Marie: une joie qui bouleverse tout!

©Paroisse de Pully-Paudex

Écouter le culte :

« Vous savez, depuis que le monde est monde, il y a toujours eu des injustices, des violences, des riches et des pauvres. Rien ne changera jamais ! »

De plusieurs manières, le cantique de Marie est à l’opposé de ce fatalisme, si répandu aujourd’hui. D’abord, sa présence même dans la Bible est le signe d’un bouleversement extraordinaire. Marie prend la parole, avec une force impressionnante, dans une société et à une époque où la femme n’avait absolument aucune place dans la vie publique. Et cette très jeune femme est une « humble servante », ce qui, dans le texte grec, désigne une personne au bas de l’échelle sociale et pas simplement une personne d’une grande modestie.

Dans ce superbe cantique qu’on appelle aussi le Magnificat, elle crie sa joie parce que – enfin – les choses changent en profondeur. Dieu l’a choisie pour être la mère d’un enfant dont la naissance signifie un bouleversement pour toute l’humanité. Son cantique est tout entier tourné vers le sens. Il serait totalement vain d’y chercher un renseignement historique sur la manière dont Jésus a été conçu.

Daniel Marguerat, spécialiste du Nouveau Testament, relève que la naissance virginale est une interprétation théologique qui n’est pas la seule possible. Jésus peut très bien avoir eu, aussi, un père humain mais c’est un mystère, totalement impossible à percer. La seule chose claire et nette que nous disent Matthieu et Luc, les deux évangiles qui parlent de la naissance de Jésus, c’est que cet enfant vient de Dieu.

Dans les trois premiers évangiles, Jésus prend la parole en public pour la première fois dans la synagogue de son village, à Nazareth. Après avoir lu le passage du livre du prophète Esaïe que nous avons entendu tout à l’heure, il affirme : « Aujourd’hui cette écriture est accomplie pour vous qui l’entendez. » Les hommes qui sont là sont stupéfaits.

Dans le récit de Luc, ils disent : « N’est-ce pas le fils de Joseph ? » Dans celui de Matthieu : « N’est-ce pas le fils du charpentier ? » Alors bien sûr, d’innombrables pages ont été écrites sur ces questions embarrassantes pour leur donner une interprétation conforme aux dogmes. Mais ces innombrables textes en disent bien plus sur les théologiens qui les ont écrits que sur la naissance de Jésus, sur laquelle les textes bibliques ne nous donnent pratiquement aucune information. Les détails historiques n’intéressent absolument pas les évangiles qui ont été rédigés 50 ou 60 ans après Pâques. Ils ne répondent pas à notre curiosité.

Dans son livre J’habiterai chez toi, Daniel Marguerat écrit :  « La confession de foi en la virginité de Marie renferme une vérité autrement plus signifiante qu'une alchimie gynécologique (…). Il faut que l'Esprit la traverse pour que Jésus naisse et grandisse en elle. 'Ce n'est plus moi’, disait Paul, ‘c'est Christ qui vit en moi.’ Le chemin de Marie est celui de tout croyant. L'accueil de Marie signale en effet que le Christ ne peut prendre de l'espace en nous, entre nous, qu'au travers du miracle de l'écoute. L'écoute d'une parole qui s'empare de femmes et d'hommes simples pour changer la face des choses. »

Avec une autorité qui vient de Dieu lui-même, Jésus apportera un message libérateur, d’abord à son peuple puis à toute l’humanité. Plus tard, les confessions de foi affirmeront qu’il est « vrai Dieu et vrai homme », ce qui rend compte de la signification qu’il a pour nous mais ne donne aucune explication sur sa naissance.

Dans ce superbe cantique qui ressemble à un psaume, il y a tout de même une chose absolument étonnante. Marie n’y parle pas de son enfant ! Elle ne se comporte pas du tout comme une mère qui ne vit que pour son enfant. Elle parle comme une personne à part entière, une femme qui a une identité propre : « Mon âme exalte le Seigneur ! »

Mon âme, précise François Bovon, spécialiste de l’évangile de Luc, c’est le moi conscient et intérieur.

« Mon âme exalte le Seigneur, (…) mon esprit s’est rempli d’allégresse, (…) toutes les générations me proclameront bienheureuse, parce que le Puissant a fait pour moi de grandes choses. »

Dans un langage d’aujourd’hui, on dirait que Marie parle à la première personne, elle parle en « je ». Mais le bonheur de Marie ne concerne pas qu’elle. La bonté de Dieu est destinée non seulement au peuple juif mais aussi à « tous ceux qui le craignent ». En langage biblique, craindre Dieu, ce n’est pas avoir peur de lui mais c’est le respecter profondément. La bonté de Dieu est destinée à tous mais elle ne s’impose à personne.

