Dis mon nom!

Bex (©Zacharie Grossen, CC BY-SA 4.0 Wikimedia Commons)

Écouter le culte :

 

Rappelez-vous : il fut un temps où le Conseil d’État vaudois traitait de sujets grave. Le 20 novembre 2019, le Conseil d’État vaudois doit répondre à une question de taille : « Le verre vaudois va-t-il disparaître ? » En effet, le constat est fait que le petit verre sans pied de 5 à 7 centilitres n'était plus employé dans les verrées officielles de l’État !

Voici ce que le Conseil d’État a répondu : « Il convient de rappeler l’origine utilitaire de cet objet alliant charme et originalité : servir au vigneron à goûter ses vins, à différents stades de leur élaboration. » Sans chercher à jouer sur les mots, le Conseil d’État se permet de souligner que goûter n’est pas déguster. Les deux notions se chevauchent, mais se différencient quelque peu, en ce sens que le goûteur vérifie, le dégustateur savoure et apprécie.

Aujourd’hui, la consommation du vin – quelle qu’en soit la couleur – a évolué, et force est de constater que le verre à pied est le modèle qui a la faveur du consommateur. De l’avis de spécialistes, il permet au breuvage de bien exprimer ses propriétés et de satisfaire davantage le dégustateur en quête de saveur et de plaisir. Sommeliers et huissiers déclarent la supériorité sans conteste du verre à pied qui allie l’élégance à la praticité. Le verre vaudois est quant à lui plus emprunt de rusticité et de souvenirs de dégustations en cave, étant en quelque sorte parmi les instruments de travail du vigneron. D’un côté un contenant rustique mais emprunt de tradition, de l’autre un verre moderne, pratique et hygiénique. D'un côté, tradition rustique : goûter ; et de l'autre, modernité pratique : déguster.

Goûter et déguster : ce sont deux mondes proches et pourtant bien différents. C'est un décalage qu'on retrouve dans l'histoire de la vocation de Moïse que nous avons entendu tout à l'heure. C’est une histoire toute particulière, une histoire de commencement, au tout début de l’histoire de Moïse. La rencontre de Moïse avec Dieu. Dieu appelle Moïse au milieu d’un buisson en feu qui ne se consume pas, lieu qui est désigné comme étant un lieu saint où on retire ses sandales.

Dieu confie à Moïse une mission : faire sortir le peuple d’Israël d’Égypte, et ainsi mettre fin à son esclavage. Moïse conteste en disant qu’il n’en est pas capable et Dieu répond à cette objection en dévoilant son identité. Il parle de lui plus seulement comme « le Dieu de tes ancêtres », mais en disant cette phrase cryptique : « Je suis qui je suis ».

Dieu se définit d’une nouvelle manière, et cette expression-là a fait couler beaucoup d’encre. Les traducteurs de tous bords ne savent en effet comment rendre le texte original. Certains traduisent « je suis qui je serai » ou encore « je serai qui je serai ».

Ce passage a comme premier objectif de montrer la légitimité de Moïse en tant que prophète « stampelisé » du Dieu d'Israël. C'est un récit de vocation qui comprend les différents éléments typiques de ces récits dans l'Ancien Testament : tout d'abord une introduction qui est une apparition de Dieu. Pour nous, il s'agit du buisson ardent. Ensuite vient la mission donnée : « Je suis descendu pour délivrer mon peuple du pouvoir des Égyptiens. Je veux l’emmener d’Égypte dans un pays beau et grand qui déborde de lait et de miel ».

Vient ensuite une (ou plusieurs) objection(s) : « Moi ? Est-ce que je suis capable d’aller trouver le roi d’Égypte pour faire sortir les Israélites de son pays ? » Ces objections sont le signe de l'authenticité de la vocation prophétique dans l’Ancien Testament. Finalement, une réponse de Dieu à l'objection et une conclusion.

Et voilà qu'en conclusion à ce passage, Moïse pose cette question particulière : « Quand je serai devant le peuple, comment dois-je parler de toi ? Quel nom dois-je te donner ? »

J'aimerai apporter une part de témoignage ici. Ce n'est que quelque temps après avoir fait la connaissance de mes beaux-parents que j'ai appris le vrai nom de mon beau-père. Tout le monde l'appelait Joseph. Néanmoins, son nom de naissance est Giuseppe. Comme plusieurs immigrés italiens, soucieux de s'intégrer dans la société vaudoise, Giuseppe est devenu Joseph.

