La loi du plus fort? À donner: pardon (état neuf, jamais utilisé)

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Écouter le culte :

Premier niveau : appel à la cohérence (Matt. 18, 21-33)

Nicolas Merminod

À un premier niveau, nous pouvons nous réjouir de cette belle parabole. Sitôt que nous prenons la cohérence comme clé de lecture, le texte paraît lumineux : Jésus met en avant la nécessité de pardonner puis nous incite à faire de même. Puisque Dieu nous pardonne, nous sommes appelés à pardonner à notre tour.

La Bible nous présente toujours un Dieu qui prend l’initiative de la relation, de l’amour. La parabole reprend cette image de manière très parlante. En effet, la dette du premier serviteur est telle que même en travaillant toute une vie et en rendant l’entier de son salaire à son maître, il n’aurait strictement aucune chance de le rembourser. Parce que le maître sait cette impossibilité, parce qu’il se soucie de son serviteur, il choisit de lui remettre sa dette. Ce pardon est vraiment à recevoir comme un don et non à considérer comme un dû.

Puis survient le second serviteur. La scène de supplication se répète (parallèle des versets 26 et 29), mais contrairement au maître, le premier serviteur se montre impitoyable ! Toutefois, la dette est ici moindre puisque la dette correspond à une centaine de jours de salaire pour un ouvrir agricole. Autrement dit, la dette du second serviteur est remboursable, contrairement à celle du premier. Cela rend l’attitude du serviteur d’autant plus scandaleuse : il a reçu un pardon sans mesure et refuse de donner un pardon mesuré ! Au moment où il devient créancier, il oublie qu’il est lui-même débiteur.

Par cette parabole, Jésus nous dit que le don que nous fait Dieu dépasse toujours le pardon que nous donnons entre humains. Puisque nous avons tellement reçu de Dieu, alors nous pouvons bien donner à notre tour. Nous avons presque l’habitude de présenter le pardon comme un exploit : « J’ai finalement réussi à pardonner ! » Quand nous disons ce genre de paroles, nous nous mettons dans le rôle de la victime et oublions que nous vivons nous-mêmes sous le régime de la grâce. Nous avons reçu la vie sans l’avoir demandée, nous avons reçu l’affection qui nous a permis de grandir, et pour chacun de nous, nous avons reçu le pardon à différentes occasions, si bien que nous n’avons pas eu à supporter les conséquences de certaines erreurs ou maladresses. Au moment de donner le pardon, nous devons nous rappeler que nous avons commencé par le recevoir, à une mesure telle que nous ne pourrons jamais le rendre !

Le premier serviteur se révèle égoïste ; après avoir reçu le pardon, il refuse de le donner à son tour. Et nous, que faisons-nous de ce que nous avons reçu ? En fait, la question est peut-être plutôt de savoir ce que nous avons reçu…

Dans une famille, des frères et sœurs reçoivent généralement la même éducation, mais chacun l’investit différemment. L’un affirmera qu’il a reçu telle chose de ses parents alors que la sœur ou le frère dira qu’elle ou il a reçu telle autre chose ! Et chacun cultivera cela, surtout s’il considère que c’est une ressource qui l’aide à avancer.

Dans ce que nous recevons, il y a certes l’éducation, mais de manière plus large, il y a aussi la culture de la société dans laquelle nous grandissons, comme le rythme annuel avec ses mois surchargés et ses mois calmes, ses périodes de fêtes et ses valeurs. Les fêtes sont d’ailleurs justement une occasion ponctuelle où ce vivre-ensemble se cristallise, est mis en évidence. Dès lors, la question qui se pose à nous notamment à l’occasion d’une Abbaye est de savoir ce que nous voulons cultiver ensemble, comment contribuer à construire une société dans laquelle nous voulons vivre. Une telle société est impossible sans le pardon et le droit à l’erreur. Ou du moins, je n’aurais aucune énergie à investir dans une société qui voudrait faire sans cela. Comme croyant, je me dis que ça tombe bien : Jésus ne voudrait pas cela non plus.

Amen.

