorité sur ce qui lui semblait prioritaire. Sur quelque chose qui ne se rattrapera pas après.

Depuis quelques années, on parle beaucoup de la charge mentale, dans le couple principalement, mais aussi au travail. On parle de ces personnes, bien souvent des femmes, qui portent sur leurs épaules une charge gigantesque. Qui du matin au soir, anticipent, prévoient, organisent, veillent sur leurs proches, ne pensant à elles qu’en dernier. Ces personnes deviennent des références pour leur entourage. On sait qu’elles tiennent debout, qu’elles ont tout en main. Et on se fie à cela. On les laisse faire. On se dit que finalement, cela leur plaît, où qu’elles n’ont qu’à le signaler si cela ne leur convient pas. Ou pire encore, on ne se rend plus compte qu’elles font beaucoup. 

Et voilà qu’avec ces thématiques qui se mettent sur la table, nous réalisons qu’il y a tant de Marthe dans notre monde, qui couvent des frustrations. Qui sont prêtes à exploser. Et à qui on dit en plus qu’elles font faux, qu’il faudrait agir comme Marie. Car Marie a fait un choix. Et c’est peut-être là toute la différence. Marie choisi, alors que Marthe subit. Marie choisit ce qu’elle souhaite faire, sans culpabilité. Marthe fait ce qu’elle pense qu’elle doit faire. Ce que les conventions lui ont appris. Et c’est de là que vient en grande partie la frustration. Des tâches doivent être faites, et Marthe se sent l’obligation de les faire. Elle ne peut pas faire un autre choix. Elle ne peut pas décider comme un sujet libre. Et lorsqu’elle va se plaindre, elle ne va pas demander à Marie de faire quelque chose, mais elle va demander à Jésus si l’attitude de Marie est acceptable à son goût. Jésus n’entre pas dans le piège et il casse les codes. Il redonne de la place à la liberté. On peut choisir d’être dans la norme et dans les conventions… ou pas. L’accent n’est donc pas forcément sur l’opposition entre être actif ou ne pas être actif, mais c’est un accent sur la relation. Le choix personnel, la discussion pour que la liberté et le choix de chacun soit possible.

Nous avons tous une partie de Marthe et de Marie en nous. Une partie de nous qui aimerait profiter de l’instant présent, de ce qu’il se passe autour de nous, qui aimerait se concentrer pleinement sur ce qui a réellement de la valeur. Mais il faut bien avouer que dans nos vies quotidiennes, nous sommes comme Marthe. 

Notre vie est faite de préoccupations. Et nos préoccupations débouchent souvent sur des inquiétudes. Nous sommes préoccupés par nous-mêmes. Notre recherche du bonheur, de la stabilité. Et l’inquiétude nait dans le regard que nous portons sur nous-même. Nous sommes parcourus de toutes ces préoccupations et inquiétudes au quotidien. Il y a cette facilité de dire « ne t’inquiète pas, tu traverses une phase difficile, mais dans 5 ans, tu pourras en sourire. ». On le dit beaucoup aux jeunes mères par exemple. « Je sais tu es fatiguée, tu as l’impression de ne plus tenir debout, mais dans quelques années tu regretteras ces moments ». C’est facile. C’est bien trop facile. Et on ne fait qu’ajouter un sentiment de culpabilité à une fatigue. Bien sûr que l’on sait que dans quelques années la tempête sera passée. Mais au milieu de la tempête, ce n’est pas toujours possible de penser à autre chose. Nos préoccupations du quotidien ne s’en iront jamais. Nous ne pouvons pas les effacer, nous ne pouvons pas faire semblant qu’elles n’existent pas. Nous ne pouvons pas vivre sans nous dire dans un coin de la tête qu’il y a encore quelqu’un à rappeler, une machine de linge à faire tourner, un gazon à tondre, une fiche d’impôts à remplir. Nos préoccupations du quotidien ne s’en iront jamais. Mais alors comment vivre avec ces préoccupations sans nous faire manger par l’inquiétude qui va avec ? Comment vivre avec elles en ayant l’impression d’avoir une liberté, d’être capable de choisir quelque chose ? 

Paul Tillich, théologien du 20e siècle, parle de ces préoccupations comme quelque chose qui nous inquiète bien souvent, mais qui finalement nous inquiètent parce qu’elles nous concernent. Il différencie alors les préoccupations de nos quotidiens, des préoccupations infinies. De celles qui nous concernent de manière ultime, celles qui ont un impact sur nos vies, sur la manière dont nous prenons nos décisions. Ce sont nos attaches. C’est notre foi, c’est l’amour que nous éprouvons. C’est ce qui nous donne la force d’avancer, et le courage d’être. 

Ce que je retiens de tout cela, c’est que ma vie est et sera toujours faite de centaines de préoccupations et de tâches quotidiennes à réaliser. Mais que je peux choisir ce qui est important pour moi. Je peux choisir ce qui, pour moi, ne se négocie pas, ce qui me préoccupe de manière ultime. Et si j’arrive à m’asseoir dans ce sentiment-là, alors je peux trouver une liberté. Je peux trouver ce que je veux faire. Et je peux partager avec mon entourage ce dont j’ai besoin pour me sentir soutenue et éviter les frustrations. Nous sommes préoccupés et nous le serons toujours. Mais peut-être que, nous ne sommes pas obligés d’être inquiets, ou frustrés. Peut-être que nous pouvons trouver le courage de nous dire, de comprendre si ce que nous faisons nous le faisons par choix ou par non-choix. De partager avec nos proches, et de construire ensemble un univers où chacun et chacune de nous se sent libre de choisir.

C’est là ce qui me plait tant dans les récits du Christ. Sans jugement, il nous replace devant nos propres limites, mais aussi devant nos libertés, qui ne sont parfois pas aussi loin que ce que nous imaginons. 

 

Alors respirons un grand coup, demandons-nous ce qui nous ancre réellement dans la vie et en quoi cela influence notre manière de voir le monde. Redonnons une place dans nos vies à nos préoccupations ultimes, au milieu de nos préoccupations du quotidien.

 

Amen

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Marthe et Marie, celle qui écoute et celle qui s’active. Deux manières différentes de servir, deux manières différentes de faire de la place. Et nous, qui sommes-nous ? Comment faisons-nous de la place dans nos vies ? 

Détails

Avec la participation de
Jean-François Coppel, narrateur
Orgue
Anne Jolidon
Musique
Maurice Bernard à la trompette, Alice Tschannen au chant