Nous vivons dans un temps où la question du nom ne signifie pas seulement transmission d'un héritage, d'un terroir. Les parents le vivent lorsqu'ils doivent choisir un prénom pour leur enfant. Prénom original ? Prénom traditionnel ? Nous vivons dans un temps où la question du nom rejoint toute une communauté de personnes qui sont en recherche de leur identité, car un nom, c'est une couleur, une identité. Nous vivons dans un temps où la question du nom n'est pas marginale. Le nom, comme pour mon beau-père Giuseppe, est facteur d'inclusion sociale.

Alors on pourrait entendre dans cette réponse de Dieu à Moïse, « Je suis qui je suis », comme une manière de dire : « D'accord, jeune humain, je comprends que tu as besoin de m'identifier et de me mettre une étiquette. Alors en voici une qui est suffisamment large pour que tu puisses continuer à cheminer sans m'enfermer dans une boîte. »

Le nom du Dieu d'Israël est en réalité composé de quatre consonnes : YHWH (yod – hé – waw – hé). Par le passé, ce nom a vraisemblablement été prononcé Yahvé. Par la suite, une tradition, qui est valable encore aujourd'hui, s'est imposé dans le judaïsme : elle interdit que l'on prononce ce nom et demande que l'on utilise des noms de substitution tels que « Adonaï », qui en hébreu signifie « Seigneur » ; ou « Schema, Hashem » qui en araméen signifie « le nom ».

Mais revenons à cette expression étrange, « Je suis qui je suis ». C’est la manière que Dieu a de dire à Moïse, ce jeune homme qu’il a choisi pour une tâche énorme, son lien avec lui. On l’a entendu à plusieurs reprises dans ce passage, Dieu se définit en fonction des liens qu’il a avec des humains. « Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. » Mais, remarquez, on ne dira pas après cette rencontre « Dieu de Moïse », c’est qu’il y a quelque chose de particulier qui se joue ici.

La révélation d'un nouveau nom correspond à la révélation d'un nouvel aspect de Dieu. Dans ce cas-ci, le nom de Dieu, qui se traduit par « le Seigneur », signifie la libération d'Israël : « C’est moi le Seigneur, ton Dieu, qui t'a fait sortir du pays d'Égypte, de la maison de servitude » (Exode 20, 2). Dieu se révèle dans l'histoire d'Israël et l'histoire d'Israël devient la révélation du nom de Dieu.

Parce que cette histoire, c’est surtout le début d’une autre histoire que celle racontée dans la Genèse : Dieu n’est plus le Dieu tutélaire d’un patriarche, d’une famille ou d’un clan, un Dieu de protection et d’histoire. Il devient le Dieu d’un peuple, et il lui donne un objectif, une mission claire : sortir d’esclavage et aller vers sa liberté. Ainsi, on voit comme une transition.

Dans la Genèse, le récit d’Abraham, d’Isaac et de Jacob (et de tant d’autres), on peut reconnaître rusticité et tradition. Terroir, en un mot. Dans l’Exode, le récit des péripéties de Moïse, de son frère Aaron et du peuple d’Israël, on peut reconnaître une certaine modernité et unité. En somme, la Genèse, c’est un peu comme un godet vaudois. Et l’Exode, un peu comme un verre à pied.

Et nous autres aujourd'hui ? Comment traduire cette vérité dans le monde d'aujourd'hui ? Où Dieu se révèle-t-il et comment ? Je propose d'utiliser la lanterne du prophète Ésaïe pour avancer.

(Lecture d’Esaïe 9, 1-6)

« Le peuple qui marche dans les ténèbres a vu une grande lumière », c'est ce qui est marqué sur le vitrail de notre temple paroissial ici à Bex. Ce texte que nous venons d'entendre nous parle d'espérance. L’espérance est possible car Dieu vient. « Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu une grande lumière. » Ce peuple, c’est nous !

Et c'est la réponse de Dieu aux incertitudes de nos vies. Dieu vient comme un enfant, un petit être, démuni, fragile et vulnérable, mais il vient à la fois également auprès de l'humanité comme un prince puissant et fort ! Ce Messie annoncé dans le livre du prophète Ésaïe, les chrétiens l’ont identifié au Christ en lequel nous croyons : Jésus de Nazareth.

Ces liens entre l’Ancien Testament et le Nouveau Testament ne sont pas juste dans le livre d’Ésaïe. Notre épisode du buisson ardent a un lien particulier avec l’Évangile selon Jean. Vous le voyez ici, sur le deuxième vitrail dans notre temple de Bex, il est écrit « Je suis la lumière du monde ». Jésus qui dit « Je suis ». Il y a sept paroles de la part de Jésus dans l’Évangile selon Jean où Jésus se définit en disant « Je suis ». Ces sept paroles trouvent leur origine dans l'épisode du buisson ardent. Elles manifestent l’importance forte donnée au Christ dans l’Évangile selon Jean et déclinent ce à quoi aspirent les humains pour la vie en plénitude.

