Faire le boulot, puis s'effacer

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Écouter le culte :

Je ne peux m’empêcher, à chaque fois que la figure du baptiste se présente devant moi, de lui associer une chanson d’un des chanteurs français de ma jeunesse folle, Jean Patrick Capdevielle, qui, en août 1979, sortit un titre appelé « Quand t’es dans le désert » et dont le refrain disait « Quand t'es dans le désert depuis trop longtemps, tu t'demandes à qui ça sert toutes les règles un peu truquées du jeu qu'on veut te faire jouer, les yeux bandés ». Le caractère prophétique de ces paroles appelant à ouvrir enfin les yeux rejoignait pour moi les injonctions puissantes de la voix de celui qui crie dans le désert.

À l'époque de Jésus, la tradition juive s'attendait à ce que la venue du Messie soit précédée par le retour du prophète Élie, mystérieusement élevé au ciel dans un char de feu (2 Rois 2, 16). Le duo prophète/roi est une constante de l’histoire de tout Israël, le premier est toujours le rapporteur fidèle des paroles que Dieu veut faire entendre au roi, il oint le roi qui, lui, accomplit la volonté ainsi connue de Dieu plus ou moins fidèlement. Ce duo est à la base d’ailleurs de toute l’évolution de nos sociétés, dans sa version laïque et bien pensée de nos démocraties, il a donné le duo législatif/exécutif, ceux qui émettent et publient la loi et ceux qui l’exécutent.

L’apparition du baptiste précédant le messie situe donc bien la venue de Jésus comme l’accomplissement de ce qu’a toujours fait Dieu pour son peuple, le baptême que pratique le baptiste et que recevra le christ pouvant ainsi être considéré comme le moment de l’onction divine nécessaire pour que le roi accomplisse la volonté de Dieu. Les prophètes ont donc par essence une parole qui n’est pas conforme, ils sont la plupart du temps méprisés, rejetés, leur parole fait scandale ; ils n’annoncent pas des paroles qui font plaisir, leur personne même se révolte souvent contre ce qu’ils doivent annoncer, ils sont en quelque sorte comme les haut-parleurs de la parole divine à leur insu et à leur détriment, et le baptiste ne fera pas exception puisqu’il paiera ses paroles de sa vie.

Mais c’est là que s’arrête la comparaison avec tout ce qui a précédé, car la mission du baptiste diffère radicalement de celle des précédents prophètes : en effet, par le baptême d’eau il n’oint pas que le roi, mais tous ceux qui viennent à lui, répondant à son appel de changement radical de vie : « Tout le pays de Judée et tous les habitants de Jérusalem se rendaient auprès de lui ; ils se faisaient baptiser par lui dans le Jourdain en confessant leurs péchés. ». Il y a donc la constitution d’un peuple royal, d’un peuple oint ; le schéma n’est plus celui d’un peuple dirigé mais bien d’un peuple conduit, d’un peuple racheté, dont l’évidence se dira clairement dans la première épitre de Pierre: « Vous, au contraire, vous êtes une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple acquis, afin que vous annonciez les vertus de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière, vous qui autrefois n'étiez pas un peuple, et qui maintenant êtes le peuple de Dieu, vous qui n'aviez pas obtenu miséricorde, et qui maintenant avez obtenu miséricorde. »...

Bon, c’est un peu un vocabulaire théorique, mais ça veut dire quoi concrètement ? Eh bien que nous ne sommes plus un peuple gouverné mais un peuple sauvé, que l’Église ne fonctionne plus comme un peuple de benêts qui s’escrimeraient tant bien que mal à essayer d’appliquer les ordres d’un roi, mais bien que ce roi a fait de nous des rois ; en venant partager notre condition, il partage la sienne, sa condition divine avec nous aussi. Il a fondamentalement transformé notre vie, notre foi n’est plus de l’ordre de l’obéissance, mais de la similitude… comme lui… des cœurs de chair et non plus des cœurs de pierre, la véritable loi est infusée dans nos êtres et non plus écrite sur des tables de pierre. Oui, la foi chrétienne, celle que nous voulons partager et non imposer, n’a rien à voir avec le modèle gourou qui sait et disciples qui applaudissent. La foi chrétienne, c’est le partage de la condition divine du Christ. Un peuple de rois, c’est tellement plus audacieux qu’une république !!!

Et le baptiste est un remarquable préparateur de cette nouvelle qui jaillira dans l’Évangile : son régime de sauterelles, son habit de poils de chameau, ce prophète du désert fait table rase, il sait qu’il ne prépare pas une petite nation à accepter une nouvelle loi meilleure que la précédente, portée par un roi meilleur que tous les autres, mais bien qu’il participe au changement radical du véritable messie qui vient et qui lui-même ne voudra jamais être confondu avec un roi de plus.

« Celui qui est plus fort que moi vient après moi, et je ne suis pas digne, en me courbant, de délier la lanière de ses sandales. Moi, je vous ai baptisés d’eau, mais lui vous baptisera d’Esprit Saint. » Cette annonce, c’est bien celle de la venue non pas d’un roi de plus, mais bien de quelqu’un de tellement plus important ; sa comparaison entre lui, le précurseur, et cet autre qui arrive témoigne qu’il n’y a pas de mots pour exprimer sa grandeur. Le baptiste parle du fait qu’il n’est même pas digne de délier la lanière de ses chaussures. Il aurait pu dire qu’il n’est même pas digne de contempler son ombre ; ce qu’il veut dire c’est que ce n’est pas seulement un roi qui vient, c’est vraiment le Messie.

