Quand une présence illumine les visages

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Un visage qui s’illumine sous l’effet d’un sourire, d’une parole aimable, d’un regard plein d’amour, d’une bonne nouvelle annoncée. Lorsque nous les recevons ou lorsque nous en sommes simplement témoins, ces éclats de lumière transforment notre quotidien. Ils arrivent parfois à point nommé pour nous arracher à des soucis pesants, à de sombres pensées. Ils sont des signes d’encouragement, des rappels de la beauté de la vie, d’une joie qu’il est possible de partager.

Je suis sûr que des souvenirs précis de telles lumières remontent en vous et sont présents maintenant à votre esprit. Gardez-les, car ils font du bien et, en plus, ils vont nous aider à saisir la portée de l’événement mystérieux vécu par Jésus sur une montagne, relaté dans le récit de l’évangile de Luc que nous venons d’entendre.

Au départ, c’est une initiative de Jésus. Comme il le fait quelquefois, il s’arrache à toute son activité auprès de son peuple en Galilée pour aller prier à l’écart. Cette fois-ci, il prend avec lui trois disciples : Pierre, Jean et Jacques. Ils gravissent une montagne, que la tradition identifiera plus tard avec le Mont Thabor, au sud de la Galilée. Là, ces trois témoins voient Jésus en prière être tout à coup illuminé de lumière : « son visage changea et son vêtement devint d’une blancheur éclatante » (Luc 9, 29). L’évangile de Matthieu précise ici : « il fut transfiguré et son visage resplendit comme le soleil » (Mt 17,2). C’est la présence de Dieu qui opère cela en lui, comme l’affirme la voix qui retentit ensuite au sein de la nuée : « Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai élu. Ecoutez-le ! ». L’évangéliste résume ainsi l’événement : « ils virent la gloire de Jésus » ; ce qui veut dire : ils le virent enveloppé par la présence lumineuse de Dieu.
Evénement mystérieux, à la limite de l’indicible. Il est bien sûr impossible de prétendre l’expliquer, et encore moins reconstituer ce qui se serait passé à l’origine. Il est plus utile de recueillir les indications de sens données par les évangiles.

La vision de Jésus transfiguré est impressionnante – les disciples en sont bouleversés et tombent dans une sorte de torpeur. Mais cela ne dure pas. Cette vision n’est cependant pas écrasante ni terrifiante. Quand il révèle sa gloire de Fils de Dieu, Jésus n’en fait pas une démonstration de puissance dominatrice. Celui qui se révèle ainsi est bien le même Jésus qui a vaincu la tentation de la toute-puissance et des démonstrations de force.

Il n’est d’ailleurs pas seul. Il est rejoint par Moïse et par Elie, deux grands serviteurs de Dieu et prophètes de la première alliance. Tous deux ont vécu aussi une expérience forte avec Dieu sur la montagne. Moïse a reçu au Mont Sinaï les Dix Paroles, les Dix Commandements, qui orientent vers le respect de Dieu et le respect du prochain ; incitations à préserver la vie. Il en a été illuminé et son visage en était demeuré tout rayonnant lorsqu’il se présenta à son peuple (Exode 34,29-32).
Elie était parti se réfugier au désert, et il fit sur la montagne de Dieu une découverte bouleversante. Dieu n’était pas dans la tempête, ni dans un tremblement de terre, ni dans le feu, mais dans le bruissement d’un souffle ténu, rencontre intime avec le Vivant, appel à l’écoute (1 Rois 19).

Nous avons là une orientation précieuse sur notre chemin de vie : lorsque nous nous tournons vers le Dieu de Jésus-Christ, nous n’avons pas à craindre d’être face à une présence écrasante. Nous rencontrons celui qui nous communique la lumière de sa parole de vie et qui respecte notre fragilité et notre dignité de créatures. Reconnaître son autorité ne nous fait perdre en rien notre personnalité et notre capacité à faire des choix.

Pierre ne s’y est pas trompé. Malgré le mystère qui les enveloppait, il a perçu ce temps à part sur la montagne avec Jésus comme un moment de grâce, qu’il a voulu prolonger, et il a proposé : « Il est bon que nous soyons ici ; dressons trois tentes : une pour toi, une pour Moïse et une pour Elie. » Et l’évangéliste ajoute ici : « Il ne savait pas ce qu’il disait » (Luc 9,33).

Non ce n’était pas le moment de s’installer. Le chemin de Jésus devait se poursuivre et s’orienter vers Jérusalem, où comme le disaient Moïse et Elie, devait s’accomplir son départ. Son départ ? Pas un départ vers la gloire, pas comme celui d’Elie, monté tout droit au ciel sur un char de feu ! Non, le départ de ce monde, celui de l’homme terrassé par le rejet, l’injustice et la souffrance. Celui du fils de l’homme descendu au plus profond de la détresse, manifestant qu’il n’y a pas de situation ou d’épreuve où il ne pourrait pas se tenir à nos côtés. Tel fut le départ de Jésus. C’est ce que nous rappelons dans le temps de la passion où nous sommes engagés maintenant.

Mais alors, ce passage dans la lumière de Dieu lors de la transfiguration sur la montagne, ce n’était qu’une illusion ? Une illusion qui n’a rien changé pour Jésus et qui ne changera rien pour nous ?
Ce temps particulier a eu valeur de signe d’encouragement sur un chemin difficile. Il a pris le relais du temps fort du baptême de Jésus au Jourdain, où il reçut l’Esprit Saint et cette proclamation divine : « Tu es mon Fils bien-aimé » (Mc 1,11). Il fut un soutien important au moment où Jésus allait prendre la route de Jérusalem.

