Y a-t-il des limites au pardon?

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Écouter le culte :

Question posée aux paroissiens et aux auditeurs:
Peut-on vraiment accueillir tout le monde?... Quelques réponses à lire sous "Commentaires".

OS : Olivier Schopfer
BS : Brigitte Scholl
BB : Bertrand Baumann
JMB : Jean-Marc Burgunder, lecteur

Nous nous accueillons les uns les autres au moment de vivre le culte, ce temps que nous mettons à part, parce que nous le voulons et parce que Dieu nous le demande.

Un temps pour Le rencontrer,
un temps pour se retrouver soi-même,
un temps pour accueillir et pour être accueilli.

Ce matin, nous accueillons celles et ceux qui sont venus dans l’Église française de Berne, ce beau bâtiment au cœur de la ville, la plus ancienne église de Berne.
Nous accueillons aussi celles et ceux qui suivent ce culte à la radio ou sur internet, depuis la Suisse ou depuis le reste du monde.
Nous accueillons tout le monde, ceux que nous pouvons voir, et ceux que nous ne pouvons pas voir…

Brigitte Scholl interrompt le pasteur
BS : Attends un peu Olivier, tu vas trop loin ! Accueillir tout le monde ? Ceux qui sont là, ceux qui ne sont pas là… et pourquoi pas aussi ceux qui ne croient même pas en Dieu, ou ceux qui ont une religion complètement différente de la nôtre ! Ça ne va pas. On ne peut pas accueillir tout le monde. Il y a des limites ! Tu devrais recommencer ton accueil, et dire : « Bienvenue à ceux qui nous écoutent et qui sont protestants ! Les autres, c’est le moment de changer de chaîne ! ».
OS : Ah bon. Tu crois ? Des limites ? Des limites à l’accueil ?
BS : Ben oui, bien sûr. D’ailleurs, c’est un rêve, de vouloir accueillir tout le monde ! Et puis c’est quoi, faire semblant d’être accueillants ? Tout cela n’est-il pas une blague, des mots qu’on dit juste pour se faire plaisir ?
OS : Oh là là, il fallait que tu me fasses ta crise juste le jour où l’on passe à la radio ! J’ai l’air de quoi, maintenant ? D’autant plus que tu as un peu raison. C’est vrai qu’on dit que tout le monde est bienvenu, mais qu’on n’a pas très envie d’être dérangés… Et là c’est toi qui nous déranges !

Bertrand Baumann intervient
BB : Attendez mes amis, j’ai peut-être une idée. On dit toujours que notre source d’inspiration, c’est la Bible. Il doit sûrement y avoir quelque chose sur l’accueil et ses limites, dans l’un ou l’autre des livres de la Bible.
OS : Bonne idée ! Mais alors, on fait les choses dans l’ordre, parce qu’on dit aussi qu’il faut lire la Bible en laissant place au témoignage intérieur du Saint-Esprit ! Un des textes du jour parle justement de l’accueil ; on pourrait le lire, mais d’abord on demande à Dieu de nous éclairer par la prière ! Brigitte, veux-tu nous conduire dans la prière ? Puis on demandera à Jean-Marc de nous lire le passage.

BS
Nous prions.
Seigneur notre Dieu, tu nous connais.
Tu sais notre envie de bien faire,
mais tu sais aussi nos hésitations,
nos doutes.
Nous nous voulons ouverts,
mais pas à n’importe quel prix.
Parfois nous attendons de la vie
plus que ce que nous-mêmes sommes
prêts à lui donner.
Par ton Saint-Esprit,
viens ouvrir nos cœurs et nos intelligences
à ta Parole.
Donne-nous d’entendre
ce que tu as à nous dire.
Et que les mots de ton espoir
portent du fruit en nous.
Amen

JMB : Nous lisons dans l’épitre de Paul aux Romains, au chapitre 14
1Accueillez celui qui est faible dans la foi, sans critiquer ses scrupules. 2La foi de l’un lui permet de manger de tout, tandis que l’autre, par faiblesse, ne mange que des légumes. 3Que celui qui mange ne méprise pas celui qui ne mange pas et que celui qui ne mange pas ne juge pas celui qui mange, car Dieu l’a accueilli. 4Qui es-tu pour juger un serviteur qui ne t’appartient pas ? Qu’il tienne bon ou qu’il tombe, cela regarde son propre maître. Et il tiendra bon, car le Seigneur a le pouvoir de le faire tenir.

