Avec Satan : no limits !

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Écouter le culte :

Soyez libres, obtenez la satisfaction de tous vos besoins, survolez les obstacles, vivez à fond ! Pour vous comme dit la publicité : "no limits" ! Soyez un leader, un gagneur, dominez vos concurrents !

Ce discours est omniprésent dans notre société aujourd'hui. Mais à quelle réalité correspond-il dans nos vies quotidiennes ?

Le récit de la tentation de Jésus se trouve peu après celui de son baptême, où l'Esprit Saint descend sur Jésus et où, à la fin il est dit : une voix vint du ciel : « Tu es mon fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré. »

Et juste après la tentation, commence l'activité publique de Jésus en Galilée. Notre récit donne la tonalité de toute cette activité jusqu'à la Passion.

Il présente, d'une manière symbolique, les tentations que Jésus a eu à subir tout au long de son ministère : utiliser son pouvoir de Fils de Dieu pour échapper aux duretés de sa condition humaine.

Cette liberté sans limites, c'est celle que propose le diable à Jésus dans notre récit : satisfaire tous ses besoins, avoir les pleins pouvoirs sur la terre et bénéficier de la sécurité la plus totale. No limits ! Pas de limites !

Mais qui donc est le diable ?

C'est une figure symbolique qui représente le mal humain, étant entendu que l'origine du mal est un mystère.

Dans le récit de la création du livre de la Genèse, l'arbre de la connaissance du bien et du mal, c'est-à-dire la connaissance totale dans la culture hébraïque, est là dès l'origine, sans qu'on sache pourquoi.
Toute tentative de percer ce mystère et de la remplacer par une théorie revient, pour reprendre le récit de la Genèse, à croquer la pomme, autrement dit à ne pas respecter nos limites humaines.

La Bible a plusieurs manières de parler de la figure du diable. Toutefois, le diable n'est jamais présenté comme un être divin qui serait l'égal de Dieu.

Le récit de la tentation suscite en général deux réactions :
- chez bien des gens : l'incrédulité. Une histoire comme celle-ci, c'est impossible !
- chez d'autres, la crédulité : la Bible est à prendre à la lettre. Il n'y a pas à réfléchir, il suffit de croire.

Ce récit met en évidence la différence fondamentale qu'il y a entre la crédulité et la confiance. La crédulité consiste à renoncer à sa responsabilité, à s’en remettre entièrement à la volonté d'un autre.

Dans le film « Le livre de la jungle », c’est l’attitude de Mowgli quand il rencontre le serpent Kaa. Il perd tous ses repères, il est complètement désorienté.

Dans notre récit, le diable se comporte comme le serpent Kaa : il essaie de faire perdre à Jésus ses repères en l’incitant à s’en remettre entièrement à lui.

La confiance est d'une tout autre nature que la crédulité. La confiance, c'est une attitude adulte, responsable, de quelqu’un qui réfléchit, fait des choix et qui accepte une part de risque. Par exemple, je connais quelqu'un et je choisis d'en faire un ami, je choisis de lui faire confiance.

Dans ce choix il y a une part rationnelle : pour faire mon choix, je m'appuie sur ce que je connais de cette personne, mais il y aussi un part de risque. Je choisis de prendre le risque de l'amitié même si, peut-être, notre relation ne se passera pas toujours comme je l'espère.

En grec, la langue du Nouveau Testament, on utilise le même mot « pistis » pour parler de la foi et de la confiance. La foi et la confiance, c’est la même notion. Le Christ nous invite à faire confiance à Dieu. Ce n'est pas du tout la même chose que de croire aveuglément n'importe quelle théorie à son sujet.

La tromperie du diable est grosse comme une maison. Ce discours si séduisant en apparence est totalement absurde : devenir complètement libre en s'inclinant jusqu'à terre, en s’agenouillant devant un tyran, c’est complètement contradictoire, c'est impossible ! En faisant cela on ne devient pas libre mais esclave !

Aujourd'hui, le discours dominant propose à tous une liberté sans limites. Mais qu'en est-il dans la réalité, dans la vie quotidienne ?

Quand les Eglises, avec d'autres, veulent garder un statut d'exception au travail du dimanche, on leur répond : l'ouverture généralisée des commerces la nuit et le dimanche, c'est inéluctable.

La charge de travail des soignants dans les soins à domicile devient toujours plus lourde. Il y a quelques mois, j'ai rencontré des personnes qui travaillent dans ce secteur, à Lausanne, avec Jean-Claude Huot, mon collègue catholique de la Pastorale oecuménique dans le monde du travail.

