Quand Dieu prend visage de femme

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Une petite maison parmi les autres petites maisons du village. Une seule chambre pour vivre, manger, dormir. Il y fait toujours sombre, même en plein jour. La maîtresse de maison n’est maîtresse que de bien peu: deux ou trois meubles, quelques ustensiles, les petits enfants qui envahissent l’espace. Un royaume de pauvre, mais bienheureux les pauvres, disait Jésus !

Difficile, dans ces conditions, de faire des économies. La femme a mis de côté 10 drachmes, de la monnaie qu’elle compte et recompte. Elle n’en croit pas ses yeux : il en manque une ! Branle-bas de combat, la grande fouille… La pièce est retrouvée, quel soulagement ! Télé-village fonctionne immédiatement : grand rassemblement des amies et des voisines, et forcément de tous les gamins qui tournent là autour. C’est la fête sur la place.

Belle histoire d’une grande joie, enserrée dans l’évangile de Luc entre deux récits tout pareils, du moins en apparence : celui du berger qui ramène sa brebis au troupeau et celui du père qui voit revenir son cadet rebelle (‘le retour de l’enfant prodigue’). Le fond du message est toujours le même : Dieu ne fait pas les choses à moitié, ni à nonante pour cent, ni même à nonante-neuf pour cent. Sa joie ne sera pleine que de la plénitude de l’humanité. Mais les chemins pour y parvenir sont multiples, et l’amour de Dieu se fait tour à tour hardi, généreux ou tendre au gré des circonstances.

Le sourire du berger qui porte la brebis sur ses épaules et le bonheur du père qui court au-devant de son fils sont des joies d’hommes faits, des joies viriles, expressions des métiers qui comptent en ce temps-là, berger, pêcheur, propriétaire terrien, et parmi ceux qui ont plutôt bien réussi : un troupeau de cent bêtes, ce n’est pas rien, et que dire d’une fête avec orchestre, chœur et veau gras !

En revanche, dans la petite maison du village, tout se décline au féminin, tâches quotidiennes d’une épouse et d’une mère ; attroupement de voisines pour se réjouir avec elle. Les maris sont aux champs ou aux affaires ! Ici, la joie de Dieu égrène une mélodie douce et tendre, humble et maternelle, mais sans ce registre, la partition serait tronquée.

Vingt siècles d’Église, marqués par un système patriarcal hyper-résistant, se sont chargés de gommer cette petite voix dérangeante, de minimiser l’impact du récit, le plus souvent considéré comme un simple doublet de la parabole de la brebis perdue. Que faire de cette humble figure de femme qui recompte sa monnaie ? Ne sait-on pas tout ce qu’on doit savoir du visage de Dieu, quand Jésus nous le présente comme Berger et Père ?

Eh bien non, justement, ça ne suffit pas, et la parabole de la femme aux dix drachmes vient nous rappeler que tout portrait de Dieu reste incomplet, voire gravement biaisé, sans cette touche féminine de la tendresse maternelle: ce Dieu - affirmait le prophète Osée - qui serre le nouveau-né tout contre lui, comme une mère qui soulève son enfant tout contre sa joue. Le prophète Esaïe renchérit: même si, hypothèse terrible, une femme cessait d’aimer l’enfant qu’elle a porté, Dieu, lui, n’oublie jamais. Et du coup, Seigneur – Psaume 131 - je reste calme et tranquille comme un petit enfant près de sa mère.

Ce visage maternel de Dieu affleure tout au long de la Bible, mais ce qui se passe dans cette petite maison de village nous en apprend davantage. Regardons-y de plus près. Que d’efforts pour quelque chose de si menu qu’une pièce d’argent ! Serions-nous, nous-mêmes, si menus que Jésus nous compare à de la monnaie ? Être traité d’enfant prodigue ou de brebis perdue passe encore, mais se trouver ravalé à une pièce de cent sous !

Question posée : quel est le prix d’une vie humaine ? Un coût ridiculement bas, atrocement bas, si l’on en juge à l’aune de l’histoire, où l’homme n’a jamais cessé de tuer ou laisser mourir son semblable pour bien moins qu’une malheureuse drachme ! Et remarquons en passant que pour Jésus lui-même, la mise à prix n’a pas dépassé trente pièces d’argent…

Notre seule chance face à Dieu, c’est que, contrairement à nous autres, il se montre minutieux à l’extrême. Par définition, la minutie est le soin porté à ce qui est menu. Or pour Dieu, si petits que nous soyons, nous valons un prix exorbitant : le prix qu’il a fixé lui-même, tellement il nous aime et nous désire, et qu’il n’est pas prêt à marchander, pas plus que Jésus n’a négocié avec ses bourreaux. Pour en être le Créateur, Dieu sait que l’humain a été gravé à son effigie et que dans le plus modeste visage, abimé, corrodé, torturé, se maintient à jamais une part divine, un reflet de sa tendresse.