BS : Si je comprends bien, l’apôtre Paul est en train de dire qu’il y a plusieurs catégories de croyants.
OS : Exactement.
BS : Il y a ceux qui pratiquent scrupuleusement les consignes de leur religion, par exemple en ne mangeant pas de viande, et puis il y a les autres, qui font un peu ce qu’ils veulent !
OS : C’est ça.
BS : Donc d’un côté les pratiquants, et de l’autre les « pas très pratiquants » !
OS : Si tu veux !
BS : Mais alors, pourquoi Paul présente-t-il les pratiquants comme des faibles ? Est-ce que ce ne sont pas justement eux qui sont forts, parce qu’ils font tout ce qu’il faut ?!
OS : Ils ne font pas « tout ce qu’il faut », ils font tout ce qu’ils pensent qu’ils doivent faire ! Et pour Paul, c’est justement ça leur point faible ! Ils s’imaginent que pour être aimés de Dieu, ils doivent faire ceci ou cela : ne pas manger de viande, prier tant de fois par jour, aller à l’église. Le problème n’est pas de faire cela, c’est de le faire pour plaire à Dieu. Or Dieu nous aime avant que l’on n’ait fait quoi que ce soit !
BS : En somme, ceux qui pratiquent leur foi jusque dans les détails manquent justement de foi ! Ils ne font pas vraiment confiance.
OS : Paul ne va pas jusque-là. Il dit juste qu’il faut les respecter. Il dit qu’il faut les accueillir comme ils sont, sans les juger.
BS : Mais il dit aussi que les pratiquants ne doivent pas mépriser ceux qui ne pratiquent pas de la même façon !
OS : Justement ! Il dit que ceux qui pratiquent doivent savoir accueillir ceux qui croient aussi, mais ne pensent pas devoir mettre leur foi en pratique de la même façon.
BS : Je comprends. Mais ça ne dit pas encore qu’il faut accueillir tout le monde ! Je peux accueillir les croyants très pratiquants. Je peux accueillir les croyants pas très pratiquants. Je peux même accueillir ceux qui ne savent pas très bien s’ils sont croyants ou pas, ou ceux qui croient qu’ils ne croient en rien ! Mais il y a quand même des gens que je ne peux pas accueillir ! Par exemple ceux qui me dénigrent, ceux qui disent que je suis stupide de croire ! Et puis il y a ceux qui font le mal. Je ne peux quand même pas accueillir quelqu’un qui m’a fait du mal, ou qui a fait du mal à quelqu’un que j’aime !
OS : Je vois bien le problème. Est-ce qu’il y a une limite ou pas ? Peut-on vraiment accueillir tout le monde ? J’aimerais bien savoir ce qu’en pensent les paroissiens. Et puis aussi celles et ceux qui nous écoutent.
Peut-on vraiment accueillir tout le monde ?
Peut-on vraiment accueillir tout le monde ?

JMB : Nous lisons dans l’évangile de Matthieu au chapitre 11
21Alors Pierre s’approcha [de Jésus] et lui dit : « Seigneur, quand mon frère commettra une faute à mon égard, combien de fois lui pardonnerai-je ? Jusqu’à sept fois ? »
22Jésus lui dit : « Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à septante fois sept fois. »