 

Deuxième niveau : l’absence de pardon (Matt. 18, 34-35)

Bertrand Quartier

Sans ces deux versets, cette parabole serait plus facile : nous pourrions en rester à l’appel à la cohérence qui paraît évident. Le problème, c’est que Jésus termine avec ces deux versets, en présentant un Dieu finalement en colère, menaçant, avec lequel nous sommes moins à l’aise. Nous découvrons que nous risquons de fâcher Dieu, qu’il risque de nous punir… Pour ma part, je n’ai pas envie de fâcher Dieu, je vais donc m’efforcer de pardonner.

Mais en fait qu’est-ce qui énerve tellement Dieu ? En suivant la logique de ce texte, c’est de vouloir recevoir, et refuser de redonner. Pour reprendre un verset de dimanche passé, c’est de vouloir garder les autres enchaînés, alors que nous avons nous-mêmes été liés (Matt. 18,18). C’est de recevoir la vie et le pardon, et refuser de les redonner plus loin.

Notre logique habituelle est ici bouleversée : c’est n’est pas un exploit de pardonner –  c’est juste normal ! A l’opposé, c’est l’absence de pardon qui relève du scandale et n’a rien de normal, puisque cela rend la vie en société impossible. D’un côté, ce renversement nous choque. De l’autre côté, nous ne voulons pas fâcher Dieu…

Pour comprendre Jésus, il nous faut alors explorer les conséquences d’une absence de pardon. Sans pardon, la vie en société, en communauté, en couple, en famille, serait simplement impossible ! Nous sommes tous et toutes redevables envers d’autres personnes… et d’autres personnes sont redevables envers nous.

Alors quand nous voulons faire valoir nos droits au remboursement, nous cassons la dynamique du don, pour essayer d’en tirer un bénéfice propre. Chacun-e fait valoir ses droits afin de récupérer jusqu’au dernier centime… et chacun-e se retrouve donc à devoir rembourser ses propres dettes jusqu’au dernier centime. Sur ce modèle, c’est certain que la vie en société est difficile ! La réalité est que c’est justement le pardon – et peut-être une part d’oubli – qui rend le vivre-ensemble possible.

Pour préciser mon propos, cela ne signifie pas que « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil » ou qu’il faudrait subir toutes les offenses sans nous défendre, non! Le point fondamental que Jésus nous rappelle, c'est qu’avant tout, d’abord, nous avons reçu. Ayant ainsi reçu ce qui nous est nécessaire pour vivre, nous pouvons contribuer à ce que les autres l’aient aussi, ne serait-ce qu’en évitant, à l’inverse du premier serviteur, de toujours les renvoyer à leur dette envers nous, en évitant de les y enchaîner.

Bon, mais est-ce que nous pouvons fâcher Dieu ? Est-ce qu’il risque vraiment de se mettre en colère ? Nous pouvons répondre à partir de notre foi, mais une chose est certaine : en prenant cette colère littéralement, en admettant que cette colère est juste, saine, et en donnant le pardon à notre tour, nous réalisons le projet de Dieu pour nous.

Comment pouvons-nous entrer ainsi dans cette logique du don ? Simplement en nous rappelant qu’avant de donner nous-même quoi que ce soit, c’est « par don » que nous avons reçu. Nous avons même beaucoup reçu, ce qui nous invite à beaucoup donner.

Amen.

Les abbayes sont les sociétés de tir des villages du canton de Vaud. Une tradition bien ancrée de défense de la communauté qui s’est transformée au fil des années en transmission de valeurs entre génération. Dieu aime nous voir transmettre des valeurs, c’est sûr! Mais quelles sont-elles?

S’il en est une qui lui tient particulièrement à cœur, c’est celle du pardon. Jésus le rappelle à ses disciples par cette nouvelle parabole, violente au premier abord, mais ô combien porteuse de vie. Découvrons-la ensemble lors de ce culte de l’Abbaye de Mézières.

Détails

Célébration
Avec la participation de
Bertrand Quartier, pour la prédication et la liturgie, Anne-Lise Hermann pour les lectures.
Orgue
Jean-Paul Cavin
Musique