Ras le culte!

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Écouter le culte :

J’ai une chance incroyable ce matin, une chance unique que je ne dois surtout pas manquer, en effet le thème de notre culte est le culte ! Et c’est loin d’être la première fois que j’aborde ce thème, mais voilà, d’habitude , je suis obligé de parler du problème de la désertion des lieux de cultes devant ceux et celles qui viennent au culte ! Avouez que c’est parfaitement inutile, à quoi ça sert d’exhorter à fréquenter les cultes à des personnes qui y sont déjà et c’est un peu le problème de toutes nos églises : parler à des convaincus comme s’il fallait encore les convaincre !
Mais aujourd’hui, phénomène extraordinaire, j’ai beaucoup plus d’auditeurs qui ne sont pas au culte, mais bien chez eux ou ailleurs à écouter ce culte à la radio. Bien entendu, il y a parmi eux un certain nombre de personnes pour qui ce n'est pas un choix et qui si elles le pouvaient seraient ce matin dans leur église, mais je me suis laissé dire qu’il y en avait beaucoup plus, qui pourraient très facilement se rendre ce matin dans un lieu de culte, mais qui préfèrent l’écouter à la radio. Alors je rassure de suite ces derniers , mon ambition n’est pas du tout de leur dire qu’ils feraient mieux d’aller vivre le culte dans leur église locale, je dirai même bien, au contraire, que le fait même qu’ils ne le fassent pas, nous apporte un éclairage important sur ce que nos contemporains désirent vivre et surtout ne désirent plus vivre dans un culte. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai intitulé ce culte, « ras le culte » qui est un de mes raccourcis pour exprimer ce que pense le plus grand nombre de réformés de nos paroisses : le culte ras le bol !

Soyons clairs, le culte dont je veux parler est le culte dominical hebdomadaire, celui que l’on dit toujours être celui qui doit rassembler la communauté, celui que certains nomment le centre de la vie de la communauté, car rendre un culte à Dieu peut bien entendu prendre des formes tellement plus variées : une méditation quotidienne partagée, des rassemblements extraordinaires, mais aussi faire de la musique comme je le rappelais tout à l’heure pour Bach et même avoir l’audace comme le prophète Esaïe l’a enseigné au sujet du jeune devenu à son époque une pratique toute aussi rituelle que le culte. Le jeûne que je préfère, n'est-ce pas ceci : dénouer les liens provenant de la méchanceté, détacher les courroies du joug, renvoyer libres ceux qui ployaient, bref que vous mettiez en pièces tous les jougs !
Alors la première question que je veux me poser, c’est de savoir si le Christ, dans sa pratique personnelle et dans son enseignement y est pour quelque chose dans le fait que le culte soit devenu le centre de la vie des églises. C’est curieux, quand je parcours n’importe lequel de nos quatre évangiles, que ce soit Matthieu, Marc, Luc ou Jean, je m’aperçois que Jésus ressemblait plutôt dans sa pratique au paroissien que je ne vois pratiquement jamais au culte, plutôt qu’à celui qui y vient régulièrement. Nous acceptons un peu comme un dogme que puisque Jésus était juif et qu’il a même fait un jour un célèbre scandale dans la synagogue de Nazareth, qu’il devait s’y rendre régulièrement.
C’est franchement une simple supposition et surtout pas un fait établi au regard du texte biblique, on le voit effectivement se rendre plusieurs fois à la fête de la Pâque. Eh bien oui, comme je le disais un peu comme les paroissiens d’aujourd’hui qui ne nous rejoignent qu’au moment des grandes fêtes, mais jamais pour la vivre comme le voudraient les prescriptions religieuses de son temps. En tous les cas, on ne peut pas dire que sa préoccupation ait été d’enseigner à ses disciples ce qui pourrait être un modèle de culte qui pourrait ressembler à ce qui est devenu dès la première église un rendez-vous incontournable, pour l’assemblée des croyants, le premier jour de la semaine, le culte au jour hebdomadaire de la résurrection le dimanche.
Essentiellement donc ce qui est devenu la marque de fabrique de toutes les communautés chrétiennes, la messe ou le culte dominical est beaucoup plus inspiré des pratiques juives existantes que l’on a modifié plutôt que par une demande expressément issue de la parole du Christ. Bien entendu on le voit chanter des psaumes avec ses disciples en participant aux festivités de sa dernière Pâque à Jérusalem et partager son dernier repas rituel de la Pâque pour en faire la première cène au jeudi saint, mais franchement lisez simplement un évangile et vous découvrirez vous aussi cette absence dans son enseignement de toute volonté d’organiser des rassemblements de type cultuel pour louer et prier ensemble.
Mieux même, vous l’entendrez bien plutôt enseigner une manière de prier en secret dans sa chambre. Et là il n’y a pas qu’un texte qui pourrait faire écho à cette idée et par exemple dans sa rencontre avec la samaritaine, essayez de vous souvenir. Cette dernière, à un moment dit à Jésus : Nos ancêtres samaritains ont adoré Dieu sur cette montagne, mais vous, les Juifs, vous dites que l'endroit où l'on doit adorer Dieu est à Jérusalem. Réponse de Jésus : l’heure vient et elle est là maintenant où les véritables adorateurs adoreront en esprit et en vérité. Eh oui, belle samaritaine, il n’est plus question de l’importance d’un lieu pour se rassembler, mais bien d’un culte où tout disciple vit son adoration en esprit et en vérité.

