N'y aura-t-il que peu de gens à être sauvés?

Temple de Poliez-Pittet (©Jérémy Toma, CC BY-SA 4.0 Wikimedia Commons)

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Cette histoire que vous venez d’entendre (Luc 13, 22-30), je l'ai vécue. Je m'appelle Samuel (ndlr, personnage fictif). J’ai toujours voulu être quelqu’un de connu et d’important. Mes parents m’ont permis d’aller à l’école et d’étudier les lois, pour devenir sage.

Quand je suis revenu au village après mes études, les gens me posaient des questions et je trouvais toujours la réponse dont ils avaient besoin. Ils étaient tellement impressionnés que, désormais, au village, plus aucune décision n’était prise sans que je sois consulté. J’étais très fier de devenir célèbre et de répondre aussi aux questions de gens venus d’ailleurs.

En entendant que Jésus passerait par mon village avant de poursuivre sa route vers Jérusalem, j’ai pensé que c’était normal. Il avait sans doute une question à me poser et besoin de ma réponse pour continuer sa route.

Ce jour-là, je me rappelle avoir vu un petit nuage de poussière, il annonçait qu’une foule était en route. Les gens sont entrés, se sont installés au milieu du village, à l’ombre des arbres. Jésus était au milieu d’eux. Je me suis discrètement approché. Quand tout le monde fut bien installé, j’ai vu un homme se lever, s’approcher et je l’ai entendu dire, « N’y aura-t-il que peu de gens à être sauvés ? »

Ah, cette question du salut, ce besoin naturel de savoir et d’avoir des certitudes sur ce qui nous attend après notre mort !

A moi aussi, cette question, on me la pose souvent. Je réponds aux gens que je comprends leur inquiétude. Ils ne connaissent pas aussi bien la Torah que moi et ils ont de la peine à respecter les lois de Dieu. De mon côté, je suis sûr qu’après ma mort, j’irai rejoindre Dieu. Je me réjouis d’ailleurs de voir les prophètes, de discuter avec eux de leurs paroles et de rencontrer Moïse. Je m'attendais à entendre de la part de Jésus une réponse similaire.

Tout d’abord, je l’ai entendu parler de la porte étroite. Je visualisais devant mes yeux la porte de Jérusalem. Suivant l’heure, la porte large est ouverte et on peut entrer facilement dans la ville. Le soir par contre, il faut passer par la porte étroite. C’est plus long, car le portier regarde bien chaque personne qui veut entrer. Et parfois, lorsque la porte est fermée, il faut appeler et avec un peu de chance, si on est reconnu, on peut encore passer.

La suite du discours de Jésus m’a davantage dérangé. Il a dit qu’il ne suffirait pas de dire que nous le connaissions ou que nous avions bu et mangé en sa présence pour pouvoir entrer. Pour la première fois de ma vie, j’ai senti en moi une inquiétude naître : « Et si je n’étais pas sauvé ? Et si on me refusait d’entrer ?… »

Même après le départ de Jésus et de la foule, cette question a continué à m’habiter, à me perturber et à m’empêcher d’être bien concentré à mon travail. Avant, lorsque je regardais les gens en leur donnant ma réponse, je voyais sur leur visage de la satisfaction. Désormais, ils m’ont paru moins convaincus, je les entendais ajouter : «Es-tu bien sûr de ta réponse?» Evidemment, je répondais que oui.

Quelque temps plus tard, j’ai entendu dire que Jésus avait été cloué sur une croix. J’étais en quelque sorte soulagé. J’ai espéré que désormais, mes incertitudes concernant la vie éternelle étaient derrière moi et que je retrouverais mon assurance.

Mais voilà que des chuchotements sont parvenus à mes oreilles : Jésus était ressuscité ! Ces chuchotements se sont faits de plus en plus forts, Jésus était apparu à plusieurs reprises. Je me suis senti tout bizarre : si Jésus était ressuscité, alors son message était vrai.

Serait-ce possible que ce ne soit pas le respect des lois qui soit plus fort que la mort, mais que ce soit l’amour et le pardon qui triomphent de tout ?

J’étais chamboulé, mes anciennes certitudes disparaissaient, le fondement de ma vie sur le respect de la loi devrait faire la place à un fondement de ma vie sur l’amour. Il me fallait découvrir une nouvelle manière de vivre et d’envisager le royaume de Dieu.

Je me suis mis en route, j’ai voyagé dans l’empire romain, partagé la vie des disciples et j’ai aussi entendu différentes histoires de Jésus, de son amour pour les gens, de sa simplicité de vie. J’ai côtoyé des croyants, chacun agissant au mieux pour poursuivre l’œuvre de Jésus et vivre le royaume de Dieu par l’entraide et le partage. Comme disciple du Christ, parfois j’ai été chassé des villages, menacé, certains voulaient même me tuer.

Je me souviens d’un jour particulièrement difficile. Avec mes amis, nous étions découragés. Nous nous sommes quand même rassemblés pour prier et j’ai entendu ces mots : « N’oubliez pas cette parole de réconfort qui vous est adressée. Quand le Seigneur aime quelqu'un, il lui donne de bonnes leçons ; il corrige tous ceux qu'il reconnaît comme ses fils. Quand on s'est repris grâce à la leçon, plus tard, on trouve la paix et l'on devient juste. »

J’étais mal à l’aise avec ces paroles, mais parmi nous, certains hochaient la tête, je les voyais réconfortés de savoir que derrière les épreuves, c’était la main de Dieu qui œuvrait. D’autres, au contraire levaient la tête vers le ciel, comme moi, ils ne comprenaient pas bien comment Dieu pourrait être responsable du mal.

