En Valais, le ciel, on apprend à le lire sur les alpages, dans les mayens

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Écouter le culte :

À Saxon, deuxième lieu de culte de la paroisse du Coude du Rhône, à l’heure du culte et de la messe, les deux églises sont en dialogue. Les cloches de la grande église catholique se mettent en branle, puis se taisent et laissent la place à la modeste cloche de la petite et centenaire chapelle protestante, et nous qui la connaissons savons bien ce que les anciens lui ont fait dire en gravant sur ses flancs: « Montons ensemble sur la montagne du Seigneur… »

Monter, s’élever, des verbes tout simples ; il est possible de monter des escaliers, monter en ascenseur, sur le balcon ou sur un mur, ici dans les vergers, sur les échelles. Mais il y a aussi le regard qui monte et s’élève, et depuis les mayens, nous avons tant l’impression que lever les yeux vers les montagnes ce n’est pas chercher le secours, c’est le trouver, il est là ! Il suffit de lever les yeux, il suffit de se mettre en route, de monter sur la montagne, de la vouloir de toutes nos forces, cette paix promise. Cette montée-là est possible partout, même juste dans son cœur, dans sa tête, depuis son lit ou son fauteuil ! Depuis le bonheur ou le chagrin ! Même dans l’épreuve de la maladie ou de l’approche de la mort.

Quelqu’un qui m’est cher me disait cet été : « Tu sais, quand je me trouve là-haut, sur un sentier perdu, sauvage, près des glaciers, dans la forêt, je ne me sens pas toute petite, je me sens grandie, capable de belles choses, je me sens forte et sans limites. »
Pas d’orgueil dans ces propos, mais cette superbe réalité : il est toujours possible de s’élever, de réussir, de se réaliser ! Ces glaciers que l’on chante sublimes et touchant aux cieux… Ce n’est pas uniquement l’aurore que nous allons chercher sur les plus hauts sommets, mais aussi cet incroyable sentiment que nous sommes capables, capables de tout, même d’aller plus haut, plus vrais, plus légers, capables non seulement de rêver à la grandeur de la vie, mais de faire réellement partie des projets et du pouvoir de notre Dieu.

Monter dans les mayens n’est pas toujours simple, elle est étroite la route, comme parfois la vie ! Elle est sinueuse, pas toujours en bon état. Impossible ou alors dangereux d’avancer vite, et puis, une obligation : rester vigilants, regarder au loin et surtout repérer les places d’évitement qui permettront de se croiser sans accrocs.
Quelqu’un a dit un jour, « ici c’est la route du bonheur, tout le monde se dit bonjour ». Ce petit signe de la main, ou parfois juste du doigt levé, quand on ne peut se permettre de lâcher le volant, juste un doigt, cela suffit, il se voit, n‘est pas uniquement une salutation, il est un merci, merci de m’avoir facilité la tâche, merci de m‘avoir laissé passer, de m’avoir rassuré, d’avoir pris conscience de ma présence ou simplement merci de m‘avoir reconnu !

Les mayens ce sont aussi les alpages, donc les troupeaux, les bergers qui guident non les brebis mais les belles noires et leurs impressionnantes sonnettes, ici on ne parle pas de cloches !
Nos pâturages dans les mayens sont particuliers. Habituellement, vous trouverez soit de la forêt, soit des prés, ici nous avons les deux en même temps. Superbes pâturages, de l’herbe, des fleurs, des champignons, des sentiers et aussi des arbres : pas n’importe lesquels, des mélèzes, qui ne font pas d’ombre, qui en donnent juste ce qu’il faut sans nuire à la précieuse verdure. Certains de ces mélèzes sont célèbres, comme ceux de Balavaux dans les mayens d’Isérables. D’incroyables témoins solitaires qui atteignent presque le millénaire, ceux-là sont trapus, tordus. D’autres s’éparpillent dans les prés, plus hauts, plus droits, tellement beaux dans le vent, quand on dirait qu’ils penchent leurs longues et douces branches les unes vers les autres, comme pour s’enlacer, pour montrer un exemple de tendresse, de sécurité. Soyons tels des mélèzes, à notre place, là où Dieu nous désire, simplement fidèles et à l’écoute, les bras tendus pour recevoir comme pour accueillir !

Le berger ne peut pas faire seul, il a besoin de ses collègues, de son chien. Sur les illustrations, il a un bâton, une houlette. Ici on n‘aime pas les bergers qui frappent, le bâton doit servir à guider ou à s’appuyer.
Les bergers - cette année à l’alpage du Col du Lein il y a même une bergère - n’ont plus seulement du pain sec et du fromage dans leur besace, ils ont des sacs à dos modernes, de la lecture, de la musique et un téléphone portable ! Mais leur tâche est la même : surveiller l’immense troupeau, le mener là où herbe est belle et le soleil pas trop chaud, observer et parfois séparer les bagarreuses, noter chaque jour les prouesses des lutteuses. Pas de rage, pas de colère ni de hargne dans ces combats, juste la force tranquille de l’entêtement de celle qui prend le commandement, qui marche devant, qui montre l’exemple, qui demande que les autres suivent !