Je ne suis pas naïf et si le culte est devenu le centre même de toutes les communautés chrétiennes ce n’est pas sans de bonnes raisons et l’église ne s’est pas trompée durant presque 2000 ans. Il est évident qu’avoir envie de se retrouver pour partager sa prière, sa louange, ses découvertes avec d’autres chrétiens et en appelant à la présence de Dieu au milieu de nous – même lorsqu’ils ne sont que deux ou trois – peut incontestablement se justifier, mais par contre faire du culte dominical le centre visible et intouchable du témoignage de la présence de l’église dans nos villes et nos villages est sans aucun doute devenu aujourd’hui discutable. D’autant que pour être le cœur du rassemblement d’une communauté, il faut une communauté et c’est sans doute parce que souvent nous vivons dans l’illusion que nos paroisses sont encore des communautés que nous persistons à y voir comme cœur le culte.
Au regard de notre texte de ce matin, il est évident que les apôtres et la foule ont plus souvent dialogué avec Jésus, en marchant sur un chemin, en s’arrêtant sur la montagne, en se rassemblant au bord du lac plutôt qu’à des moments préparés par Jésus dans les synagogues, tout est dans la mobilité, l’occasion qui fait que... Et sans aucun doute notre petite balade sur les chemins de Césarée de Philippe que nous avons découverte dans notre texte de Marc ce matin nous permettra en comprenant la véritable demande de témoignage que Jésus demande à ses disciples d’avancer dans notre compréhension du « culte ».

Qui suis-je au dire des hommes et vous, qui dites-vous que je suis ? Et dans la réponse de Jésus, il y a comme deux poids, deux mesures : dans son jugement de ce que disent les foules de lui et de ce qu’en disent ses disciples et en l’occurrence, Pierre. Il semble bien permis aux foules de penser un peu ce qu’elles veulent de Jésus, une réincarnation du Baptiste, d’Élie ou d’un prophète, mais quand Pierre touche à la vérité en déclarant qu’il est le Messie, il se fait vertement remettre en place. Et c’est le moins que l’on puisse dire, parce que son Messie, entendons son Sauveur, n’est visiblement pas celui qu’est Jésus. Le Messie qu’est Jésus est un être rejeté, souffrant, mis à mort dans le but de ressusciter, aux antipodes de ce que pensait sans doute Pierre, qui l’imaginait comme un chef triomphant allant vers une victoire certaine, une victoire bien terrestre, bien conforme à nos rêves cupides de gloire, à nos images de victoire bercées d’orgueil et de revanche.
En y repensant, d’ailleurs les paroles d’un chant que l’on a osé me faire chanter dans ma jeunesse et dont sans doute beaucoup de nos auditeurs se souviennent sont revenues dans ma mémoire et j’imagine que Pierre l’aurait apprécié, lui à ce moment-là « Surs de la victoire, soldats du seigneur, crie et chante gloire, tu seras vainqueur, le grand capitaine combat avec toi, te la rends certaine, combats avec foi. Oui, la victoire, Tu l´auras, chante donc gloire, tu verras, ton adversaire fort vaillant, couché par terre, à l´instant. » Les véritables marseillaises chrétiennes du 19ème siècle et il y en a d’autres ! Comment saisir qui est le Messie, qui lui, donne sa vie lorsque nous chantons des chants qui sont des appels à donner la mort ? …En effet qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perdra sa vie à cause de moi et de l'Évangile, la sauvera. » dit finalement Jésus à Pierre.

