«Ils se réjouissent, car Dieu se souvient»

Abbatiale de Romainmôtier (©Roland Zumbühl, CC BY-SA 3.0 Wikimedia Commons)

Écouter le culte :

« Y a d’la joie, bonjour bonjours les hirondelles, y a d’la joie… » Vous connaissez cet air entêtant de Trenet ! « Y a d’la joie… » Est-ce que nous osons encore chanter des paroles pareilles aujourd’hui ? N’est-ce pas devenu indécent, dans notre monde tout gris ? J’aime beaucoup la radio, mais franchement, je me réveille avec les nouvelles et c’est garanti : la journée ne peut qu’être affreuse ! Et je m’inflige ça tous les matins, c’est vaguement masochiste non ?

Alors comment faire pour évoquer la joie aujourd’hui, autrement qu’avec un air sinistre qui n’y croit pas, ou un sourire imbécile qui ne voit rien ? Il y a du chemin à faire, et c’est exactement cela dont il s’agit. Être dans la joie, ce n’est pas un état : cela se découvre dans un chemin.

Pour moi, il est parti de la mauvaise humeur matinale à mon bureau, tasse de thé à la main : je regarde par la fenêtre et vois des mésanges venant becqueter des graines dans la petite maison que nous avons suspendue au jardin. Ce ballet des mésanges me fait sourire et fait naître en moi une joie inattendue.

Banal, naïf, cliché : tout cela certainement. Mais ces petites mésanges viennent éclairer à leur manière et sans le savoir les textes de ce matin.

Chez Baruch tout d’abord, pour qui la joie a à voir avec le fait de recevoir de Dieu un nom (Ba 5, 4), avec le fait d’exister dans la mémoire de Dieu (Ba 5, 5). Quand tous les noms dont je suis affublé ou dont je m’affuble moi-même ne disent jamais qui je suis en vérité, il m’est bon d’entendre que Dieu lui-même me nomme et que ce nom est en lien avec sa lumière déposée au creux de toute vie.

Quand tout passe et que tout s’oublie, et que moi-même ne suis qu’insignifiance au regard de l’immensité du monde, il m’est bon d’entendre que Dieu se souvient, de moi comme du plus petit de mes frères, de mes soeurs.

Ces petites mésanges, elles m’émerveillent car elles viennent se rappeler à mon souvenir : leur vie m’échappe infiniment, et pourtant l’espace d’un instant délicieux elles existent pour moi. Elles n’ont pas d’autres noms que « mésange », et pourtant elles sont uniques. Le réaliser me remplit de joie.

Elles me rappellent aussi combien je suis lié à elles, comme à toute la nature qui m’entoure. Que cette vie qui bruisse et souffle en moi et autour de moi n’est pas coupure ni séparation, mais unité et communion.

C’est ce que va rappeler Baruch en évoquant la joie de Jérusalem (Ba 5, 5-6) : cette joie naît d’être enfin rassemblé avec ce qui était coupé et éloigné. « Vois tes enfants rassemblés du couchant au levant par la Parole du Dieu Saint. »

Une Parole qui rassemble, ou comme le dit Paul, une communion par delà la distance et la différence (Ph 1, 5). Si trop souvent nos paroles humaines séparent et éloignent, la Parole de Dieu, elle, rassemble. Elle nous rappelle que nous sommes fondamentalement « un » en lui. Le redécouvrir est source de joie profonde.

Enfin, Baruch, comme Paul et Jean-Baptiste, parlent des collines abaissées, des vallées comblées (Ba 5, 7; Lc 3, 4-6), de l’amour qui ne cesse de progresser (Ph 1, 9). La joie s’inscrit dans ce pèlerinage : progresser dans la connaissance et la clarté par le chemin de l’amour. Apprendre la reconnaissance par l’amour.

Pour quelques mésanges qui mangent dans le froid de l’automne, pour les fruits de la terre et du soleil et de la pluie, pour les soeurs et frères humains qu’il est si facile de haïr, et qui sont pourtant bel et bien nos soeurs et frères. Imparfaits, limités, égocentriques, perclus de peurs… si semblables à moi-même. Apprendre à aimer pour progresser et faire grandir la joie.

Alors voilà : parfois il ne faut guère plus que quelques mésanges pour faire reculer les assommantes nouvelles du monde. Et nous souvenir que la joie ne se possède pas. Elle se découvre au jour le jour, comme une manne que l’on ne peut stocker. Donnée dans la simplicité de quelques battements d’ailes pour nos coeurs alourdis, elle naît au long du chemin de l’Avent : par le nom que Dieu nous offre et qui nous dit en vérité ; par notre place dans la mémoire de Dieu ; par tout ce qui nous unit en communion ; par l’amour qui nous fait grandir et que nous faisons grandir.

Où l’on redécouvre quelles sont les sources de la joie: non pas l’assurance tranquillisante de quelque chose que l’on posséderait, mais la perspective d’un chemin dessiné par le lien avec Dieu. Un chemin sur lequel l’amour est énergie de la marche.

Détails

Avec la participation de
Patric Bonnevaux pour les lectures
Orgue
Michel Jordan
Musique
Choeur de l’Abbatiale et Choeur de Vallorbe, sous la direction de Michel Cavin