N'ayez pas peur! Comment se relever après l'échec

Temple d'Orzens (©Frédéric Burkhard)

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La boule au ventre !

On a tous expérimenté cette émotion : la boule au ventre. Quand on se présente à une étape difficile ou quand on va être confronté à un moment compliqué : les résultats d’un examen médical, une situation familiale complexe, dans nos réalités de famille, de maison, de travail de société, et même de communautés d’Eglise, il y a de ces moments où on a été blessé, inquiété, de ces moments où c’est très inconfortable. Alors, quand on doit recommencer, on a cette boule au ventre, parce qu’on sait qu’on va être confronté à quelque chose de difficile, à quelque chose qui n’est pas gagné.

La boule au ventre !

J’imagine assez volontiers que Moïse ressent cette boule au ventre quand il est de nouveau invoqué, appelé, attendu par Dieu qui lui dit : « Remonte – on recommence l’exercice des Tables de la Loi ! » Après le premier épisode qui a été un échec assez cuisant avec beaucoup de colère, avec le constat d’un Dieu qui s’énerve et d’un peuple qui est à côté de la plaque, j’imagine assez volontiers combien Moïse a dû ressentir cette boule au ventre. Comme vous et moi parfois dans nos vies. On l’a déjà ressentie, vous et moi une fois ou l’autre, et on traversera une fois encore cette émotion : cela fait partie de nos chemins de vie !

Mais Moïse remonte ! Il y retourne, pas seulement parce qu’il est un personnage hors du commun – les personnages bibliques sont en fait bien plus proches de ce que nous sommes, vous et moi que de ces héros fantasmés – Moïse, personnage ordinaire, qui est suffisamment encouragé, qui va retrouver de l’énergie, de la confiance, des ressources pour retourner et surpasser sa peur.

Je vous invite d’abord à revisiter ce qui se passe autour de l’échec : dans cette traversée de désert, il y a ce moment constitutif pour l’histoire de tous les croyants avec cette étape des dix commandements, de ces dix paroles qui vont accompagner la vie sociale, religieuse, communautaire de tant de générations.

Moïse est sur la montagne, il est en train de recevoir ces paroles, ces dix commandements, et c’est là que tout se déclenche pour le peuple : le peuple s’impatiente, il est frustré, Moïse n’est plus là, la foule s’interroge, « Mais que fait Moïse, on a besoin de lui ! ». Il tarde, alors qu’on a besoin d’un chef, d’un leader, on a besoin d’avoir un Dieu sous la main, et là, on ne sait pas, on est entre deux eaux, dans une zone un peu grise ; et le peuple veut son dieu, son objet, et survient la fabrication du veau d’or.

Je le souligne, parce que quand on est dans le flou, quand c’est long, quand on a besoin de quelque chose de manière immédiate et que cela ne vient pas, on a tendance à se ruer sur un palliatif. Je constate avec ce récit que tous les palliatifs qui surgissent ainsi ne sont pas forcément bons ou féconds. Dans nos désirs de vouloir combler nos frustrations et nos impatiences, il y a des risques – ce que fait le peuple ici qui a enfin son dieu sous la main, le veau d’or.

Et sur la montagne, on perçoit cela. Ce qui est intéressant, c’est que le premier qui s’énerve à cause de la réaction du peuple, le premier qui se met dans une colère monumentale à cause du veau d’or, c’est Dieu ! C’est Dieu qui sort de ses gonds : ce peuple est définitivement incapable, irrécupérable, en permanence à désirer autre chose! Alors, Moïse le calme, il cherche à apaiser son Dieu : « Ne t’énerve pas Seigneur, ne détruis pas ce peuple, après tout ce que tu as investi avec lui depuis le Pharaon, la sortie d’Egypte, la traversée de la mer Rouge, calme-toi Seigneur, prends patience ! »

Dialogue intéressant où c’est l’homme qui interpelle Dieu, et qui visiblement se détend. Et juste après, quand Moïse redescend du Sinaï, c’est lui qui s’énerve, parce qu’il voit, il entend, il est à portée de main de ce peuple qui vient de fabriquer l’idole. Moïse, comme on dirait aujourd’hui, pète un câble, et fracasse les tables de la Loi. Et cette fois, c’est Dieu qui le calme : « Moïse, détends-toi ! Tu prends le peuple, tu pars et tu vas marcher dans le désert ; tu respires, tu prends du temps, du recul, et on en reparlera. »

Je m’arrête un instant sur cet épisode très intéressant sur les colères successives d’abord de Dieu puis de Moïse parce que j’y vois une belle définition, une belle expérience de la spiritualité. La spiritualité, c’est entendre et comprendre les émotions, les colères, les joies de l’autre, être perméable et disponible à ce que l’autre ressent. L’autre avec a minuscule – celles et ceux qui m’entourent en communauté – et avec un A majuscule : être conscient de ce que l’a/Autre ressent, de ses pulsations, et d’être en interaction avec lui, de réagir. C’est ça la spiritualité, pas seulement accomplir des rites de manière dogmatique et figée. Parce qu’il semblerait que Dieu bouge ! Et que nous pouvons bouger avec lui.

Je vous invite à cette spiritualité-là, pour que nous puissions nous aussi bouger et évoluer dans nos vies.

Alors, Moïse va donc retrouver les forces et les ressources quand il est appelé, attendu pour recommencer.