Ces personnes nous ont montré des pages entières de tableaux avec des minutages incroyables qui montrent que chaque geste, chaque soin, quand elles vont au domicile d'une personne âgée est chronométré de manière serrée et tatillonne. Et tout ce qu'elles font est contrôlé avec un appareil électronique.

Pour elles, il n'y a presque plus de temps pour parler avec la personne âgée, qui parfois n'a aucun autre contact humain de la journée voire même parfois de la semaine. Pour ces personnes, qui ont à coeur de bien faire leur travail, avec compétence, avec humanité, c'est une grande souffrance. Les situations d'épuisement et de burn-out sont nombreuses dans leurs métiers.
Et quand ces personnes protestent, on leur répond : on ne peut pas faire autrement, on est sous la pression des assurances maladies. Et tant pis pour les personnes âgées qui ont besoin de leurs services.

Là aussi, certains vous diront très vite que tout cela est " inéluctable ".

Mais où est la liberté là-dedans ? Et où sont nos valeurs fondamentales ?

Nous sommes noyés dans des torrents de propagande idéologique qui nous font perdre nos repères.

Cette question de repères est au centre du récit de la tentation.

Au premier abord, on a un peu l'impression que Jésus et le diable jouent au ping-pong avec des versets bibliques : tu veux me coincer avec ce verset ? Eh bien moi, je t'en sers un autre !

Mais il ne s'agit pas du tout de cela. Il s'agit en fait d'une confrontation entre deux manières opposées de lire la Bible :
- une lecture " à la lettre ", du moins présentée comme telle, où la Bible est utilisée comme d'une arme pour gagner du pouvoir sur l'autre. C'est la manière de lire du diable.
- une lecture qui cherche le sens profond du texte, ce qu'il y a derrière les mots, dans un esprit d'humilité et de service et non de pouvoir. C'est la manière de lire de Jésus.

Pour le diable, c'est bien de pouvoir qu'il s'agit, et en particulier du sien.

Dans notre récit, celui qui est libre, c’est Jésus. Et il nous invite nous aussi à vivre cette vraie liberté. Contrairement à ce que prétend l’idéologie dominante, on ne peut pas être libre tout seul, à la force du poignet. C'est une illusion. Pour être libre, il faut pouvoir s’appuyer sur un fondement solide.
C’est ce que nous disait le docteur Davor Komplita, psychiatre spécialiste de la souffrance psychique au travail, au Forum oecuménique romand du Monde du Travail où nous l'avions invité.

Pour résister à l’inhumanité grandissante dans le monde du travail, il est nécessaire de s’appuyer sur des ressources spirituelles. Pour nous, cette ressource fondamentale, c’est le Christ.

Certains la trouvent dans d'autres traditions, ce qu'il faut respecter. Comme l'enseigne Jésus, l'Esprit Saint souffle où il veut. Il n'a pas besoin de notre autorisation pour souffler chez les autres. Mais chaque être humain a besoin d'un fondement spirituel.

Ainsi, les personnes qui ont survécu aux camps de concentration pendant la Deuxième Guerre mondiale se sont le plus souvent appuyées sur un tel fondement. Pour certaines, c’était leur foi en Dieu, pour d'autres le communisme, pour d'autres une philosophie humaniste.

Pour nous, notre fondement, nous le trouvons dans le Christ. Dans notre monde où la violence se répand, où la nature est saccagée, où les discours de propagandes prolifèrent, le Christ nous offre son amour inconditionnel pour sortir de nos illusions, nous libérer et grandir.

Notre récit se termine par une mention très importante :
Ayant alors épuisé toute tentation possible, le diable s’écarta de lui jusqu’au moment fixé.

" Toute tentation possible " : voilà qui montre que la notion de tentation n'a rien à voir avec les peccadilles telles qu'une grosse envie de chocolat, de camembert, comme on le voit dans des publicités. C'est quelque chose de beaucoup plus fondamental qui est représenté par les trois tentations de Jésus.

Par son attitude et son message, Jésus nous invite à vivre une véritable liberté et à une vie nouvelle.

Comme on le verra à Pâques, cette vie nouvelle n'élimine ni la souffrance ni la mort mais elle les dépasse, ce qui est tout autre chose.

Amen.

S'incliner jusqu'à terre tout en revendiquant une liberté sans limites: cette contradiction est au coeur de l'idéologie dominante actuelle. Mais bien des personnes, notamment celles qui sont fragilisées dans leur santé ou leur travail, peuvent mesurer le côté illusoire de cette propagande. Dans le "récit de la tentation", Jésus montre une vraie liberté en refusant de s'incliner devant un faux dieu, pourtant redoutable.

Détails

Avec la participation de
Madiana Roy
Orgue
Anne-Claude Burnand-Mauri
Musique
Florence de Saussure, violon