Pour les disciples aussi, cette vision de Jésus resplendissant de la lumière de Dieu a été une impulsion de foi et d’espérance, bien fragile encore, d’où le silence qu’ils gardèrent sur cet événement à nul autre pareil. Sa signification ne sera révélée pleinement qu’à la lumière de la victoire de Pâques, dans la vision du Christ ressuscité et dans la communion nouvelle offerte avec lui par le Saint-Esprit à Pentecôte.
Ainsi, la lumière de la transfiguration, Jésus ne l’a pas gardée pour lui seul. Il devait la transmettre à ses apôtres et à tous ceux qui allaient accueillir la Bonne Nouvelle qu’ils proclameraient. Paul affirme ainsi, dans sa seconde lettre aux Corinthiens : « Nous tous qui, le visage dévoilé, reflétons la gloire du Seigneur, nous sommes transfigurés en cette même image, avec une gloire toujours plus grande par le Seigneur, qui est Esprit » ; et plus loin : « Le Dieu qui a dit : Que la lumière brille au milieu des ténèbres, c’est lui-même qui a brillé dans nos cœurs, pour faire resplendir la connaissance de sa gloire qui rayonne sur le visage du Christ » (2 Co 3,18 et 4,6).
L’apôtre est convaincu que la lumière du Père et du Fils se transmet jusqu’à nous. C’est pourquoi il peut nous exhorter ainsi : « Maintenant, vous êtes lumière dans le Seigneur, vivez en enfants de lumière ! (Eph 5,8).

Considérons le récit mystérieux de la transfiguration de Jésus au sommet de la montagne, survenu au moment où il achève son ministère en Galilée et va prendre la route de Jérusalem, cette route qui va le conduire à sa mort sur la croix. Il nous rappelle que la présence lumineuse et vivifiante de Dieu surgit en plein milieu de notre chemin, même s’il est rocailleux et escarpé. Elle n’est pas réservée à l’ultime étape. Déjà elle nous rejoint en route, là où nous sommes, chaque fois que nous accueillons la parole de l’Evangile qui éclaire notre marche et nous permet d’orienter nos choix de vie ; chaque fois que nous laissons l’amour donné en Jésus-Christ nous toucher et nous transformer.
Et là, il y a un plus : dans la mesure où nous sommes rejoints et transfigurés par cette lumière porteuse de vie et d’amour, alors notre rayonnement pourra en toucher d’autres. Cela se produira peut-être même à notre insu, mais jamais sans effet.

Cette semaine, lors d’une visite à une famille pour préparer un baptême, j’ai été touché par un de ces rayons de lumière bienfaisant. Lorsque, à un petit bonjour de la main que je lui faisais, le petit Alex, huit mois, bien calé dans les bras de sa maman, me répondit par un large sourire et un regard tout joyeux. Situation très ordinaire, dira-t-on. Mais pas tant que cela. Car j’étais jusqu’alors un visage inconnu pour lui. Mais pas de méfiance, aucune crainte de sa part. L’accueil, et la joie de répondre spontanément, sans que personne ne lui ait rien demandé. Le sourire de Dieu à la vie !

Plus tard, je me suis demandé pourquoi ce regard si lumineux qu’un tout petit peut porter sur son entourage va souvent se raréfier en grandissant. Pourquoi risque-t-il si facilement d’être limité, brouillé, conditionné ou même complètement bloqué ? On répondra que l’apprentissage de la vie n’est pas toujours facile ; il y a la découverte que la bienveillance n’est pas universelle. On évoquera aussi les influences, les préjugés, les interdits du monde extérieur.
Mais il n’y a aucune fatalité dans tout cela ! Et c’est un important défi à relever, un véritable combat spirituel à mener, pour préserver, tout au long d’une vie, l’accueil de la lumière reçue de Dieu, et l’ouverture à l’amour du Christ pour tous ses frères et sœurs, tous enfants du même Père.

Osons résister à tout ce qui dénature et contrarie ces forces vives, ce sens de la communion avec nos semblables et avec la création de Dieu. Il nous est donné de vivre dans un monde aux mille couleurs, refusons de régresser dans une vision en noir et blanc, marquée par les discriminations basées sur l’apparence, le statut social ou l’origine ethnique !

Oui, nous pouvons être transformés par la lumière et l’amour qui unissent le Père et le Fils. Déjà maintenant nous pouvons les refléter dans un regard bienveillant, dans une parole d’encouragement, qui raniment le regard de notre vis-à-vis. Dans un geste d’accueil, dans une affirmation de vérité, dans une démarche d’apaisement et de réconciliation… dans toute situation où nous nous laissons éclairer par Celui qui est venu à nous pour être la lumière du monde et faire de nous des « enfants de lumière ».

Amen.

Un visage qui s’illumine sous l’effet d’un sourire, d’une bonne nouvelle, d’un regard plein d’amour. Ces éclats de lumière transforment notre quotidien. Par eux, nous saisissons le sens profond de l’événement mystérieux vécu par Jésus sur la montagne: son visage transfiguré par la présence du Père, signe d’une vie nouvelle qu’il veut nous faire découvrir.

Détails

Avec la participation de
France Cardinaux
Orgue
Anne-Claude Burnand
Musique
Marie-Claire Bettens, viole de gambe, Josquin Piguet, cornet à bouquin