Deux ressources émergent. Deux ressources pour que Moïse puisse remonter. Deux ressources pour vous et moi pour que nous puissions à notre tour avancer quand surgissent la trouille, la peur, la boule au ventre.

La première ressource pour Moïse : c’est le temps du désert. Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais dans mon souvenir, quand Moïse descend de la montagne et casse les tables de la Loi, c’est le lendemain matin qu’il recommence et qu’il remonte.

Mais non ! Le texte raconte autrement les choses : entre les deux montées sur la montagne, il y a le désert. On va marcher, je ne sais pas combien de jours ou de semaines, mais on va bouger, s’aérer, prendre du recul. Le peuple redevient nomade, on revisite ses relations les uns avec les autres. Et puis, il y a cette fameuse tente de la rencontre dans la marche au désert, cette chapelle, ce temple mobile où l’on va être rencontré par Dieu, où l’on mûrit et l’on peut passer par-dessus des déceptions, des frustrations. Il faut le temps du désert pour Moïse – c’est la première ressource.

La deuxième ressource, c’est l’intuition de Moïse au sujet de l’identité de Dieu. Moïse a cultivé et nourri une intuition au sujet de l’identité de Dieu au fil du temps : il a passé d’une compréhension d’un Dieu tout-puissant, quasi magique, avec le buisson ardent, les plaies d’Egypte à la cour du Pharaon, la traversée de la mer Rouge, à un visage de patience et de bonté. Au fil du temps qui passe pour lui, et pour son peuple, Moïse comprend que Dieu est d’abord patient. Patient avec lui dans ses frasques, mais aussi patient avec le peuple, avec celles et ceux qu’il accompagne et conduit malgré leurs résistances.

Cette intuition est validée et confirmée à la fin de notre texte, quand il remonte sur la montagne, il y a cette parole très forte : « Le Seigneur déploie sa bonté jusqu’à mille générations, mais il ne supporte pas le mal et il poursuit le péché et la faute jusqu’à la troisième ou quatrième génération. » Cette formulation dit, je crois, ce qui s’est construit dans son intuition : qui est ce Dieu qui l’appelle ? Avec cette démesure : mille générations de pardon, de bonté, de deuxième chance ; mille générations, ça veut dire dans le vocabulaire biblique « infiniment ». On n’en a jamais fini avec la patience et la bonté de Dieu, mes Chers !

Et en même temps subsiste l’exigence : jusqu’à trois ou quatre générations, ça veut dire à vue humaine, Dieu ne supporte pas l’injustice, Dieu ne supporte pas la maltraitance, Dieu ne supporte pas la violence. Alors il maintient cette exigence qu’il communique aux hommes et aux femmes qu’il accompagne.

Mais c’est d’abord une histoire d’équilibre : Moïse peut mettre les choses dans le bon ordre dans sa tête, dans son cœur, dans son intuition : celui qui l’appelle et qui l’attend pour la deuxième fois en haut de la montagne, c’est d’abord un Dieu patient. Cette conviction s’est déposée en Moïse au fil du temps.

Alors il peut remonter, parce qu’il sait quel Dieu l’attend : un Dieu qui comprend les détours que nous prenons parfois dans notre vie.

C’est donc riche de tout cela que Moïse peut passer par-dessus cette boule au ventre, tout en restant conscient qu’il y aura encore d’autres épreuves et d’autres échecs – comme nous sommes nous aussi conscients qu’il y aura encore d’autres étapes compliquées, des choses qu’on rate, des choses que nos proches ratent, qui nous affectent et qui nous font mal. Mais ces boules au ventre, parfois tellement boulonnées en nous, j’entends qu’avec le temps qui passe on peut les surmonter, avec le temps du désert, en changeant de rythme avec nous-mêmes, avec les autres et avec Dieu : allons respirer et nous laisser retrouver autrement. Temps de désert dans nos rythmes souvent effrénés où comme avec le souvenir de ce texte, c’est déjà demain que je dois tout résoudre. Le temps joue en notre faveur. Laissons-nous conduire au désert.

Et puis à notre tour, nourrissons, cultivons cette intuition de l’identité de Dieu : un Dieu patient et généreux. En nous confrontant régulièrement, quotidiennement au témoignage des Ecritures saintes : ce que la Bible dévoile de l’identité de Dieu, et au témoignage des hommes et des femmes qui nous ont encouragés et nous encouragent aujourd’hui encore autour de nous.

Ne laissons pas notre vision de Dieu être enfermée dans une conscience réductrice. Jusqu’à mille générations, mes Chers !

Je nous souhaite cela, pour les boules au ventre qui nous habitent ce matin, ou qui nous rattraperont encore une fois ou l’autre. Souvenez-vous de Moïse, de son temps au désert, de son aération, de sa rumination, et implique-toi, engage-toi dans cette construction de ton intuition de qui est ce Dieu généreux pour toi.

Amen.

Moïse a de quoi s’angoisser: il doit recommencer le processus de transmission des 10 commandements après le cuisant échec du veau d’or! Il remonte une deuxième fois sur la montagne pour entendre Dieu s’adresser à lui.
Comment accueillir une vocation ou plus simplement s’engager quand on a subi un échec ou des contestations destructives ?

Détails

Avec la participation de
Francine Guyaz, diacre, pour la liturgie, et Danielle Akeret pour les lectures
Orgue
Marianne Amrein
Musique
Sandrine Gonin à la flûte et un quatuor choral avec Margrit Pitton, Bettina Monnier, Frédéric Monnier et Michel Jaunin