Alors si nous autres chrétiens, nous nous référons volontiers au Dieu de Jésus, je veux vous encourager à garder en tête cette fameuse histoire de la rencontre entre Dieu et Moïse. Car s’il est plus facile d’identifier Dieu en lui mettant un nom précieux, une appartenance, une généalogie, Dieu ne se laisse pas enfermer dans des boîtes, et comme avec l’expression « Je suis qui je suis », il reste pour un bout mystérieux et indicible, insaisissable, impossible à maîtriser.

C’est ainsi que Jésus, avec ses sept « Je suis », propose comme une palette pour mettre en route le peuple des croyants, ce peuple qui marche dans les ténèbres, ce peuple auquel nous appartenons, vous et moi. La déclaration du nom intime de Dieu à Moïse nous révèle que Dieu se manifeste à travers ses actions dans le monde.

Pour Israël, Dieu est liberté et sécurité face à l'oppression. Pour nous autres aujourd'hui, suite à la venue de Jésus sur Terre, Dieu est présent à chaque fois que nous aidons un plus petit, que nous allons trouver notre voisin, que nous prenons soin de la Terre. Ainsi, nous pouvons porter son nom, un nom à porter non pas comme un titre qui mettrait les chrétiens à l’écart, au-dessus du monde, mais bien comme une manière d’incarner son être par nos actes.

À ce sujet, le théologien contemporain américain Andrew Root écrit : « C'est en vivant ce ministère de baptisés que le nom de Dieu devient aussi le nôtre. Notre existence est inséparable des moments où Dieu se révèle à l'humanité. Se mettre en quête de Dieu dans notre monde sécularisé, c'est être transformés et entrer dans son œuvre. Entendre l'appel de Dieu aujourd'hui, c'est participer à son action dans le monde. » Ce ministère de baptisé aujourd'hui, c’est à mon avis tout d’abord un ministère d’empathie, de compassion. C’est à mon avis à cela que nous appelle Dieu aujourd'hui.

Alors aujourd'hui, nous vivons le deuxième dimanche de Pâques. Nous avons entendu la proclamation de la bonne nouvelle de la résurrection du Christ dimanche dernier. À la lumière de Pâques, la rencontre de Moïse avec Dieu ne peut me que m'interpeller en lien à cet instant pendant lequel, dans l’Évangile selon Jean, Jésus ressuscité se dévoile aux yeux embués de Marie en l'appelant par son nom : « Marie ». Voici alors qu’en appelant Marie par son nom, Jésus est révélé ! Et avec cette révélation commence la formidable aventure de l’Église chrétienne. Cette révélation, Jésus la dévoile non pas en nous proclamons son nom intime. Au contraire ! Il la dévoile en nous appelant nous, par notre nom intime.

C’est pour cela que je crois que Dieu fut, Dieu est, et Dieu sera toujours un Dieu AVEC. Un Dieu qui se définit en lien avec les humains qui décident de nouer leur chemin au sien. Il va jusqu’au bout, jusque sur une croix, sur ce chemin aux côtés de l’humanité.

Ce lien de Dieu avec les humains, c’est comme un contenant nouveau, puisant à la fois ses racines dans le terroir, et jouant en même temps de modernité. Un contenant qui nous appartient à chacune et à chacun. Un contenant qui nous ressemble et qui, pour chacune et chacun, diffère. Un Graal, peut-être. Quoi qu’il en soit et quelle que soit la forme de ce contenant, quel que soit le nom de Dieu, c’est toujours Dieu avec nous.

Et, frères et sœurs, j’ai une bonne nouvelle ! Dieu avec nous, en hébreu se dit « Imanu – El » : Emmanuel !

Amen !

Dieu s’adresse à Moïse en exil et lui révèle son nom: «Je suis qui je suis». Depuis les temps anciens, il y a un pouvoir à nommer. Nommer, c'est définir une couleur, une identité. Nommer, ça nous relie au passé mais aussi, plus que tout, à aujourd’hui et à demain. Alors, pourquoi Dieu se laisse-t-il nommer? Quel changement de perspective Dieu invite-t-il Moïse à vivre à l’aube de son ministère?

Détails

Avec la participation de
Frédérique Zahnd pour les lectures
Orgue
Georgy Terekhov
Musique
Georgy Terekhov, aussi au piano