BS : Alors tu vois ! Même Pierre se pose la question de la limite ! Bon, il parle du pardon, mais c’est la même question. Y a-t-il un moment où l’on ne peut plus pardonner ? Y a-t-il un moment où l’on ne peut plus accueillir ?
OS : Oui, d’ailleurs Pierre ne se contente pas de poser la question, il suggère une réponse ! Sept fois ! C’est sa proposition, tout bien pesé. Un peu de générosité, pas mal même, mais pas trop, quand même !
BS : Oui, mais Jésus n’accepte pas cette proposition. Il en veut plus. Il faut pardonner septante fois sept fois ! Mais dis donc, sept, septante, septante fois sept, ce ne sont pas des chiffres symboliques ?
OS : Tu as raison, le chiffre sept et ses multiples suggèrent une idée de perfection, de totalité.
BS : Sept, c’est la perfection; septante fois sept, c’est la perfection au carré ! Tu veux dire que Jésus nous demande de pardonner à l’infini ?
OS : Je ne sais pas. Il me semble que si Jésus avait voulu dire : « il faut toujours pardonner », il l’aurait dit ! Il ne dit pas il faut toujours pardonner, il articule un chiffre. Et même si ce chiffre suggère quelque chose de grand, de parfait, cela reste un chiffre. 70*7=490.
BS : Mais le pardon ne peut pas se résumer à un chiffre !
OS : Justement. C’est comme quand on dit à son enfant : « Je te l’ai déjà dit cent fois ! ». Personne ne prend ce chiffre à la lettre. Mais l’enfant comprend que son papa ou sa maman ne veulent pas devoir le dire encore une fois. Et le papa sait bien qu’il n’a pas fini de le redire !
Avec ce chiffre, ni fini ni infini, Jésus nous dit que la question de la limite à l’accueil et au pardon n’est pas seulement théorique. Elle se pose dans des situations réelles. C’est moi, c’est toi, c’est nous ! Ce sont nos relations avec les autres ! Ce sont nos espoirs, ce sont nos déceptions ! En même temps, le pardon est toujours un « débordement », un surpassement. Comme l’anguille marseillaise, elle n’est pas grand’ comme ça, elle est grandE commE ça !
BS : Je vois ça ! Donc il faut beaucoup pardonner, mais pour rester humain, pour être vrai, le pardon ne peut pas être sans limites !
OS : C’est ça. Il faut passer de la théorie à la pratique. Il faut vivre du pardon, le recevoir et le donner. C’est ce que nous voulons faire dans la vie, c’est ce que nous faisons symboliquement lors du culte.

JMB : Nous lirons maintenant dans l’Ancien Testament, peut-être l’une des plus belles histoires de pardon qui soient. Celle de Joseph, que ses frères avaient vendu, qui était arrivé en Égypte, et qui petit à petit était devenu très puissant. Pendant ce temps, la famine avait frappé sa famille, et ses frères étaient venus en Égypte chercher du secours. Après plusieurs péripéties, ils ont reconnu Joseph et se sont réconciliés. Mais les frères ont de la peine à croire que Joseph leur ait vraiment pardonné. Voici les derniers mots de l’histoire, peu après la mort de leur père Jacob : Genèse, chapitre 50.
BB : 15Les frères de Joseph se dirent : «Maintenant que notre père est mort, Joseph pourrait bien se tourner contre nous et nous rendre tout le mal que nous lui avons fait.» 16Ils envoyèrent quelqu’un dire à Joseph : «Avant de mourir, ton père a exprimé cette volonté : 17Vous direz à Joseph : “De grâce, pardonne la terrible faute de tes frères. Oui, ils t’ont causé bien du mal mais, de grâce, pardonne maintenant leur faute, car ils servent le même Dieu que ton père.”»
Quand ils lui parlèrent ainsi, Joseph pleura.
18Ses frères allèrent d’eux-mêmes se jeter devant lui et dirent: «Nous voici tes esclaves!»
19Joseph leur répondit: «N’ayez pas peur. Suis-je en effet à la place de Dieu? 20Vous avez voulu me faire du mal, Dieu a voulu en faire du bien: il a voulu sauver la vie à un peuple nombreux comme cela se réalise aujourd’hui. 21Désormais, ne craignez pas, je pourvoirai à votre subsistance et à celle de vos enfants.» Il les réconforta et regagna leur confiance.