Dans un langage inspiré par les psaumes, Marie loue Dieu parce qu’il manifeste sa souveraineté en jetant les puissants à bas de leur trône et en élevant les humbles. Pour nous ce langage est désarçonnant car comme le relève François Bovon, les puissants et les humbles sont d’abord des catégories sociales, ce qui n’est pas forcément évident pour nous. Nous sommes tellement habitués à l’image d’un «gentil bon Dieu inoffensif», qui ne concerne que la vie intérieure et les relations interpersonnelles et qui, bien sûr, aime tout le monde !

La Bible a une attention aux conditions sociales que nous avons souvent perdue aujourd’hui, ce qui affaiblit considérablement le témoignage de nos Églises. Ceci dit, qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire : « jeter les puissants à bas de leur trône » ? On voit tellement de tyrans qui semblent si solidement installés dans leur pouvoir ! Pour comprendre cette affirmation surprenante, il faut entrer dans une logique différente de celle dont nous avons l’habitude.

Cette logique a été explorée pour la première fois par un écrivain du 16e siècle : Etienne de la Boétie qui a écrit un ouvrage absolument extraordinaire : Le discours de la servitude volontaire. Dans ce petit livre, il pose une question de fond : comment se fait-il que des rois et des nobles souvent, de son point de vue, assez bêtes et incapables, puissent exercer leur pouvoir sur tout un peuple ? La violence dont ils disposent n’est pas une explication suffisante. En fait, si un roi parvient à exercer son pouvoir sur tout un peuple, c’est parce que le peuple collabore. Sa soumission est en bonne partie volontaire. Sans cette collaboration, le pouvoir du roi s’effondrerait !

Dans le langage de Marie, le roi pourrait alors être jeté à bas de son trône ! La pensée d’Etienne de la Boétie a notamment inspiré, plus tard, Gandhi et Martin Luther King. On comprend mieux alors les affirmations saisissantes du cantique de Marie. La naissance de Jésus a une importance sans égale. En venant de la part de Dieu se manifester comme le Seigneur, Jésus enlève son caractère absolu au pouvoir des puissants ! Alors, bien sûr, Jésus n’aura ni armée, ni soldats. Il manifestera son autorité de manière non-violente. Mais personne, absolument personne, ne pourra la supprimer, même si on le met à mort.

Peu avant sa crucifixion, Jésus est interrogé par Pilate. Dans l’évangile de Jean, au chapitre 19 : « Pilate lui dit alors : ‘Tu ne me parles pas, à moi ? Ne sais-tu pas que j'ai le pouvoir de te relâcher comme j'ai le pouvoir de te crucifier ?’ Jésus répondit : ‘Tu n'aurais sur moi aucun pouvoir s'il ne t'avait été donné d'en haut.’ » (Jean 19, 10-11).

Le pouvoir de Pilate, comme celui de tous les dirigeants, n’a rien d’absolu. Désormais tous les pouvoirs pourront être questionnés sur la manière dont ils s’exercent. Le pouvoir absolu est tombé de son trône ! Par sa résurrection, Jésus a vaincu toutes les forces qui nous écrasent. Il a vaincu la mort !

Le choix de Marie comme mère représente un bouleversement fondamental. « Il est intervenu de toute la force de son bras » signifie qu’il a choisi d’intervenir en faveur de ceux que la société humaine exclut pour offrir son amour à tous les êtres humains. C’est ce que nous montre Jésus dans les évangiles. Il donne la priorité aux exclus mais cela ne l’empêche de partager des repas avec des riches et de les appeler à recevoir sa Bonne Nouvelle.

Quant aux hommes à la pensée orgueilleuse, aux puissants, aux riches, ce n'est pas un dieu justicier, comme nous nous le représentons, à notre image, qui les punira : ils se punissent eux-mêmes, en vivant selon une logique qui les conduit à la perte de leur humanité.

Mais, à travers Marie, Dieu leur offre son amour, comme à tous les êtres humains. Dans notre monde triste, c’est une formidable source d’espérance. L’inhumanité n’aura pas le dernier mot !

Sans que nous ayons fait quoi que ce soit pour cela, nous sommes aimés par Dieu inconditionnellement, ce qui est une source de joie. Nous sommes invités à accueillir cet amour et à faire nôtres ces paroles de l’apôtre Paul que nous avons entendues dans 1 Thessaloniciens 5, 16-18 : « Soyez toujours dans la joie, priez sans cesse, rendez grâce en toute circonstance, car c’est la volonté de Dieu à votre égard dans le Christ Jésus. »

Amen.

Dans cet extraordinaire cantique, Marie s’exprime comme une personne à part entière. Elle n’est pas qu’une mère! Son cri de joie concerne l’humanité entière.

Détails

Avec la participation de
Christine Golay pour les lectures
Orgue
Anne-Claude Burnand-Mauri
Musique
Jules Neyrand, ténor, et Stéphanie Park Poyard au violon