D’ailleurs, le rôle du baptiste, c’est de dire, de parler, d’être une voix, de provoquer le changement, de transformer le terrain, mais il ne deviendra pas le premier des disciples, ce qui aurait tellement pu être le cas. Les deux se connaissent depuis le ventre de leurs mères respectives, sitôt après l’onction, après le baptême de Jésus, non il ne va pas suivre celui dont il annonçait la venue, il va continuer parallèlement son travail de précurseur jusqu’à connaitre le martyr en maintenant toute la vérité de son discours, même face à Hérode. Son baptême n’est qu’un baptême d’eau par immersion, il n’accomplit qu’une part infime du vrai baptême d’esprit donné par le Christ. C’est d’ailleurs curieux qu’il serve de modèle vertueux à certains chrétiens aujourd’hui pour affirmer qu’il est le seul vrai baptême, alors qu’il n’est qu’un demi-baptême dans sa bouche même. C’est le rôle de tous les précurseurs...

Nous annonçons tous la venue parfaite de Dieu sous le terme englobant de « Royaume ». L’Église que nous connaissons aujourd’hui est le fruit de la génération qui nous a précédés ; nous-mêmes, nous sommes responsables de ce que sera l’Église de nos enfants, et c’est donc de la qualité et de la vérité de ce que nous disons et vivons aujourd’hui du Christ que nos enfants connaîtront ou pas le bonheur de vivre leur foi. Notre responsabilité n’est donc pas de faire perdurer des formes ou des institutions, des manières de faire, des morales, comme si elles étaient déjà le Royaume annoncé, mais bien d’annoncer ce Christ, tellement il a voulu se faire connaitre de nous, tellement il se donne à notre foi. Préparer le Royaume, c’est habiter avec lui dès aujourd’hui, mais installer le Royaume ce ne sera que son œuvre à lui.

Toutes nos églises chrétiennes connaissent une crise profonde, et nous avons coutume de dire qu’il s’agit d’abord d’une crise des institutions, des églises en tant qu’organisations, que la soif religieuse de chacun est aussi, sinon plus grande qu’avant, mais qu’avec l’individualisme ambiant chacun se fabrique sa foi personnelle qu’il entend vivre hors de tout cadre, chez lui, pour lui, avec lui et en lui. Donc que ce chacun ne fréquente plus de communauté…

Personnellement, je crains que nos difficultés ne soient un peu plus graves que cela et qu’elles reposent sur la pertinence de tout discours religieux et donc sur la difficulté intrinsèque de croire, ce qui, à mon avis, est d’autant plus intéressant pour notre témoignage. Il ne s’agit pas que de la forme, mais bien du fond. La preuve: il y a des formes d’églises qui marchent bien, il y a de véritables shows d’église qui rassemblent de nombreux spectateurs émus, bouleversés, convaincus… tout au moins durant le temps qu’ils vivent dans l’ardeur, dans la braise de la louange, peu importe la pertinence du discours, qu’au nom d’une véritable théologie de la grâce on reconstitue un magnifique salut par les œuvres, peu importe… Que la prodigieuse liberté du croyant redevienne une obéissance servile à un solide et bon ordre moral, peu importe… Que la magnifique annonce du pardon devienne de splendides diatribes de jugement sur tous les autres, peu importe… La crise profonde traverse tout autant ces communautés, la forme cachant simplement là bien souvent le fond.

Je pense qu’aujourd’hui, c’est bien le fait de croire qui est en question, comme au tout début de l’Église ; comment la foi peut transformer profondément notre vie sans qu’il y ait une dichotomie abyssale entre l’expression de ma foi et ma vie quotidienne ? Comment puis-je être habité par la foi tout en habitant aussi la culture du lieu et des gens avec lesquels je vis ? Comment vraiment partager la pertinence de l’Évangile, donc une confiance, dans une société qui doit une telle reconnaissance au savoir-faire humain, à la technologie, à la science et à la technique humaine ? C’est vraiment le discours fondamental de notre annonce de l’Évangile que nous devons changer ensemble. La confrontation, qui est le mode de pensée que nous avons privilégié, rappelez-vous de Copernic, de Galilée, et qui marginalise de plus en plus notre parole dans l’opposition aux progrès humains incontestables est un mode qui nous range irrémédiablement dans le passé. Or, notre prédication, c’est vraiment de dire que le monde a besoin d’une véritable foi pour vivre l’avenir, et là il n’y a plus de méchants évangéliques, de bons luthériens, de vrais catholiques ; il y a l’esprit de Dieu qui renouvelle toute intelligence pour celui qui croit.

Amen.

A-t-on vraiment bien pris conscience que l’Église ne vient pas réaliser le royaume de Dieu sur terre mais bien le préparer? Nos impatiences ne sont-elles pas le signe de nos doutes ?

Détails

Avec la participation de
David Giauque, Jean-Louis Jabas, Noémie Koller et Annick Froidevaux
Orgue
Marie Chaignat
Musique
Marie Chaignat au violon, Choeur de la collégiale de Moutier, sous la direction d'Esther Cangiamila