Regardez autour de vous et regardez aussi en vous : il n’est d’homme ou de femme, d’aîné ou d’enfant, d’ici ou d’ailleurs, sur lequel ne soit gravée cette effigie divine. Et à l’échelle du Dieu de Jésus-Christ, la maison de l’humanité n’est pas plus grande que cette modeste carrée villageoise où rien ne peut s’égarer durablement. Il fallait ce recours à l’infinitésimal pour achever de nous convaincre que rien ni personne n’est définitivement perdu.

Pour mener sa recherche, la maîtresse de maison dispose d’une lampe et d’un balai. Nous lisons bien : une lampe et un balai, et non une lampe ou un balai à choix. Il s’agit à la fois et en même temps d’éclairer et de balayer. Tout se passe comme si la femme travaillait des deux mains, l’une pour tenir la lampe et l’autre pour pousser son balai. Elle double ainsi ses chances de retrouver la pièce perdue : ou bien elle la verra briller dans le rayon de sa lampe, ou bien elle l’entendra tinter au passage du balai.

Dieu n’agit pas autrement : c’est à deux mains, comme dans la parabole, qu’il mène son incessante quête de l’humanité. D’un côté, il porte bien haut sa lumière dont il voudrait tellement qu’elle nous éclaire. Et viendra bien le moment où ce rayon de lumière touchera un cœur, qui se mettra à briller dans l’obscurité. Et dans cet éclat, jusque-là si bien caché, se lira la trace du passage du Christ dans une vie.

Mais il lui faut aussi user du balai pour remuer la vie, juste assez pour qu’elle fasse entendre un bruissement de présence. En l’occurrence, le balai divin n’est pas fait d’un fagot de brindilles, mais d’un faisceau de paroles qui purifient tout sur leur passage. C’est avec sa Parole que Dieu vient secouer les cœurs empoussiérés, traquer nos fuites incessantes et disperser nos petits montages accommodants. Une Parole qui balaie parfois un peu rudement nos vieilles habitudes, mais qui tire notre âme de son silence pour qu’on entende enfin l’amour résonner au fond de la vie.

Car c’est bien de chacun de nous que parle cette histoire de drachme retrouvée, et Dieu prend visage de femme, dans cette petite maison de village, pour nous confier son espérance : pour lui, tout se concentre dans ce moment unique où l’être humain naît à la pleine vie, parce que son visage se fait translucide d’une autre clarté, et que se creuse au profond de lui la fontaine où chantera la Source.

Et puisque c’est fondamentalement une histoire de naissance, et quel que soit l’âge de cet enfant qui s’ouvre à la lumière, Dieu ne peut que se faire maman, avec un cœur et des gestes de maman, humbles, tendres, minutieux, rayonnants, attentifs à la résonance de la vie.

Dans la palette des couleurs de la joie de Dieu, il est une nuance qui n’appartient qu’aux mamans : « la joie qu’un être humain soit venu au monde ». Ainsi parle Jésus dans l’évangile de Jean. Toute maman porte en elle, au creux même de sa chair et au prix d’un accouchement parfois difficile, cette joie qu’un être humain soit venu au monde. Cette joie-là, disait Jésus à ses disciples, personne ne peut l’enlever ni l’effacer. C’est ainsi que, même sans le savoir, toute maman participe à la joie de Dieu.

Ce n’était qu’une petite maison parmi les autres petites maisons du village, mais Dieu nous y attendait, en ce dimanche de la fête des Mères, pour nous révéler l’intime fond de sa tendresse et de son espérance.

Amen.

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Une relecture de la parabole de la Drachme perdue

En Luc 15, 8-10, l’évangile ose l’image d’une femme de condition modeste pour révéler une face du visage de Dieu. La tradition a marqué peu d’intérêt pour cette femme dont l’humble stature déconcerte, enserrée entre les grandes figures du Berger (v 3-7) et du Père (v 11-32), dont le retentissement fut immédiat dans l’histoire de l’Eglise. Une histoire si longtemps livrée entre les mains masculines, ou la composante féminine d’un Dieu à la fois père et mère en a été largement occultée… Bonne occasion de rattrapage en ce dimanche de la fête des mères!

Détails

Avec la participation de
Doris Agazzi
Orgue
Anne Chollet
Musique
Choeur du Poyet