Vivre les yeux ouverts !

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Écouter le culte :

Il est bon de temps en temps, de fermer les yeux. Au soir d’une longue journée, bien sûr, quand vient enfin le repos, mais aussi après le repas de midi, si le nous pouvons. Il est bon de fermer les yeux pour la méditation ou la prière, pour mieux nous concentrer.
Il est bon surtout de fermer les yeux pour goûter ce qui nous est donné : nous nous privons alors d’un de nos sens, la vue, pour favoriser un autre sens, l’ouïe, ou le goût, ou le toucher. Nous fermons les yeux avec bonheur pour écouter Bach ou Mozart, pour déguster un bon plat, une gorgée de vin. Nous fermons aussi les yeux pour mieux embrasser et aimer. Oui, il est bon, parfois, de fermer nos yeux – pour notre bonheur.

Mais il y a d’autres moments où « fermer les yeux » signifie se couper de la réalité, ne pas vouloir regarder ce qui nous blesse trop. Aujourd’hui, ce sont les médias qui nous livrent la détresse du monde, alors quand il y en a trop, il suffit de zapper, de changer de chaîne de télévision (ou de radio !) pour ne plus voir, ne plus entendre la souffrance des autres. Nous fermons alors les yeux sur ces milliers de migrants qui traversent la Méditerranée pour être parqués dans des camps indignes de l’humanité. Nous fermons les yeux sur le racisme, le sexisme, l’homophobie ordinaires. Nous fermons les yeux sur ce qui nous dérange, ou ce sur quoi nous pensons ne pas avoir de prise.
Si nous ne fermons pas les yeux physiquement, nous détournons ainsi notre regard de ce qui nous gêne ou nous insupporte.

L’évangile de ce dimanche raconte justement une histoire d’yeux fermés ou ouverts, en commençant par le récit de la guérison d’un aveugle de naissance. Et l’évangéliste nous donne une description inhabituelle du geste qui guérit : Jésus crache, fait de la boue, l’applique sur les yeux de l’aveugle et l’envoie se laver. « L’aveugle y alla, se lava et à son retour, il voyait ». La guérison est inespérée - donc miraculeuse, signe de la puissance de Dieu dans la parole du Christ.

Mais la guérison de cet homme n’est que le point de départ de ce que l’évangéliste veut nous dire ici, du message qu’il transmet. Jésus dit « Je suis la lumière du monde », et la guérison de l’aveugle est en quelque sorte l’illustration de cette parole de Jésus. Jésus est lumière et il donne la lumière à celui qui est, depuis toujours, dans l’obscurité de sa cécité, privé de lumière.

Mais qu’est-ce que cela veut dire, au-delà du récit quelque peu anecdotique de la guérison d’un homme il y a quelques deux millénaires ?

La clef me semble être dans la conclusion, quand Jésus dit « Je suis venu pour qu’un jugement ait lieu, pour que les aveugles voient et que ceux qui voient deviennent aveugles ». Jésus rendrait-il aveugle ? Bien sûr que non ! Ce n’est donc pas dans le sens premier de la cécité que nous allons devoir chercher le sens du texte, mais dans la métaphore des yeux ouverts ou fermés sur la Bonne Nouvelle.

Ceux qui voient, dans l’évangile selon Jean, ce sont ceux qui ont reconnu la personne du Christ comme étant l’envoyé de Dieu, le Messie. Voir la lumière, c’est sortir des ténèbres du péché et de l’ignorance pour accepter le don de Dieu et la vie en Christ.
Voir, c’est aussi comprendre, comme quand on dit « Vous voyez ce que je veux dire ?», cela signifie « vous comprenez mon propos ».
Ainsi, ceux qui voient - et dont parle Jésus, ce sont les chrétiens qui ont compris qui est Jésus, qui l’ont entendu et accepté la Bonne Nouvelle. Ceux qui ont vu, ce sont les chrétiens qui ont reçu la lumière – opposés à ceux qui ne l’ont pas reçue.

Alors, ceux qui voient, que voient-ils ? Qu’ont-ils donc compris ?

L’Evangile est ici un retournement du raisonnement habituel. Il y a d’abord la question des disciples face à la cécité de l’aveugle de naissance « Qui a péché, lui ou ses parents ? ». Et puis les questions posées par les pharisiens : « Qui a péché ? », « Comment un pécheur peut-il être guéri ? » « Comment un pécheur, en parlant de Jésus, pourrait-il guérir ? » Tout le raisonnement tourne autour de la notion de cause et d’effet, d’une faute et de la rétribution. Autrement dit, s’il y a maladie ou malheur, c’est que la personne l’a bien cherché. C’est que quelqu’un, « là-haut » entre guillemets, punirait une faute.
Les spécialistes de la Bible nous disent que c’est comme ça qu’on expliquait la maladie au temps de Jésus, comme étant un châtiment divin pour une faute commise.