Peut-être serez-vous étonnés d’apprendre que vers 5 heures du soir au col du Lein, vous trouverez toujours une foule de passionnés de tous âges, dont je fais partie, et qui « montent voir les vaches » , sous prétexte d’acheter du fromage !
Vous seriez étonnés aussi de voir ces énormes bêtes aux belles cornes, aux pattes courtes et solides, au poil noir, courir vers celui qu’elles connaissent. Pas le berger de l’alpage, non, leur maitre, celui qui les a confiées pour les mois d’été. Elles courent, les sonnettes se balancent, elles courent et alors vous verrez l’homme se laisser embrasser par sa bête, baisers mouillés, puissants, passionnés, elles ont reconnu sa voix, elles ne viennent pas uniquement chercher pain sec et sel, elles viennent se rassurer, elles ne sont pas abandonnées, les bergers ne sont pas des mercenaires, le loup est éloigné, le Maitre veille !

Vous seriez ahuris et émus de voir une vache qui file, prend des raccourcis et arrive à toute vitesse un virage plus bas, simplement pour voir encore une fois passer la jeep qui emporte celui qui est venu la visiter, celui qui reviendra, elle n’en doute pas !
Pouvez-vous imaginer la transhumance, faire passer le troupeau de la Basse à la Haute. Curieux langage, il signifie simplement changer d’endroit. C’est cela la vie des mayens, l’herbe n’est plus en quantité suffisante en bas, il faut aller ailleurs, plus haut !
Pour cela, comptez une journée de marche derrière le troupeau, sur des chemins forestiers. Les bêtes sont relativement obéissantes, mais parfois une indépendante décide de prendre des raccourcis, et quand elle sait qu’elle fait une variante, elle avance vite, alors seul le berger expérimenté est assez agile pour courir et la remettre sur le bon chemin. A la mi-journée, une halte pique-nique pour tout le monde, hommes et bêtes, du pain, du fromage, des saucisses, du vin pour les uns, de l’herbe verte et des fontaines pour les autres !
Quel calme, quelle grandeur dans cette Remointze, pâturage intermédiaire avant le but, et franchement on se demande comment les bergers vont s’y prendre pour remettre le troupeau en marche. Eh bien, rien de plus facile, il suffit qu’un seul se lève et donne de la voix, un mélange entre le cri et le chant, et c’est le miracle, les vaches lèvent la tête et tout naturellement se remettent en route. Elles ont compris, elles ont confiance, elles connaissent celui qui les appelle, elles savent qu’en le suivant, elles ont tout à gagner !

Prendre exemple sur les vaches, vous n’y aviez jamais pensé, mais en Valais, il y a des lois en dessus des lois ! Alors dans nos vies, essayons de l’écouter, la voix du berger, et de nous mettre en route sur un chemin, peut-être pas tout tracé, pas tout facile, mais le Bon, celui qui mène là où nous devons aller ! En toute confiance.
Imaginez aussi le petit veau, c’est sa première montée dans les pâturages, il est trop jeune normalement pour alper, mais il appartient au berger qui l’a confié à l’équipe, désir pris un peu en plaisantant jusqu’à l‘évidence. A mi-journée, il ne peut plus suivre, il est épuisé. Alors les forces des accompagnants s’unissent. Premièrement, pour l’encourager et ensuite, pour le faire monter dans le véhicule qui transporte le ravitaillement. C’est lourd un petit veau, ce n’est pas très propre, mais tout seul, il est bloqué, avec de l’aide, il pourra continuer. Nous aussi sommes parfois le petit veau trop fatigué ou ceux pleins de force et d’unité qui l’aident à reprendre courage, encore une fois, il ne faut juste pas oublier de nous mettre nous aussi, sous la houlette du Berger! Ensemble !

Imaginez encore ces malheureuses « blanches », des vaches bonnes laitières mais pas du tout faites pour marcher des heures. Les pauvres bêtes, elles non plus ne peuvent pas aller plus loin, elles sont couchées dans l’herbe et les bergers, malgré toute leur bonne volonté, caresses, mots doux dans les oreilles, ne réussissent pas à les remettre en chemin ! Une seule solution : les laisser tranquilles. Dans ces verts pâturages, elles retrouveront forces et courage. Ils ont raison, il fallait juste du temps, elles ont repris des forces et se sont remises d’elles-mêmes en chemin, elles sont arrivées à la Haute, des heures après les autres, pas graves, elles sont arrivées et elles étaient attendues, elles ont trouvé leurs places.

L’histoire du Bon berger a ravi notre enfance, mais elle a aussi retenu l’attention des premiers chrétiens déjà, nous la savons grâce à de nombreuses pierres précieuses gravées, datant du règne de Constantin (305-337) et retrouvées dans les catacombes, elle a été leur nourriture quotidienne, leur espérance dans les moments les plus durs, la plus solide de leur croyance… prenons la relève !
Le Christ est la porte de la bergerie, IL est là de son plein gré, IL veille et surveille, IL est la vie de nos vies. Nous le savons, mais surtout, nous devons le faire savoir, le transmettre, levons les yeux et montons ensemble sur la montagne du Seigneur, vers la paix et la CONFIANCE.

Amen.

Cultes radiodiffusés depuis l’église protestante de Martigny à l’occasion du 200e anniversaire de l’entrée du Valais dans la Confédération.« Personne ne naît sous une mauvaise étoile, il n’y a que des gens qui ne savent pas lire le ciel… » a écrit le Dalaï lama…
Le ciel, on apprend à le lire sur sur nos alpages, dans nos mayens, là où nous avons de la liberté à revendre ! Le Valais est généreux, il donne, il faut se mettre à l’écoute, loin des hommes et près de Dieu, dit la chanson
« Montons ensemble sur la montagne du Seigneur » et nous rencontrerons l’humanité !

Détails

Avec la participation de
Raymond Minger
Orgue
Marie-Marguerite Carron
Musique