En exil dans son propre pays

Temple d'Orzens (©Frédéric Burkhard)

Écouter le culte :

Qui apprend à qui ? Qui enseigne à qui ? Et qu’est-ce qu’on enseigne ? Qu’est-ce qu’on apprend ? Qu’est-ce qu’on transmet ?

Dans nos représentations et nos fonctionnements habituels, j’ai l’impression que les choses sont assez claires : ceux qui enseignent sont en général bien installés, reconnus, ils font partie des institutions validées – avec un bon CV et de bonnes références bien sûr. Et ceux qui sont dans les réalités des apprenants, ce sont les plus petits, les juniors, voire les plus fragiles. En tout cas les moins expérimentés.

Mais ce qui est intéressant avec notre récit du 1er livre de Samuel, c’est justement l’inverse ! Dans cette histoire, celui qui enseigne, ou en tout cas celui qui va permettre à l’autre de progresser, de cheminer, d’être remis en question, d’engranger une expérience importante, c’est David. C’est le junior qui enseigne !

Le signe pédagogique que le jeune David pose dans ce récit – la lance et la gourde emportées plutôt que l’usage violent de la lance dans le corps de Saül – ce signe pédagogique est offert par le junior au roi installé.

On s’en rappelle, Saül, c’est le roi, le premier du royaume d’Israël – certes contesté et critiqué pour certains traits de sa personnalité – mais le roi ! Alors que le jeune David, ici, bien que déjà choisi et consacré par le prophète Samuel quelques temps auparavant, incarne la figure du persécuté et du réfugié.

Tout au long du récit qui précède, David est un réfugié dans son propre pays : il fuit la colère jalouse du roi. Et c’est là que son geste au milieu de la nuit, dans le camp militaire du roi Saül est intéressant. Au lieu de se laisser emporter par un esprit de vengeance et de violence, relayé par un de ses proches, Abichaï, David choisit une autre voie : l’interpellation qui va du coup se transformer en possibilité d’apprentissage et de réconciliation.

Ce signe – prendre la lance et la gourde qui sont au côté du roi pendant son sommeil, plutôt que de le transpercer avec cette lance, puis le dialogue qui suit entre David et Saül – ce signe peut émerger grâce aux valeurs que porte le jeune David.

Ces valeurs, et il le dit, c’est d’affirmer que la vie du roi, sa dignité, sa légitimité, malgré les excès et les erreurs repérées dans la vie de Saül, sont plus importantes qu’une justice expéditive.

La vie de l’autre compte plus que sa propre réalisation

La vie de l’autre, parce qu’elle est voulue et désirée par Dieu est plus importante que ses propres projets.

Voilà les valeurs de David qui lui permettent de devenir celui qui enseigne, celui qui laisse un acte pédagogique, celui qui ouvre un avenir. Alors, ce geste et les valeurs qu’il porte, me dit deux choses :

Premièrement, je me dis que, comme Saül a pu, ou a dû accueillir une leçon de vie généreuse du jeune David, nous – c’est-à-dire notre occident bien installé, nos paroisses bien installées, nos institutions vénérables – nous aurions parfois tout intérêt à nous laisser remettre en question par certains systèmes de valeurs incarnés par les plus petits, les juniors, voire les réfugiés. Le jeune David, figure du réfugié en ce dimanche, devient l’enseignant auprès de l’institution établie.

Alors bien sûr, nous cultivons de la solidarité, des élans d’accueil, de l’attention, nous libérons des sommes d’argent importantes pour que les réfugiés soient accueillis le mieux possible. Mais peut-être que nous pouvons entendre dans ce texte une invitation supplémentaire : parmi ces petits, ces fragilisés, ces réfugiés, n’y aurait-il pas des valeurs qui viendraient interroger les nôtres ?

Au hasard : le rapport à l’argent. Les sécurités économiques. Le lien entre les générations, l’attention aux aînés. La disponibilité pour des rencontres improbables... Est-ce que nous n’aurions pas nous aussi, comme Saül une marge de progression à explorer dans nos systèmes de valeurs ?

Et puis la deuxième chose que ce signe de David me dit, c’est que, fondamentalement, le moteur de la vie, le moteur des relations, le moteur de mon lien aux autres, c’est le pardon.

Pardonner. Passer par-dessus ce qui été malsain, mal emmanché. Voir au-delà des erreurs et des maladresses pour que la vie fasse son chemin. Le geste de David signale cette manière de fonctionner : pardonner à l’autre pour nous ouvrir un avenir.

C’est précisément cette vocation que j’entends dans l’Évangile de ce jour : le Christ permet à ses disciples de comprendre que l’avenir passera forcément par leur capacité à faire circuler le pardon. Il le leur dit : là ou vous pardonnerez, le pardon circulera. Là où vous ne ferez pas circuler le pardon, tout restera bloqué. Tout. Ça veut dire, la vie et l’avenir.

L’enjeu, c’est de débloquer l’avenir. L’œuvre du Saint-Esprit dans nos vies, en nous, et entre nous, conduit à cela : nous permettre de nous engager sur des chemins de pardon, non pas pour minimiser certaines offenses, mais pour garantir un avenir.

David, au bord du camp du roi Saül, a permis un avenir. Pour lui. Pour Saül. Pour ses proches. Pour Israël.

Les disciples qui reçoivent le Saint-Esprit après Pâques découvrent l’avenir dans lequel ils sont embarqués.

Et comme eux, avec nos peurs et nos fragilités, avec nos enfermements et nos hésitations, nous avons tout néanmoins pour nous lancer. N’attendons pas d’aller mieux ou d’avoir résolu nos difficultés. N’attendons pas d’avoir dépassé nos fragilités pour nous mettre en route.

Nous sommes ces David sur qui Dieu compte, ces David que notre société attend pour poser des signes et faire grandir la force du pardon.

Amen.

A plusieurs reprises, la vie du roi David se retrouve en situation de fragilité. En particulier avant son règne, alors que le roi Saül est encore en place. Les relations entre Saül et David sont compliquées: c’est un peu «Je t’aime – moi non plus!»

Dans le récit de ce jour, David doit se mettre à l’abri, alors que Saül, pris d’accès de jalousie et de haine, a voulu l’éliminer. David fait donc figure de réfugié intérieur. Exilé dans son propre pays, avec un statut menacé, alors qu’un avenir prometteur s’ouvrait pour lui.

Comment sortir du conflit entre l'«oppresseur» et le «réfugié»? Comment placer des signes de justice et d’espérance? Le geste de David, à la fois interpelant et pacificateur, ouvre des possibilités inédites...

Détails

Avec la participation de
Francine Guyaz, diacre, pour la liturgie. Daniel et Margrit Pitton pour les lectures
Orgue
Marianne Amrein
Musique
Chœur mixte d’Orzens, sous la direction de Christian Gerber