On oserait penser que ce raisonnement soit désuet. Mais pas du tout ! Aujourd’hui encore, cette pensée reste profondément ancrée, et sournoise, face à la souffrance : quand un malade dit à son pasteur: « Qu’ai-je fait au Bon Dieu pour mériter cela ? », ou « je n’ai pas mérité ce qui m’arrive », il perpétue l’idée que la maladie serait envoyée par une force supérieure, « divine », pour punir un manquement. Le « Bon Dieu » serait ainsi tel un comptable, dans une logique de dette, de faute, et de paiement et de punition.

En refusant de répondre à la question des disciples sur le péché, Jésus va remettre la personne humaine au centre du débat, l’humain et sa relation à Dieu. La maladie est inhérente à la fragilité humaine et n’est pas un châtiment. Dieu n’est pas pour nous un comptable, mais un Père qui nous aime.
Jésus renverse ainsi les raisonnements des pharisiens et hommes de loi, pour ne parler que de lumière, de miséricorde et de vie en plénitude.

L’aveugle guéri n’était pas plus pécheur qu’un autre… il était, tout simplement, comme tout être humain, dans la nuit de l’ignorance - et Jésus lui a offert la lumière.
Il l’a ainsi rendu capable de voir, et de comprendre le don de Dieu, et de dire, libre, debout : « je crois, Seigneur », de devenir un homme de foi.

Et ce renversement des valeurs, des logiques de cause à effet, c’est ce qu’en Eglise nous appelons la grâce. L’aveugle n’avait rien demandé, mais il a tout reçu. Il était dans les ténèbres et la lumière lui a été donnée. Et avec la lumière, une nouvelle vie – les yeux ouverts.

Il représente ainsi notre humanité, plongée dans les ténèbres et qui aspire à la lumière et à la vie. Nous sommes ces aveugles de naissance, c’est nous que Christ est venu guérir. C’est à nous qu’est donnée la lumière.
Et l’évangile nous dit justement que ce n’est pas quelque chose que nous aurions mérité, mais que la vie, cette lumière nous sont données, gratuitement, par amour.
La relation de Dieu à notre humanité n’est pas une relation comptable, où Dieu dirait : « Je te donne selon ton mérite » ou « je te punis selon ta faute », mais une relation d’amour, comme celle d’un parent pour ses enfants. Dieu a tant aimé ce monde qu’il a donné son Fils, comme Lumière, pour que nous, qui croyons en lui, ayons la vie en abondance.

Renversement des logiques et amour inconditionnel de Dieu pour nous : voilà la Bonne Nouvelle que nous sommes invités à comprendre.
Vous voyez ce que nous dit l’Evangile ? Nous sommes des filles et des fils du Père, les yeux ouverts sur sa lumière et confiants en sa grâce ! Vous voyez ?

Pour terminer notre méditation, j’aimerais vous raconter une histoire que j’emprunte au pasteur Antoine Nouis. Je la trouve… lumineuse !

Imaginez que vous conduisez une voiture un jour d’hiver sur une route de forêt. La visibilité est bonne, tout va bien. Mais soudain, en sortant de la pénombre du sous-bois, le soleil vient frapper votre pare-brise et vous voyez qu’il est sale. En fait, vous ne voyez plus que sa saleté qui vous empêche de voir la route. Le réflexe est alors de donner un pschitt de lave-glace pour continuer la route.

Cette histoire est à l’image de nos vies. Nous pouvons très bien nous passer de la Parole de Dieu, ça roule très bien. Mais quand cette Parole nous rejoint, comme la lumière sur le pare-brise, nous découvrons la vérité de notre existence, ses ombres et ses imperfections. C’est la lumière de l’Evangile qui nous révèle à nous-mêmes, qui nous révèle que nous n’y voyons pas grand-chose. Une fois que la Lumière de Dieu nous a rejoints, nous ne pouvons plus continuer comme avant, comme si elle n’existait pas. Nous sommes comme guéris de notre cécité, et nous voyons notre route sous sa Lumière nouvelle, dans une direction nouvelle.

Jésus nous dit « Je suis la lumière du monde ». Que nos vies soient lumineuses, éclairées par la Parole de Dieu. Que nous soyons de celles et ceux qui disent, le cœur et les yeux ouverts : « je crois, Seigneur ».

Amen.

Jésus affirme « Je suis la lumière du monde » et le récit de la guérison d’un aveugle de naissance vient illustrer cette parole. Mais au-delà de cette guérison singulière, la parole du Christ concerne toute personne qui cherche la vérité. Elle est Bonne-Nouvelle qui vient illuminer nos vies, nous révéler à nous-mêmes et dissiper nos obscurités. Saurons-nous être porteurs de lumière à la suite du Christ ?
Culte dans la tradition réformée centré autour de la prédication et soutenu par la musique de l’orgue. L’épisode de la guérison d’un aveugle en Jean 9 est le reflet de la grâce qui vient à la rencontre de tout humain.

Détails

Avec la participation de
Antoine Leuenberger
Orgue
Philippe Laubscher
Musique