Jésus chante délibérément le chant du serviteur souffrant d’Esaïe 53, quand Pierre voudrait entonner le « Surs de la victoire », avant l’heure. Voyez comme nous retournons doucement dans notre réflexion sur le culte par le biais de ce que nous pouvons y chanter. Si le culte est fondé sur nos illusions humaines d’une armée, qui n’est bientôt plus qu’une division, pour ne pas dire un bataillon et qui vient chercher auprès de son chef de la munition pour le combat dans ce monde d’ennemis qui n’ont rien compris – genre ces cultes de victoire qui nous font du bien mais ne font pas le bien – il ne peut être le culte de cette rencontre avec un Messie dont le dépouillement et la mort ont apporté le véritable salut pour toute l’humanité. Alors bien sûr que beaucoup préfèreront aujourd’hui la joie fugace de l’illusion de leur propre victoire, mais ils passent à côté de la véritable joie profonde qui est de vivre dans le même dépouillement que son Seigneur, de porter sa croix. « Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il se renie lui-même et prenne sa croix et qu'il me suive. »

Le culte c’est donc un lieu où je ne dois pas faire semblant, où je dois me déposer tel que je suis devant Dieu, où je dois accepter de laisser Dieu conduire la conversation plutôt que de le submerger de mes discours, où je dois vivre d’une victoire acquise dans la faiblesse et le rejet de la majorité de la foule, un culte devrait se murmurer plutôt que de se hurler. Et c’est bien une des raisons pour laquelle il est si difficile de faire apprécier le culte à des esprits modernes qui veulent de l’efficacité, des réponses, du spectacle et de la facilité plutôt que des interrogations, et des remises en question qui pourtant nous ouvrent à des convictions belles et subtiles.
Vous comprenez donc ainsi que le culte ne se vit pas de ce qui est offert par les célébrants mais vraiment de ce qui peut s’y recevoir quand il rassemble de vrais participants. Il est aux antipodes du spectacle où il y aurait chez nous protestants, surtout des « one man show », d’un côté et des spectateurs de l’autre qui n’auraient pour rôle que de dire, ça j’ai aimé, ça pas, ah si on chantait du et pas du…
Pour mieux me faire comprendre je ne peux que citer l’exemple de cultes qui n’ont quasiment pas changé de forme depuis des siècles et qui portent pourtant toujours autant ceux et celles qui les vivent : les cultes ou messes dans toutes les abbayes, qui ne tirent leur force surtout pas de l’adaptation de leur forme mais bien plus de la réelle présence des participants. Ils ont beaucoup à nous apprendre et il n’est pas étonnant qu’aujourd’hui il y ait beaucoup d’expériences paroissiales qui vont dans ce sens. Je laisse maintenant à la musique de Bach le soin de vous faire ressentir toute la passion qu’il nous faut mettre dans l’écoute, grâce à ce second mouvement de la sonate en trio, une partie qui est une longue et sereine méditation, un adagio où chacun de vous découvrira ce rythme paisible du dialogue avec Dieu.

Détails

Avec la participation de
Patrick Reusser
Orgue
Christophe Maria Moosmann
Musique