Je me suis rappelé du jour où mon frère était mort. J’avais été très triste. J’en voulais à la terre entière. Oui, c’est vrai que, depuis qu’il avait été malade, il ne pouvait presque plus bouger, mais mon frère, je l’aimais, je pouvais prendre soin de lui. Je trouvais injuste, alors qu’il était encore jeune, qu’il soit tombé malade et qu’il soit décédé. J’étais anéanti, tellement triste que même de savoir qu’un jour, je le reverrais dans le royaume de Dieu ne me consolait pas vraiment.

Un matin, lorsque je pleurais, j’avais senti une main dans mes cheveux, et des caresses dans mon dos, puis la chaleur était revenue en moi. Je me sentais mieux.

Depuis cette histoire, je suis attentif à ceux qui pleurent, même si parfois ça semble être pour une toute petite chose insignifiante. Je me rappelle les torrents de larmes versés et mon besoin d’être entouré et consolé.

A travers cette injustice, je suis devenu sensible à la tristesse des autres. Par cette épreuve, j’ai développé et ressenti l’importance d’être consolé. Pourtant, je ne pense pas que Dieu ait voulu la maladie et la mort de mon frère. J’imagine que cette sensibilité était dans mon cœur et que Dieu savait qu’un jour, elle me serait utile.

Je crois que l’homme qui nous disait que les épreuves de la vie sont comme une punition de Dieu face à nos actes, parlait de son expérience à lui, de sa manière de voir du positif en toute chose. Alors que pour moi, ça me semble impossible d’imaginer que Dieu se rende complice du mal, même si cela peut apporter du positif.

En repensant à ce souvenir, j’ai ressenti dans mon cœur comme une grand bouffée d’air, et je crois que j’ai eu le déclic. Jésus, lorsqu’il parle d’une porte étroite par laquelle entrer, il m’invite à déposer tout ce qui m’encombre avant de pouvoir entrer dans son royaume. Je suis encouragé à passer la porte étroite, à regarder le portier, à déposer mon confort, mes richesses, mon égo, mes colères, mes déceptions, bref, tout ce qui m’éloigne des autres, pour me rapprocher de Dieu et de mes prochains.

C’est une chance que nous soyons tous différents. Tous, Jésus nous invite à marcher à ses côtés, à devenir des hommes et des femmes meilleurs. Nos chemins sont à notre image, chacun le nôtre, avec parfois des rencontres. Certains parmi nous ont peut-être besoin d’entendre une parole dure et forte avant de changer, d’autres ont besoin de douceur.

Lorsque l’homme a demandé à Jésus s’ils seraient peu nombreux à être sauvés, j’ai senti qu’il avait besoin d’être rassuré. Jésus, par ses réponses, l’a obligé à changer sa manière de voir. Jésus nous dit à tous : « Pourquoi as-tu besoin que d’autres ne soient pas sauvés ? »

Et Jésus a raison, je suis invité à agir par amour et non par peur. Je n’ai pas d’abord besoin que les gens me reconnaissent pour ma sagesse, mais plutôt par mon envie de partager la vie, la joie et la peine de ceux qui m’entourent. Alors je transmets l’amour que Dieu nous donne. Un amour qui nous rencontre pour nous mettre en route.

Aujourd’hui, je me préoccupe d’abord de prendre soin de ma relation à Dieu et de mes frères et sœurs en Christ. Je ne me tourmente plus pour savoir si j’irai au paradis. Je suis presque certain que nous y serons, car ça ne dépend pas d’abord de moi, mais de Dieu.

Ce n’est pas une question de mérite, c’est une question d’accepter que le paradis est offert et peut-être que ceux qui sont les derniers aujourd’hui acceptent mieux qu’on leur offre quelque chose que ceux qui sont les premiers et n’ont besoin de rien.

Cette porte étroite, nous la passons chaque fois que nous laissons l’amour habiter nos vies et la diriger. Nous goûtons au salut, à ce royaume de Dieu, quand nous partageons une part des dons que Dieu nous donne. Voilà ma foi et mon espérance.

Quant au deuxième texte, je choisis de me concentrer sur l’essentiel, la première phrase :  « N’oubliez pas cette parole de réconfort ».

Dieu ne nous a pas abandonnés, il reste présent à nos côtés et quoi que nous vivions, il est présent et il nous soutient dans notre combat du bien contre le mal et l’indifférence.

Quand je repense à ma rencontre avec Jésus, je me dis que j’ai été transformé. Il a su me rejoindre pour changer ma manière de voir le monde. Il y a sans doute de nombreux domaines où j’ai besoin d’être sauvé. Peu importe que je sois le dernier ou que je me sente rejeté. Pour tout être humain qui tend vers le bien, il y a une place dans le royaume de Dieu, pour toute parcelle de bonté, la porte étroite sera ouverte.

Vous qui m’écoutez ce matin, qui avez partagé avec moi une part de mon existence, j’ignore de quoi vous avez besoin d’être sauvés, et je ne peux que vous encourager à être à l’écoute de la parole de Dieu, à rencontrer vos sœurs et vos frères et vous verrez alors que si la porte étroite est difficile à passer, elle ouvre sur un royaume indescriptible.

Amen.

Samuel (personnage fictif mais vraisemblable) agissait bien, respectait ses proches et les règles en vigueur. Il avait une place parmi les sages du village. Lui-même ne s’en cachait pas, chaque jour son aura devenait plus grande, tout lui réussissait. Tout? Non, une petite parole de Jésus lézardait ses certitudes... Face aux difficultés du texte du jour, Samuel, par ses questionnements, nous emmène en voyage de l’empire Romain au royaume de Dieu, en passant par nos existences.

Détails

Avec la participation de
Eliane Carrard pour les lectures
Orgue
Edith Dübler
Musique
Le choeur de la paroisse, dirigé par Edwige Clôt