BS : Eh bien, ça c’est du concret! Je comprends que les frères de Joseph aient peur qu’il se venge du mal qu’ils lui ont fait !
OS : Oui, ils ont peur. Mais ça ne suffit pas pour qu’ils changent leur façon de penser.
BS : Qu’est-ce que tu veux dire ?
OS : Eh bien ils continuent de se comporter exactement comme avant ! Au lieu de dire la vérité à leur frère, ils inventent des paroles que leur père aurait dites avant sa mort.
BS : Et pourquoi ce nouveau mensonge ?
OS : Je pense qu’ils ne se voient pas comme des vis-à-vis de Joseph. Ils se sentent petits devant lui. Peut-être le poids de leur culpabilité. Ils pensent avoir besoin d’un intermédiaire, même mort.
BS : Je me demandais pourquoi Joseph pleurait, quand il entendait ses frères parler ainsi. J’ai d’abord pensé que c’était parce qu’il était ému par les paroles que son père était censé avoir dites. Mais peut-être que ce qui le rend triste, c’est de voir que ses frères continuent à mentir !
OS : C’est difficile de pardonner, quand on a l’impression que rien n’a changé ! Mais je crois qu’à ce moment de l’histoire, les frères comprennent pourquoi Joseph pleure. Parce que leur attitude change d’un seul coup !
BS : Vraiment ?
OS : Jusque là, ils se cachaient derrière les supposées dernières volontés de leur père. Or le texte dit : Ses frères allèrent alors d’eux-mêmes se jeter devant lui et dirent: «Nous voici tes esclaves!» Tout à coup, c’est eux-mêmes qui se mobilisent, pour demander pardon. Quelque chose se passe, qui fait qu’ils osent parler en « Je ». Alors, un autre niveau de dialogue devient possible.
BS : Moi, ce qui me touche, c’est de voir ensuite Joseph réconforter ses frères. Eux voulaient se faire tout petits, esclaves, lui il les redresse, il les place à la même hauteur que lui. Il veut que se frères soient de nouveau ses égaux.
OS : C’est comme s’il voulait réparer quelque chose qui s’était cassé il y a très longtemps !
BS : C’est comme une maladie. Une maladie qui empoisonne leurs relations.
OS : Oui, ils souffrent tous de cette situation !
BS : Ils aimeraient guérir. Mais ils ne trouvent pas le chemin. Ils retombent toujours dans les mêmes travers. Et tout à coup, la situation se débloque !
OS : Je me demande comment Joseph trouve la force de pardonner à ses frères ?
BS : Justement, il reconnaît qu’il n’a pas lui-même la force de pardonner. Il comprend que Dieu se situe autrement, et que c’est Dieu qui pardonne. Oui, Dieu peut faire du bien, même avec du mal !
OS : Alors le pardon n’est pas une grâce que je peux décider d’accorder à l’autre, ou de ne pas lui accorder !
BS : Non, le pardon est une guérison qui vient de Dieu. Mais les frères de Joseph ne peuvent le recevoir que s’ils arrêtent de tricher avec eux-mêmes. Il faut qu’ils reconnaissent leurs peurs, qu’ils s’acceptent comme ils sont. Et c’est Joseph qui leur permet d’en arriver là !
Nous aussi, nous pouvons être des acteurs du pardon, en nous acceptant tels que nous sommes, et en aidant nos proches à ne pas avoir peur.
Nous pouvons nous aussi nous décharger du devoir de pardonner, pour laisser cette charge à Dieu. Quand nous ne pouvons pas, lui il peut. Laissons-le faire !

Amen.

«Seigneur, quand mon frère commettra une faute à mon égard, combien de fois lui pardonnerai-je ? ». La question de Pierre n’a rien de théorique. Il sait que la pertinence d’un enseignement se vérifie dans les cas limites. La réponse de Jésus entraîne l'humain dans la vie réelle et prend en compte la tension entre le désir de bien faire et la réalité des blessures subies.

Détails

Avec la participation de
Brigitte Scholl, Jean-Marc Burgunder et Bertrand Baumann
Orgue
Antonio Garcia
Musique
Chœur de l’église française de Berne, sous la direction de Brigitte Scholl